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À l’OM, Zeroual et les ultras au cœur du chaos
Véritable figure à Marseille et à l’initiative de la réunion houleuse avec les supporters, Rachid Zeroual, le patron des South Winners, a une influence importante sur la vie du club.
Xavier Condamine, Correspondant À Marseille (bouches-Du-Rhône)
Le souvenir est encore vivace chez les fidèles. Le 28 mars 2012, l’OM affronte le Bayern Munich (0-2) en quart de finale aller de Ligue des champions. Dans le virage sud, trois groupes de supporteurs — South Winners, Commando Ultra’84, Club des Amis de l’OM — mettent à l’envers leur bâche, un signe de contestation dans la culture ultra. Sur la partie supérieure de la tribune, une banderole explicite est accrochée : « Deschamps et tes joueurs : cassez-vous ! »
L’acte précède la parole : le virage entier fera la grève des encouragements dans un match pourtant important dans l’histoire de l’institution. Lancée par les Winners, la fronde touche à son but avec le départ en juillet 2012 de l’actuel sélectionneur des Bleus, qui avait pourtant ramené 6 titres en trois ans, alors en bisbille avec le directeur sportif de l’époque, José Anigo, soutenu par le groupe ultra à la couleur orange déjà commandé par Rachid Zeroual. Dans un reportage pour le magazine « Pièces à conviction », Zeroual racontera plus tard avoir intimidé Deschamps pour obtenir son départ. « Je lui ai donné un conseil, celui de quitter l’OM… Je lui ai dit que je lui décapsulerais la tête de ses épaules. »
26 000 abonnés dans les deux virages
À l’époque, au mégaphone, il insultait l’ancienne propriétaire Margarita Louis-Dreyfus pendant les matchs au Vélodrome. Plus récemment, en juin dernier, lors de la visite du chef de l’État à Marseille, il avait interpellé le président Macron pour lui demander de trouver un repreneur à l’OM.
La réunion houleuse entre les leaders des groupes de supporteurs et le directoire, lundi soir, qui a mené à la mise en retrait de ce dernier et in fine à la démission de l’entraîneur Marcelino, a de nouveau illustré l’influence majeure des associations sur le club olympien. Même si Rachid Zeroual et les ultras nient les menaces de mort contre les dirigeants.
« À aucun moment nous n’avons proféré des menaces de mort ni demandé la démission de Marcelino », assurent mercredi à l’AFP les dirigeants de deux clubs de supporters de l’OM, les South Winners et les Dodger’s. « Nous voulons rencontrer l’actionnaire principal qui est Frank McCourt : il faut qu’il vienne au plus rapide pour écouter ce qu’on a à lui dire », réclame Rachid Zeroual, à la tête des South Winners
Les nombreux précédents révèlent une vraie coutume de la contestation, alors que l’OM va démarrer sa campagne de Ligue Europa ce jeudi contre l’Ajax sans entraîneur sur le banc, même si Jacques Abardonado devrait assurer l’intérim du coach espagnol.
Ces événements prouvent une nouvelle fois le pouvoir des associations dans une ville où la culture ultra est très développée, avec sept groupes, dont cinq (Winners, Ultras, Dodgers, MTP et Fanatics) se revendiquant du mouvement. En parcage à l’extérieur ou au Vélodrome, il est usuel d’apercevoir les nombreuses bâches des groupes mises en avant. Ils représentent environ 26 000 abonnés dans les deux virages, un chiffre colossal, unique en France, voire en Europe. Fondés pour la plupart dans les années 1980-1990 (CU en 1984, Winners en 1987, Fanatics en 1988, Dodgers en 1992, MTP en 1994), ils font partie du paysage local.
Catalyseurs de la contestation
« L’évolution des implantations des clubs ultras en France témoigne de l’essor de ces associations de jeunes supporteurs, a fortiori à Marseille où celles-ci se sont assuré un budget confortable en contrôlant la billetterie des virages : ce privilège, unique au monde, leur avait été concédé par Bernard Tapie, président du club de 1986 à 1993. Les clubs de supporteurs vendaient les abonnements à un tarif préférentiel et prélevaient, en sus, une dîme, correspondant au montant de l’adhésion à leur formation, relate l’ethnologue Christian Bromberger. L’auteur de l’ouvrage « le Match de football : Ethnologie d’une passion partisane à Marseille » poursuit : « Cette faveur octroyée par Bernard Tapie (dans un but de paix sociale ?) a permis à ces clubs de devenir de petites entreprises florissantes : leurs sièges sont de vastes locaux avec salles de réunion, de télévision, bar, bureaux des responsables dont quelques-uns sont salariés, professionnels du supportérisme en somme. Ce régime de faveur, défendu avec acharnement par les clubs de supporteurs mais régulièrement remis en cause par les instances dirigeantes de l’OM, a pris fin en 2016. »
Au fil des années, ces groupes ont acquis un pouvoir certain sur le club, les Winners et leur iconique vice-président, Rachid Zeroual, étant régulièrement à la baguette. Lors de l’attaque de la Commanderie le 31 janvier 2021, le patron du plus gros groupe de l’Hexagone (7 200 adhérents) avait initié la rébellion et rassemblé les autres associations en vue d’obtenir le départ de Jacques-Henri Eyraud.
« À son arrivée à la tête de l’OM, Bernard Tapie avait lâché cette phrase : Laissez-moi gérer le club, je vous laisse gérer le stade. À partir de là, tu considères qu’il y a deux territoires : l’OM et le Vélodrome. Au début, ça se passait bien, même si on pouvait déjà observer des luttes d’influence et de pouvoir entre les groupes, puis ça s’est progressivement amplifié avec les Winners, alors en plein essor. L’ancien président Jean-Michel Roussier (1995-1999) a été le premier à subir le système. Et beaucoup de présidents se sont faits ami-ami avec les Winners pour avoir la paix sociale », confie un observateur avisé des tribunes du Vélodrome. Il poursuit : « En résumé, tous les groupes peuvent s’exprimer mais les Winners et Rachid ont le dernier mot. Aujourd’hui, les groupes peuvent être comparés à des syndicats, comme dans toute entreprise. » La suite ? « C’est la première fois que je suis inquiet. Par le passé, j’ai trouvé que c’était souvent légitime. On virait des dirigeants incompétents grâce aux groupes, mais si on commence à dégager des gens compétents , je ne sais pas où on va aller », souffle notre témoin. Les turbulences ne font que commencer.
Rachid Zeroual, vice-président des Winners, est un acteur majeur de la vie de l’OM.
Le Parisien