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Avant le procès de l'affaire Kenzo, retour sur la soirée tendue, minute par minute
Plus de deux mois après l'agression de la famille du jeune fan de l'OM atteint d'un cancer, trois supporters d'Ajaccio doivent être jugés ce vendredi. « L'Équipe » a tenté de reconstituer les faits dans l'ordre chronologique.
Ce vendredi matin, quatre jours après - hasard du calendrier - les débordements d'ACA-Bordeaux, trois supporters ajacciens sont convoqués devant le tribunal de la ville dans le cadre de « l'affaire Kenzo », du nom du garçon dont la famille avait été agressée lors de la réception de l'OM, début juin.
En cette dernière journée, les deux clubs n'ont plus rien à jouer. Ajaccio est relégué, Marseille certain de finir troisième. Mais le contexte est tendu : l'OM reste sur deux défaites, loin du sprint final rêvé, et, à l'ACA, le torchon brûle entre les joueurs et les tribunes. La présence des fans marseillais est encadrée. Ce qui n'empêchera pas les incidents, dès la veille du match. Au stade, la tension monte encore à l'approche de la rencontre. Les supporters phocéens sont accueillis par des jets de projectiles. Des cris de singe, aussi. Le parcage transpire la rage, la sécurité se débat. Et, en un rien de temps, la famille du petit Kenzo devient une victime collatérale.
Âgé de 8 ans, atteint d'un cancer du cerveau, le garçon, grand fan de l'OM, a débarqué en avion dès le vendredi à Ajaccio, avec ses parents et son petit frère, invités par une association caritative. Ils se baladent en voiture de location, séjournent à l'hôtel, sortent les boules de pétanque, trinquent avec des amis.
Le samedi, ils se garent et scrutent l'arrivée du car olympien, sans signe distinctif. Puis ils rejoignent la loge Air Corsica, réservée à eux quatre, aux environs de 19 h 40. C'est l'heure d'enfiler, pour le papa et le fiston, le maillot de Marseille. Sauf que le balcon donne sur un des parkings où des Ajacciens sont rassemblés. Certains aperçoivent la tunique adverse. Les injures fusent. Le père embrasse l'écusson étoilé. Chambrage de trop.
Deux coups de poing et un maillot arraché
19 h 58. Tandis que la mère est redescendue aux guichets, trois individus vêtus de noir font irruption et grimpent un escalier à toute vitesse. Deux filent en face et le troisième force, l'épaule en avant, la première porte venue. C'est la loge de Kenzo. Il entre sans tarder, ses deux acolytes le rejoignent, en compagnie d'un quatrième homme, monté plus tard. Ils resteront quinze secondes, pas une de plus, et repartiront, un maillot à la main, en croisant la maman, revenue affolée.
20 h 22. Une journaliste suiveuse de l'OM et proche de la famille prend des nouvelles de leur séjour, par texto, auprès de la mère. Réponse déconcertante : « On s'est fait agresser ». En attente des pompiers, cette dernière énumère, toujours par message, deux coups de poing dans la tête de son mari et un maillot arraché à son fils aîné pour le brûler. Le père est blessé au nez, Kenzo a le visage rougi et égratigné, probablement à cause de la bousculade.
21 h 50. À la mi-temps, et après une première publication inexacte supprimée, la reporter rapporte les faits sur son compte Twitter personnel. Le message prend une tournure virale sur les réseaux, relayé par la communauté marseillaise. La machine médiatique s'emballe, toujours plus les jours suivants, poussant le président de la République Emmanuel Macron, la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra ou encore le président de la LFP Vincent Labrune à apporter leur soutien.
Dans le feu de l'action, la nature des faits reprochés a parfois été diluée au milieu du brouhaha et des revirements de position. La réalité du dossier judiciaire, elle, est moins divergente. Une fois secourue, la famille reste au stade, conviée dans la loge de l'OM et réconfortée ensuite par les joueurs. Le lendemain, dimanche, en tout début d'après-midi, le père dépose plainte à Ajaccio pour dénoncer les coups reçus, de la part d'une seule personne d'après lui, mais il n'est pas question d'une agression physique ni d'un retrait de maillot pour Kenzo, comme avancé un temps.
La famille rentre en Provence dans la soirée et est auditionnée et auscultée le mardi suivant à Marseille. En Corse, l'enquête de flagrance démarre par l'exploitation de la vidéosurveillance. Un coup de fil anonyme oriente vers une première piste. Finalement, au matin du 12 juin, deux hommes se présentent aux autorités et sont placés en garde à vue, rejoints par deux autres. L'un, pas confondu, sera libéré, les trois autres placés sous contrôle judiciaire et renvoyés, donc, devant le tribunal pour violence aggravée et extorsion. Aucune trace du véritable quatrième individu aperçu sur les bandes.
Tous trois nés en métropole et âgés de 20 ans, les prévenus auraient reconnu leur présence, voire leur virulence, et la prise du maillot du paternel, tout en niant avoir usé de violence. Ce sera l'une des questions à éclaircir à l'audience : que s'est-il vraiment passé dans cette loge de 10 m2, sans témoin ni caméra ? Comment ont-ils pu y accéder si facilement ? Et qu'ont-ils fait de la tunique, promise aux flammes ? Aucun avocat de la défense n'a répondu ou souhaité s'exprimer en amont du procès. Mais ils ont prévu de solliciter une demande de renvoi, ce à quoi le parquet devrait s'opposer.
De leur côté, Mes Pourriere et Pezet, conseils de la famille, comptent notamment s'appuyer sur les constatations médicales et le récit circonstancié de leurs clients, encore remués et qui ne seront pas présents. « C'est une journée qui devait être inoubliable, mais elle ne l'a pas été pour les bonnes raisons, déplorent-ils. Car, pour Kenzo, le foot est avant tout une sorte de remède, une source de motivation. » En dépit d'une vue en déclin, il est retourné depuis au Vélodrome soutenir son équipe de coeur.