Rachid Zeroual, l'ange noir du VélodromeDepuis trente-cinq ans, et sans jamais avoir été officiellement président, le sulfureux et puissant leader des South Winners brûle son énergie pour assurer la suprématie de son groupe de supporters au Vélodrome. Lundi soir, chef de file de la contestation des groupes, il a critiqué vertement la gestion de Pablo Longoria.
Ce portrait avait d'abord été publié en juillet 2017 dans L'Équipe. Nous le republions avec quelques mises à jour après la réunion du lundi 18 septembre entre la direction de l'OM et les groupes de supporters qui a eu pour conséquence l'exercice du droit de retrait du Directoire, Pablo Longoria en tête.
Dimanche avant le match contre Toulouse, Rachid Zeroual a rencontré Christophe Bourguignon. Un mois plus tôt, quelques minutes après le coup de sifflet final d'OM-Panathinaïkos (2-1), une grosse bagarre avait eu lieu entre les groupes qu'ils dirigent, les South Winners, en haut du virage sud, et le CU84, en bas de la tribune. Une réunion de réconciliation avait eu lieu quelques jours plus tard à la Commanderie, et Zeroual avait joué la carte de l'apaisement et des torts reconnus.
Mais à l'heure d'accueillir Toulouse, il bouillonne et veut évoquer la gestion du club avec les Ultras de « Bourgui », comme il l'a fait avec d'autres clubs. À propos de Pablo Longoria, il évoque un « manager » plutôt qu'un « président », un mercenaire s'y connaissant parfaitement en recrutement mais sans racines à plonger dans le terreau marseillais. Il a recueilli des témoignages et des documents sur sa politique et celle de ses acolytes, il veut les partager. Toutes les associations suivront, et afficheront un front uni contre la direction lors du rendez-vous de lundi après-midi, dépassant la simple remise en question du style Marcelino, qualifié sommairement « d'entraîneur de DH ». Zeroual a été intense, comme d'habitude. On ne va pas le refaire à la cinquantaine passée.
Rongé par la maladie mais toujours dans la mêlée
Le patron des Winners, 7000 abonnés au Vélodrome, est d'abord un survivant, à l'avenir incertain, alors il jette toutes ses forces dans ses batailles. Ses médecins ont lâché l'affaire depuis longtemps. On n'impose rien à Rachid Zeroual, surtout quand l'OM est en jeu. Rongé par la maladie depuis le printemps 2016, il faisait, un an plus tard, des journées de quatorze heures dans le hall 7 du parc Chanot, guidant ses Winners dans la confection d'un tifo en trois dimensions pour les trente ans du groupe. Et, le 14 mai 2017, à Bordeaux, il était encore au coeur de la mêlée.
Son groupe se frottait aux Yankees pour une histoire d'emplacement et de bâchage, et les stadiers de l'OM peinaient à contenir le bouillonnement. Zeroual a fait le médiateur. Ce moment précis où la passion de l'OM peut déborder en folie furieuse pour un mot ou un regard de trop, il l'a autant désiré que chassé toute sa vie. « Rachid est encore plus costaud que je ne le croyais, dit alors Serge Botey, ex-adjoint à la culture à la mairie de Marseille et membre du cabinet de Jean-Claude Gaudin. Je le considère comme un fils, il a pris un TGV dans la tête avec la maladie, mais il ne s'apitoie jamais sur son sort. Je lui répète souvent de ne pas oublier qu'il a une histoire personnelle à construire avec une femme et des enfants qui l'aiment. »
Maison de redressement
Pour le gamin des cités Maison-Blanche puis Jean-Jaurès, dans le XIVe arrondissement de Marseille, l'histoire personnelle s'est accélérée à la Sarriette, dans les environs d'Aix-en-Provence. Un nom bucolique pour une maison de redressement où sont rassemblés des adolescents bien trop turbulents pour les établissements scolaires. À 11 ans, Zeroual y rencontre Dany Kebaïli, les deux compères ne se quitteront plus.
La Sarriette devient leur royaume, ils font marrer le dortoir, règlent les problèmes dans la cour et, pour protester contre une punition, ils orchestrent la fugue nocturne d'une centaine de pensionnaires, direction le centre-ville d'Aix. Ils sont virés le lendemain, retour dans la nature à 16 ans. « Rachid devient menuisier, il est très manuel, mais, surtout, le cerveau va vite, confie Kebaïli, président des Winners depuis 2009. Il pigeait tout, la mécanique, l'électricité... Un prof lui avait dit : "Tu peux être fort dans le corps de métier que tu veux." Je l'aurais bien vu compagnon du Tour de France. »
Au printemps de 1987, Zeroual va choisir un autre compagnonnage, après avoir suivi Kebaïli dans un recoin du virage sud. Les Ultras ont permis à quelques copains du lycée Victor-Hugo de squatter dans leur zone avec un tambour ou deux. Les Winners sont nés, ils retourneront bientôt leurs bombers pour se distinguer des « fafs » des clubs adverses et les rosser à l'occasion. Dans le garage qui sert de local, du côté du boulevard National, Zeroual étale ses talents d'organisateur.
