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Nouvelles révélations sur Rachid Zeroual, le patron des South Winners et personnage omniprésent à Marseille
Condamné à neuf mois de prison après l'attaque de la Commanderie, le patron des South Winners est omniprésent à l'OM. Y compris dans les affaires judiciaires.
Comment expliquer la mansuétude dont semble bénéficier Rachid Zeroual de la part de l'OM, lui qui a pourtant été condamné à neuf mois de prison, dont cinq avec sursis, après l'attaque de la Commanderie (dans laquelle il n'avait cependant pas mis les pieds), et qui est aujourd'hui pointé du doigt par Pablo Longoria pour ses débordements ? La réponse se trouve peut-être dans ses relations avec les dirigeants successifs du club, qui n'ont jamais trop su comment manoeuvrer ce personnage éruptif, grande gueule et charismatique. Son nom est revenu à plusieurs reprises en marge de l'enquête sur les soupçons de transferts douteux de l'OM, qui a duré des années avant de déboucher sur un non-lieu général en mai 2022. Une enquête qui, au fil des écoutes téléphoniques et des auditions des uns et des autres qui ont rythmé le quotidien de la police parisienne et marseillaise pendant plus de sept ans, s'était intéressée de très près aux activités des South Winners.
Entendu par la PJ (la police judiciaire), Pape Diouf s'était ainsi souvenu de ces « groupes de pression », avec des « réactions assez mâles, assez viriles. Il fallait calmer les excès et arriver à convaincre que nous étions là, à côté d'eux, avec eux, pour résoudre les problèmes auxquels ils étaient confrontés, mais que tout n'était pas possible et qu'il fallait qu'ils l'intègrent dans leur raisonnement. »
Zeroual « écrasait la concurrence (...) Peu de monde pouvait lui tenir tête à l'époque du fait de son aura », se souvient un ancien cadre de la sécurité de l'OM auprès des policiers. « Il fait sa vie dans nos locaux », dit pour sa part Séverine Grandemange, responsable contrôle de gestion du groupe de 2005 à 2007. Antoine Veyrat, directeur général de l'OM entre 2008 et 2011, admet même, avec Jean-Claude Dassier (président du club de 2009 à 2011), lui avoir rédigé des attestations auprès de la justice, « en vue de s'en porter garant, dans le but d'obtenir un allègement de son contrôle judiciaire ». Zeroual était alors empêtré dans une affaire de violences. Ces courriers « ne représentent pas mes convictions », ose Veyrat, mais ont été rédigés pour « acheter ses bonnes grâces ». « Rachid est quelqu'un qui peut vous polluer la vie », conclut-il.
La complicité de Zeroual avec José Anigo plonge le leader des South Winners au milieu d'une guerre avec Didier Deschamps, qui atteint son point d'orgue lorsque le groupe de supporters décide, en mars 2012, de déployer une banderole dans le virage : « Deschamps et tes joueurs, cassez-vous. » La sécurité s'était montrée très lente pour la faire retirer, et des écoutes téléphoniques montreront qu'Anigo était au courant dès 17 h 18 ce jour-là. Mieux encore, il avait, semble-t-il, encouragé les supporters, les jours précédents, à se montrer plus vindicatifs vis-à-vis de l'entraîneur de l'OM (de 2009 à 2012). Furieux, Deschamps, sur écoute, aura ces propos : « C'est les supporters qui dirigent le club, quoi ! » Accusant sa direction de s'écraser devant les South Winners de Zeroual, il a aussi cette remarque, à l'adresse de son agent Jean-Pierre Bernès : « Ils ont une peur bleue, quoi. Je te dis, ils font les durs, les cadors avec des gens faibles. Putain, ils s'écrasent tous comme des... »
Colette Cataldo, 82 ans, une des plus anciennes supportrices de l'OM, toujours en tribunes, pestait elle aussi à l'époque contre les stadiers qui lui avaient fait enlever une banderole en faveur de Deschamps. « Je n'étais pas téléguidée (...) C'est de la chamaillerie marseillaise. Chacun veut démontrer qu'il a les supporters avec lui », évacue Zeroual.
