Il y a peut-être quelques jeunes supporters de l'OM pour qui Depé n'est que le nom du Virage Nord. Quelques jeunes supporters qui ignorent qu'avant, on parlait du virage Ray Grassi, du nom d'un boxeur marseillais multiple champion de France, mais décédé après un combat au Vel', en 1953. Mais depuis juillet 2002, le Nord porte le nom de Patrice de Peretti, que le monde des tribunes et même le grand public a toujours appelé Depé, capo légendaire des MTP décédé en 2000.
Mais qu'est-ce qu'au juste un capo, ce leader de groupe de supporters qui préfèrent tourner le dos à la rencontre pour animer leur bout de virage ? Depuis les années 60 et les "capi popolo" italiens, premiers à introduire des mégaphones dans les stades, le rôle a progressivement évolué pour devenir essentiel. "Dans les années 1970, avec l'émergence des Ultras, ils vont essayer de structurer l'ambiance, recontextualise Sébastien Louis, historien spécialisé dans le supportérisme. Dans les années 1980, ils se professionnalisent et prennent le contrôle des virages, avec une, deux ou trois personnes pour lancer les chants."
Si les Virages sont aujourd'hui le coeur du Vélodrome, les capos en sont les poumons, ceux qui font battre le pouls du stade plus ou moins frénétiquement. "Le capo, c'est le chef, c'est lui qui mène la musique, qui mène le bal", définit Christian Cataldo, qui a tenu le mégaphone des Dodger's pendant 25 ans. "C'est la voix du groupe, celui qui porte ses valeurs, son identité", rajoute Julien Fartouk, quinze ans d'expérience sur le perchoir des Yankees de 1995 à 2010. "C'est un chef d'orchestre, résume Sébastien Louis. Un bon capo peut véritablement transcender un stade ou plutôt une tribune."
L'historien va jusqu'à parler de "sacrifice", "par amour pour le club mais sans voir le match", parce que les capos passent l'essentiel de leur temps dos au terrain, mais face à leurs milliers de fidèles. "Je dis toujours que le match, tu le vois dans les yeux des gens", formule joliment Julien Fartouk, qui cite notamment du but de William Gallas contre Manchester United en 1999, qu'il a "entendu, mais jamais vu". "Un but de l'OM, le stade te le fait savoir, en rigole Christian Cataldo. Mais bon, tu le sens, tu tournes un peu la tête, en vingt-cinq ans, j'ai dû en rater seulement quatre ou cinq. Par contre, tu rates souvent ceux de l'adversaire. Il m'est arrivé de jeter un oeil à l'écran et de me dire 'oh, mais il y a 1-1 ?'."
Se coordonner d'un simple geste
Il faut dire que le travail d'un capo demande une attention de tous les instants pour ne jamais laisser redescendre l'ambiance du Virage. "Tu es le moteur du groupe, si toi tu lâches, c'est mort, prévient Julien Fartouk. Et des fois, quand tu es en novembre, qu'il fait froid, les gens devant toi, c'est des santons !" C'est là que le talent de chacun se révèle, pour sentir ce qui fera repartir l'ambiance. "Il y a des chants que tu peux garder dix minutes, ce qui est très long, d'autres qui s'éteignent vite, relate Cataldo. Il faut sentir le truc." Un sens de la foule essentiel, même si tous les capos ont aussi leurs petits trucs. "Tu as des habitudes, un gros 'allez l'OM' sur un corner par exemple, reprend Fartouk. Mais c'est beaucoup au feeling, quand tu sens le stade bouillant, tu sais que tu vas pouvoir entraîner Ganay avec toi par exemple."
Alors que la majorité des stades de France et d'Europe se rangent derrière un groupe leader, le Vélodrome brille aussi par ses multiples associations de supporters. Un avantage qui devient aussi une difficulté de plus pour ne pas tomber dans la cacophonie. "À Marseille c'est plus complexe, il y a comme un 'équilibre politique' dans le lancement des chants entre groupe de même virage" analyse Sébastien Louis. "Chacun a son moment de folie, ses chants à lui, confirme Julien Fartouk. Mais après, on sait qu'ensemble, on a une puissance vocale énorme." Les capos d'un même virage savent communiquer en plein match, parfois d'un simple geste. "Quand on a l'habitude, on se comprend", confirme Christian Cataldo, qui a toujours pu compter sur ses voisins Depé ou Tonini pour "bien s'entendre quand il s'agissait de mettre l'ambiance". "J'avais la chance d'être en bas, les autres me regardaient, se souvient Julien Fartouk. On se fait un signe de la main pour dire 'attends, je lance'. On sait que ces chants à 15 000 tous ensemble, ça peut rebooster l'équipe si ça va pas, ou enflammer tout le stade si le score est pour toi."
Ainsi naissent les "Quand le virage se met à chanter, c'est tout le stade qui va s'enflammer", "Qui ne saute pas n'est pas marseillais", ou le mythique "Aux armes", qui font résonner le Vélodrome et lui donnent son atmosphère si unique. "Une ou deux fois par match, il ne faut pas en abuser, estime Cataldo. En plus, 'Aux armes', ce n'est pas vraiment un chant, plutôt un cri." "Chanter comme Depé" ou "Hissez haut les drapeaux" sont d'autres classiques des Virages du Vel' que les capos récitent quasiment à chaque rencontre.
Des figures difficiles à remplacer
Un travail de l'ombre qui les laisse parfois exténués, comme s'ils avaient passé les 90 minutes à cavaler sur la pelouse autant que les joueurs. "Les dernières années, je prenais un Doliprane avant le match et un Doliprane à la mi-temps", révèle Christian Cataldo, qui a fini par passer la main aussi pour se préserver. Mais lancer un nouveau capo n'est pas chose aisée, tant il est une figure difficile à remplacer. "J'en ai essayé des dizaines avant de trouver Rémi (qui officie maintenant chez les Dodger's, Ndlr). Il faut une voix, il faut être charismatique, ne pas avoir peur parfois d'engueuler un peu les gens, mais sans jamais les insulter." Surtout que passer derrière des historiques des Virages n'est pas facile, tant certains incarnent et personnifient tout un groupe. "Au début, ce n'est pas évident, confirme Julien Fartouk, qui a pris le relais des Tonini à l'époque des Yankees. Le jour où j'ai pris le micro seul en juillet 98, les gens te connaissent pas... Quand on te donne le mégaphone, c'est une vraie marque de confiance. Il faut se faire respecter, véhiculer les valeurs du groupe, l'amour de son club."
Pas seulement au Vélodrome, d'ailleurs, mais aussi dans les différentes enceintes de France et d'Europe. "C'est un rôle complexe, qui demande de l'abnégation, du sacrifice, il faut participer à la majeure partie des déplacements, être une figure qui doit fédérer", liste Sébastien Louis. "Ce n'est pas un truc que tu peux devenir en cinq minutes, assure Christian Cataldo. Il faut une voix qui correspond, qui galvanise, du charisme aussi. Et toujours respecter les gens devant toi." C'est à ce prix-là que l'OM et son stade sont devenus aussi reconnus pour l'ambiance presque irréelle qui règne boulevard Michelet. Grâce à son public, et à ses capos, dont certains deviennent tellement légendaires qu'ils laissent leur nom, un jour, à un virage du Vélodrome.
La Provence