« C'était un casse-couilles, très perfectionniste sur les tifos, confie Robert, membre de 1987 à 1997. Pendant le match, il était très sérieux dans ce qu'il faisait, il déconnait après. » Zeroual ne craint rien, ni personne. Un copain se souvient d'un conseil à l'aube d'une possible baston : « Tu gardes les poings bien serrés, il faut frapper pour coucher le mec direct. » Un jour, en quart de virage Jean-Bouin, le garde du corps de Renaud bondit : Zeroual et trois gaillards se rapprochent à toute vitesse. Fausse alerte. Le chanteur est invité à venir soutenir dans le virage sud, il accepte cet immense honneur.
Dopés par la musique de la Mano Negra, qui tournera son clip Santa Maradona dans le pesage sud en 1993, et par quelques produits stupéfiants, les Winners ont une énergie dévastatrice. « Quand l'OM était en D2, à lutter pour sa survie, il fallait voir Rachid arriver en déplacement à Charleville, Mulhouse ou Laval, des terres inconnues : il prenait son bulldozer et il créait son virage dans le stade », se souvient l'éditeur Jean-Michel Ripa, président de l'OM pendant le premier semestre 1995. Avec sa bande, Zeroual retape un local au marteau-piqueur dans le quartier du Panier. Les Winners se structurent, non sans heurts.
Président de l'association des amis de Di Meco, support administratif des Winners créé en 1993, le capo Patrice De Peretti claque la porte en 1994. Il prend son mégaphone et s'en va créer les Marseille Trop Puissant (MTP) à la Plaine. « Dans l'imagerie collective, De Peretti va devenir l'ange blanc du Vélodrome, et Rachid l'ange noir, note un intime des Winners. On les a opposés, alors qu'ils aimaient autant l'OM, partageaient beaucoup de qualités et d'excès. » Ancien directeur de la sécurité (1996-2000), Serge Marchetti ne masque pas sa complicité avec ses leaders : « Ils me rendaient fous, toujours à réclamer des places. Quand Rachid en avait 300 de plus, Depé venait m'en demander autant. »
Les élus le cajolent
De Peretti, à la fin des années 1990, comme Zeroual, au début de la décennie suivante, seront ainsi salariés du club. Le premier décédera prématurément en juillet 2000, le second deviendra un politicien roué et redouté. Les élus, comme le maire, Jean-Claude Gaudin (LR), ou le président alors socialiste du conseil général, Jean-Noël Guérini, le cajolent, veulent s'en servir comme agent électoral auprès de ses 5 000 Winners (6 000 cette saison) et Zeroual le comprend vite. Pour avoir la paix sociale, il faut l'avoir lui.
En 2001, pour son nouveau siège à la Belle-de-Mai, il sollicite un prêt de 45 000 euros auprès de Robert Louis-Dreyfus, qu'il lui remboursera un an plus tard, avec en prime une boîte de Cohiba. « Quand je suis devenu président de l'OM, en juin 2009, on m'a conseillé de le rencontrer, explique Jean-Claude Dassier. Il avait une mauvaise réputation, mais j'ai découvert un personnage intéressant. Nous avons toujours eu de bons rapports, il a eu la courtoisie de m'appeler plusieurs fois après mon débarquement. »
En mai 2010, Dassier fera écrire à une juge pour que Zeroual, alors incarcéré, puisse assister à la fête du club pour le titre de champion. À son arrivée, en 2011, Vincent Labrune a eu droit à son déjeuner, par l'entremise du directeur sportif José Anigo. Le courant passera bien un temps, Zeroual compare le communicant au personnage campé par Brad Pitt dans le Stratège. Son influence agace Didier Deschamps, alors entraîneur de l'OM, surtout quand il le croise au centre d'entraînement. « Tu sais qui c'est, Rachid ? C'est le seul qui tient José par les couilles, quoi... », tonne DD lors d'une conversation téléphonique avec Jean-Pierre Bernès, début 2012. L'agent et ancien dirigeant de l'OM version Tapie aura cette jolie réponse : « Et moi, je peux même pas venir boire un café (à la Commanderie) ! C'est rare ! »
Le commissaire viendra en personne vérifier qu'il n'est pas à la finale PSG-OM
Bernès fait des affaires depuis sa villa de Cassis, il a tissé son réseau dans tout le foot français, il épaule Deschamps au quotidien. Zeroual, lui, accueille des SDF dans son local, a emmené des générations de jeunes des quartiers en déplacement, a multiplié les barbecues dans la rue, trouvé des emplois pour des Cotorep et même craqué des fumigènes à Noailles pour l'ouverture de Marseille 2013, capitale de la culture. L'OM, son pouvoir, a transcendé les deux hommes, les a abîmés et ils ont fini par faire un séjour derrière les barreaux. Fondateur du groupe, président des Winners de 1994 à 2009, Didier Mattera a pris trois mois ferme après la bagarre d'octobre 2003, contre les MTP. « Ils ont porté plainte nommément, nous contre X », souffle l'ancien responsable, pourtant guère concerné par les faits.