L'anecdote fait marrer Christophe Galtier, qui a travaillé pour l'OM de 1999 à 2001, et qui a lui aussi été entendu par la police. « On ne peut pas me faire croire que le club n'était pas au courant. En effet, dans tous les clubs que j'ai pu faire dans ma carrière, à chaque fois qu'il y a eu une banderole, le club a été mis au courant. De plus, la sécurité aurait pu faire enlever la banderole très rapidement. » Et de conclure : « À l'OM, on achète la paix sociale. »
La proximité d'Anigo et de Zeroual fait jaser au point qu'une inscription apparaît sur un mur, sur la route de la commanderie, pendant une partie de l'année 2012 : « José, arrête de sucer la b*** à Rachid (SW). » « Les gens fantasment ma relation avec Anigo », réplique celui-ci, devant les enquêteurs. L'homme se montre en revanche embarrassé quand les policiers commencent à faire la liste des fonctions rémunérées qu'il a occupées autour de l'OM. Capable par exemple d'une certaine prouesse, en étant à la fois un leader des South Winners et salarié du club pendant deux ou trois ans, chargé du relationnel avec les supporters. Un « conflit d'intérêts », remarque la PJ. « Je ne privilégiais pas les South Winners (...) Je sais faire la part des choses », répond-il. Ce sont en tout cas « les sous du licenciement », selon ses mots, qui lui permettront, avec un crédit, d'acquérir une villa cossue près de Marseille.
En janvier 2017, le parquet autorise les juges d'instruction, qui étaient initialement désignés pour mener des investigations sur des transferts douteux, à élargir leur enquête à des soupçons d'abus de biens sociaux au préjudice de l'OM et au bénéfice de Zeroual et de Kebaili, les deux patrons des South Winners. Comme l'a révélé le Monde, entre 2008 et 2013, le groupe de supporters a viré 370 533 euros sur le compte d'une société espagnole, César Éditions, qui édite le magazine OM Plus. Sur cette somme, Zeroual en a touché 140 914 euros et Kebaili 96 000 euros. « L'association, elle vivait bien. On m'avait dit que ce n'était pas interdit par la loi, et vu que j'avais besoin de vivre, j'ai fait comme ça », se défend le supporter. Et quand son ami, interrogé à son tour, concède que c'était quand même grassement rémunéré au vu du peu de boulot effectué, Zeroual le recadre : « Dany n'a pas la notion du temps. »
En 2013, une autre société est créée, ZAK.com. En février 2013, ZAK prend ainsi en main une exposition photo organisée au pavillon M pour les 20 ans de la victoire en Ligue des champions. Deux fresques sont également réalisées sur les murs du centre d'entraînement Robert-Louis-Dreyfus. Facturées 33 000 euros par l'artiste, elles seront refacturé par ZAK.com 69 368 euros à l'OM, soit une belle marge de 81 %, « semblant ainsi mettre en évidence une surfacturation inexpliquée », selon les policiers.
La suite est plus mystérieuse. D'avril 2013 à juin 2015, l'OM débourse 173 780 euros de prestations, justifiées par des conventions d'assistance et de conseil. « Tout laisse à penser que la majorité de ces factures sont sans objet réel, pour un montant de 137 900 euros », appuient les policiers, qui évoquent un « enrichissement personnel des dirigeants des South Winners au préjudice de l'OM ».
Des liens étroits avec les politiques locaux
« De la même façon, entre juin 2015 et mars 2016, ZAK.com perçoit 55 000 euros des South Winners pour un projet de magazine qui ne s'est pas fait. Ces fonds ont permis de payer les salaires des deux associés et de régler les charges de la société », conclut la PJ en mai 2019. Une fois encore, sur le sujet, Kebaili est plus disert que son ami Zeroual. Alors que le second explique avoir beaucoup travaillé - « J'ai fourni un travail, j'ai été rémunéré pour », le premier admet avoir travaillé « à blanc en 2014 » et qu'en 2015, « la société n'a rien fait ». Avant de tempérer aussitôt : « Ce n'était pas des factures en bois. Les mois passaient et on avançait pas dans nos projets artistiques (le Musée de l'OM, la Maison des supporters) et on continuait de facturer l'OM. » « J'avais plus la tête dans le boulot que dans la comptabilité », dit pour sa part Zeroual. Tous deux jurent ne pas avoir pris un euro sur le dos de l'OM et assurent que ZAK.com était l'idée de... Vincent Labrune, actuel président de la LFP (Ligue de football professionnel) et ancien président de l'Olympique de Marseille (de 2011 à 2016). « Labrune ne voulait pas que je reprenne le relationnel des supporters avec mes antécédents. Il m'a dit de monter une société », jure Zeroual.
