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Les mamies ont l'OM dans le 100; H À L'Estaque, les deux soeurs Lucienne (102 ans) et Jeannette (97 ans) Tallone ne manquent jamais un match de l'OM à la télé. Elles les débriefent ensuite avec leur neveu Jeannot (87 ans) et leur petit-neveu Maxence (22 ans).
Autant l'avouer d'emblée : la renommée de Lucienne Piatti et Jeannette Molina, nées Tallone, n'est plus à faire. Passe encore qu'il ne soit pas donné à tout le monde de rencontrer deux centenaires (ou quasi centenaires) issues d'une vénérable famille de L'Estaque, où elles résident toujours. Passe encore qu'elles racontent la Libération de Marseille (et surtout, de L'Estaque) dans le moindre détail. Passe encore qu'elles aient contribué à la vie de ce village marseillais, l'une en tant que coiffeuse et l'autre, en tant que buraliste. Passe encore qu'elles aient réinvesti la maison construite par leurs parents en 1927. Passe encore que le titre d'un article de La Provence, "On craint dégun !" ait été découpé puis placé sous le verre de la table du salon.
En fait, la renommée des soeurs Tallone vient d'un reportage effectué par France 3 quelques jours avant la finale de Ligue Europa 2018, OM - Atlético de Madrid. "Olala ! Les mamies de L'Estaque supportrices de l'OM ! Vous vous rendez compte ?", s'émerveille Jeannette, la plus affable des deux. Elles demandent si nous avons bien regardé le reportage, toujours disponible sur YouTube. À l'époque, elles n'avaient "que" 189 ans à elles deux. Elles en ont désormais 201, et bientôt 203 en mars. Ce statut de très fidèles supportrices de l'OM vues à la TV leur a valu d'être reconnues en croisières, de la Martinique à l'Espagne. "On n'arrive plus à passer inaperçues", poursuit Jeannette.
Deux mots à dire à "l'Espagnol"
Depuis cette "starisation", les soeurs Tallone habitent toujours la maison que leurs parents avaient construite, en 1927. Mais elles voyagent un peu moins qu'avant. Parce qu'elles ont du mal à se déplacer, reconnaissent-elles, et aussi parce qu'au moment du Covid, "Jeannot nous a fait peur". Jeannot Rossello, c'est leur jeune neveu et voisin immédiat. À 87 ans, cet ancien mécanicien chez Lafarge, évidemment à L'Estaque, veille sur ses tantes. Et même s'il est le moins mordu de ballon rond, il a le sens du devoir.
Une année, "à la TV, elles ne pouvaient plus voir l'OM. Alors là, ça n'allait plus. Et un jour, avec mon cousin..." "...Ils vont direct là-bas, coupe Jeannette en montrant un endroit de la maison, et on se demande ce qu'ils font. En fait, ils nous ont mis la fibre sans qu'on le demande." "Maintenant, elles sont abonnées à tout et elles peuvent voir l'OM tout le temps. Sans ça, elles auraient été malades."Le ballon rond et les "mamies de L'Estaque", c'est une histoire presque centenaire. Petites, elles fréquentaient souvent le stade de Saint-Henri. Le Vélodrome aussi, parfois. "On allait voir jouer le Reims de Roger Marche, soit entre 1944 et 1954, se souvient Jeannot. Au Vél', il y avait encore les places debout." "Oui, on y allait quand ce n'était pas encore le beau stade", confirme Lucienne. On leur demande si elles aimeraient voir "le beau stade". "Mais comment on ferait pour y aller ? On n'arrive plus trop à marcher. Depuis le Covid, on ne sort plus trop."
Dommage, car les mamies de L'Estaque auraient deux mots à dire à "l'Espagnol", Pablo Longoria. "Mais si je le vois, je ferai attention à ce que je dis quand même !, rit Jeannette. Harit, je l'aime bien. Et Guendouzi, lui, je l'adorais mais on l'a fait partir, c'est terrible", commente-t-elle.
Harit, le nouveau chouchou
Un autre coup dur avec le départ de Dimitri Payet, leur idole de 2018, mais "pas trop au début quand même". Bref, les temps sont durs, chez les Tallone. "En ce moment, c'est toujours match nul, match nul, match nul. On avait une belle équipe l'an dernier, ils ont tout cassé", se désespère Lucienne, suivie par Jeannette. "Moi, les arrières, je ne sais pas ce que je leur ferais. Et si je les voyais, je leur dirais... je leur dirais de se bouger !"
Les attaquants en prennent aussi pour leur grade. Lucienne : "Ils sont devant le but et ils trouvent le moyen de tirer en l'air. Je crois que même moi, je pourrais marquer." Quant aux milieux, "pour que les attaquants marquent, il faut qu'ils aient des ballons. Mais personne ne leur fait de passes." Jeannette : "Et le plus riche (sic), Vitinha ? Tu en penses quoi, Maxence ?"
Maxence sourit. "J'en pense comme vous." À 22 ans, le petit-neveu est abonné en virage nord depuis cinq ans. Il a suivi ses cousins et l'un de ses oncles, supporters depuis plus de dix ans. Étudiant en 2e année de BTS ventes, il "descend" voir l'OM depuis Manosque. "Le plus grave, constate Jeannette, c'est que tu commences à dire (elle prend un accent très pointu) : ‘Je suis de Manosque'."
Personne ne lui en tiendra rigueur, quand bien même ce serait vrai. Maxence est le fils de Gilles Giuliano, un défenseur marseillais formé à L'Estaque et à Mazargues qui fut international espoirs à la fin des années 80, et fit carrière à Saint-Etienne, Guingamp, Istres et Manosque. "Toute la famille a suivi le foot à travers lui", avoue Jeannot. Les mamies acquiescent. Elles ont toujours un maillot de Gilles Giuliano de l'équipe de France Espoirs. Mais bizarrement, elles n'ont ni maillot, ni écharpe ni drapeau aux couleurs de l'OM.
"Quand ça ne va pas, on ne dort pas de la nuit"
Un fait regrettable, admettent-elles, même si l'habit ne fait pas le moine et l'abonnement au Vélodrome ne fait pas le supporter. "Une fois, quelqu'un m'a dit : ‘vous parlez de l'OM mais vous n'allez jamais au Vélodrome'. J'ai répondu : ‘Peut-être, mais moi je regarde chaque match'." Lucienne évoquera encore Josip Skoblar et Jeannette, Fabien Barthez,"parce que je fais attention aux gardiens". Mais c'est Bernard Tapie qui réunira les deux soeurs "même si ça ne fait pas plaisir à Jeannot". Le neveu encaisse avec le sourire : "Dans le ballon, je reconnais qu'il a fait le job. Après, pour le reste, c'est différent."
Cet automne, les mamies avaient un peu retrouvé le sourire, grâce à Pierre-Emerick Aubameyang. En offrant la victoire à l'OM contre l'Ajax sur penalty, à la dernière minute, il avait ainsi offert une bonne nuit de sommeil aux centenaires parce que "quand ça ne va pas, on ne dort pas de la nuit". C'est dire si les nuits sont courtes en ce moment, et si elles restent inquiètes quant à l'avenir de l'équipe. "Moi, j'étais une fervente supportrice jusqu'à ces derniers matches. Mais les joueurs, je ne les connais plus et ils ne me plaisent pas. Je vous dis la franche vérité, vous pouvez l'écrire", réclame Jeannette. Aucune chance cependant qu'elles se mettent à soutenir un autre club aux résultats un peu meilleurs. "Ah ça ! Paris, on n'aime pas du tout." Bon cent ne saurait mentir.
La Provence