Dans le lot, on retrouve surtout Zeroual, son neveu Youssef, Philippe D., dit Banane, qui seront tous impliqués dans une nouvelle bagarre contre des membres de la Cosa Ultras en 2009. Christophe Bouchet, président de l'époque, charge les Winners auprès des magistrats, licencie Zeroual, alors en charge au club des relations avec les supporters. Châtaignes comprises. Il fera quatre mois de prison ferme et sera interdit de stade pendant trois ans. À la mi-temps des matches de l'OM, il doit pointer à l'Évêché (le commissariat central), et une commissaire viendra en personne s'assurer qu'il est bien à Marseille lors de la finale de la Coupe de France 2006 entre le PSG et l'OM.
« Je suis du côté de l'ordre et de la justice, explique Serge Botey. Je l'avais expliqué aux autorités, s'il faut lui porter des oranges, je lui porterai des oranges. Rachid, je lui répète : "Tu as souvent raison au début, souvent tort à la fin, car tu délaisses le dialogue." Il aurait pu finir dirigeant du club. Mais les fils ne suivent pas toujours ce que dit leur père. » Sans la tolérer, les proches de Zeroual expliquent cette violence comme un mal nécessaire, dans un registre très marseillais : autrefois, ce n'était pas avec des fleurs qu'on cassait les grèves sur les ports ou qu'on perturbait les meetings de l'adversaire politique.
Le défaiseur de roi
« Il y a plein de petits requins qui tournent autour du requin blanc, il doit se faire respecter », explique Robert, qui a fait le choix de partir à cause d'une hiérarchisation étouffante, trop éloignée des clichés sur Che Guevara. « Le clientélisme ? Guérini fut sans cesse sollicité pour des métiers, un appartement. Le leader de groupe l'est pour des places, des arrangements », explique Mattera. « Rachid est une main de velours dans un gant de fer. Dans ce milieu, vous leur donnez une jambe, ils vous en prennent deux, ajoute Ripa. Il faut durer dans un groupe associant tous les niveaux intellectuels. » Certains lisent Pif Gadget, d'autres Nietzsche, tous sont des Gremlins, un surnom des Winners, ces créatures adorables qui peuvent devenir hideuses.
Que retiendra-t-on de Zeroual ? L'oecuménique, prêt à suivre Francis Lalanne en Corée (voir plus bas) ? La tête brûlée qui embarque un pote journaliste dans le coffre de sa voiture pour qu'il puisse accéder au bâtiment sportif de la Commanderie ? Le dirigeant hégémonique, qui gueule lors des réunions avec la direction, parfois de façon théâtrale, car il a déjà trouvé un accord la veille ?
Il aura été le premier à proposer la reprise en main des abonnements en virages par le club, « car il y avait trop de fantasmes sur ce point », dit Botey. Avec sa troupe, filou, il n'avait pu s'empêcher d'organiser un spectacle pyrotechnique illégal lors d'un OM-Bastia (1-0), le 20 mai 2017, déclenchant la fureur du nouveau président Eyraud. La fin de l'épisode « JHE » en janvier 2021 sera autrement spectaculaire. L'ancien boss marseillais a vite compris ce que son successeur sait désormais : à ce poste vous pouvez vivre l'enfer ou le paradis, et c'est souvent Rachid Zeroual qui choisit.
Avec Francis Lalanne, l'improbable voyage asiatique
En 2002, le chanteur fana des Bleus monte un voyage pour la Coupe du monde en Corée du Sud, qui rassemblerait des ultras de plusieurs clubs. Sans se soucier des critiques à Marseille d'un road trip de « footix », Zeroual et sept Winners vont rejoindre la quarantaine de fans en vadrouille : il y a des Stéphanois, des Lensois, des Messins, des Lyonnais, dont des Bad Gones, des Niçois de la Brigade Sud, des Parisiens, un Boulogne Boy compris ! Ils vont être hébergés dans une ville près de la frontière nord-coréenne, vont tisser des liens profonds, au point de se revoir plus tard. Au bout de cinq jours dantesques, Zeroual abandonne Lalanne, pas sa tasse de thé. Mais il essaiera de créer un conseil national des Ultras, avec la bénédiction de Frédéric Thiriez, invité aux vingt ans des Winners. En vain.