« L'OM ne voulait pas embaucher Rachid, renchérit Kebaili. Au départ, Labrune a voulu nous rendre service, Rachid et moi, on ne bossait pas. C'est vrai qu'à ce moment-là, il n'y avait pas des besoins réels pour l'OM. Mais une fois que la société a été montée, on s'est rendus utiles. Peut-être que Labrune a voulu nous avoir dans la poche, notamment pour les conventions qui suivaient, surtout qu'à ce moment-là, nos relations avec lui se tendaient. Si on avait des projets communs, ça gueulait moins entre la direction et les South Winners. » Une version vivement démentie par Labrune, qui assure ne pas être à l'origine de cette collaboration « ponctuelle », et qui correspondait par ailleurs à de vraies réalisations. Il assure à L'Équipe ne pas avoir eu connaissance de conventions fictives et rappelle, au passage, que c'est sous sa présidence que l'OM a récupéré la commercialisation des abonnements au Vélodrome, gérée avant 2016 par les supporters. Contactée, l'avocate de Zeroual, Me Tiphaine Remy, indique qu'il n'y a « pas eu de suite à cette affaire. Rachid Zeroual a toujours contesté les faits ». Kebaili n'a pas répondu à nos sollicitations. Aucun des deux hommes n'a été mis en examen pour ces faits.
Ainsi va la vie des ultras à l'OM. Réprimés, cajolés. « Mais personne ne peut vraiment comprendre ce qui s'y passe sans connaître les liens très forts qui unissent certains ultras avec les politiques locaux », assure un observateur avisé. On a vu, ces dernières années, des groupes de supporters coller des affiches lors d'élections ou accompagner les personnes âgées au bureau de vote. Les liens des ultras avec l'adjointe au maire de Marseille, Samia Ghali, ou la présidente de la métropole Aix-Marseille, Martine Vassal, sont notoires. Et c'est encore Zeroual qu'Emmanuel Macron, le président de la République, a trouvé sur sa route lors de sa visite à Marseille en juin, malgré un très important dispositif de sécurité. Mais sous l'oeil bienveillant de la députée de Marseille, Sabrina Agresti-Roubache, aujourd'hui secrétaire d'État à la ville. « Aidez-nous à trouver des repreneurs. Aidez-nous, on souffre ! », a lancé l'ultra au président, devant les caméras de télévision.
« Ils n'auraient pas ce comportement s'ils n'étaient pas assurés du soutien des politiques locaux sur l'ensemble de l'arc républicain », analyse un observateur. Aux policiers, Veyrat avait eu cette anecdote : « Une fois, en arrivant à la Commanderie après avoir déjeuné dans un restaurant près du tribunal, Guy Casadamont (ancien responsable de la sécurité) m'interpelle en m'indiquant que des supporters me cherchaient pour me "casser la gueule". Ces derniers m'avaient vu sortir du parking du tribunal et pensaient que j'avais témoigné contre Zeroual, qui était présent au tribunal ce jour-là (...) Cela montre que des gens me reconnaissent dans la rue et me surveillent (...) Cela contribue à l'ambiance. »
Réaction immédiate de Zeroual : « C'est le plus gros des mythos de la terre ! À aucun moment les mecs de chez moi ne vont mettre la pression à qui que ce soit. Ils savent très bien que s'ils font quoi que ce soit, ils me font du mal à moi, mais aussi à l'association. » Et sans doute aussi, au passage, à l'Olympique de Marseille.