Information
Procès des supporteurs de l’OM : «Je me suis laissé déborder par ma passion»
Douze supporteurs du club de foot marseillais ont été condamnés mercredi pour les violents incidents survenus à la Commanderie fin janvier. Deux ont été relaxés.
Y a-t-il eu bande organisée, samedi 30 janvier, pour attaquer la Commanderie, le centre d’entraînement de l’OM ? C’est la question clé qui a occupé durant douze heures les débats au tribunal correctionnel de Marseille, où quatorze supporteurs arrêtés sur place comparaissaient mercredi. Certains pour «dégradations», mais tous pour avoir «participé sciemment à un groupement formé de façon temporaire en vue de la préparation de faits de violences volontaires». Pour tous, le procureur de la République proposait un tarif unique, huit mois de prison avec sursis. Le tribunal s’est montré plus clément, relaxant deux d’entre eux et condamnant onze autres à six mois de prison avec sursis. Un seul prévenu, déjà sous le coup d’un sursis, a écopé d’une peine de trois mois ferme aménageables. Tous sont ressortis libres et soulagés.
Ce n’était pas gagné. Comme trois autres prévenus, Mehdi avait dû attendre l’audience enfermé aux Baumettes. «C’était horrible, ça m’a mis un coup au moral, a confié le jeune homme de 25 ans, au casier jusqu’alors vierge, le premier à prendre la parole. Je ne cautionne vraiment pas ce qu’il s’est passé.» Originaire d’Angoulême, il dit avoir simplement saisi l’occasion de «voir la Commanderie de l’intérieur» et surtout, de prendre quelques photos : «J’ai suivi bêtement, comme un âne, je ne pensais pas que ça allait dégénérer autant.»
En début d’audience, il avait accusé le coup en visionnant le petit film de vingt-cinq minutes monté à partir des images captées par les caméras de surveillance installées sur le site de la Commanderie. Il est 14h35 quand quelque 300 supporteurs arrivent devant le centre d’entraînement pour «manifester leur colère» contre la direction du club. Le président, Jacques-Henri Eyraud, dont les supporteurs réclament depuis des semaines le départ, est tout particulièrement visé, le tout sur fond de mauvais résultats sportifs qui s’enchaînent. Les images captent le cortège de manifestants qui arrive, fumigènes rouges au poing. Sous les fumées qui envahissent l’écran, on voit un groupe de tête passer la barrière de l’entrée principale. Ils seront quelques dizaines au total à pénétrer dans l’enceinte du centre d’entraînement, d’autres s’engouffrant par un trou percé dans le grillage du champ voisin. Bilan : une centaine de fumigènes tirés, des pierres et divers projectiles jetés, cinq cyprès brûlés, trois voitures de police et la Toyota du coach dégradées et plusieurs vitres brisées.
L'un des accusés à la sortie de l'audience.
Velléités de dialogue
C’est pourtant à un rassemblement «pacifiste» que Denis pensait se rendre. Ce cariste de 37 ans, un «amoureux de l’OM» qui vit à Montceau-les-Mines, était arrivé à Marseille le matin même après avoir lu l’appel à manifester dans l’Equipe. «Avec le Covid, on regarde les matchs à la télé, on s’ennuie, confesse-t-il. Je me suis dit : ma place est là. Je voulais apporter ma voix au peuple marseillais. Je pensais qu’un dialogue était possible avec la direction.» «Donc, au milieu des jets de pierres, des fumigènes, vous pensez que c’est propice au dialogue ?» lui renvoie la présidente. «C’est peu propice effectivement… J’ai vite rebroussé chemin.»
Mathieu, 24 ans, est resté sur le site près d’une heure, lui fait remarquer la présidente. Le jeune homme, pas très bavard, ne nie pas, même s’il assure n’avoir fait que regarder. Depuis trois ans, ce dessinateur industriel des Yvelines est encarté chez les Ultras, l’un des groupes de supporteurs résidents du stade. Le 30 janvier, il a pris le train direction Marseille, motivé par un message posté sur Snapchat par un certain Gizmo du CU84 (comprendre Commando Ultras) : «Grosse action à la Commanderie samedi contre la direction et les joueurs.» «Elle a réussi, votre grosse action !» lui lance Olivier Grimaldi, l’avocat de l’OM, partie civile à ce procès, qui avait ricané lorsque Denis avait évoqué ses velléités de dialogue. «Je peux tout entendre, sauf que cette manifestation visait à discuter avec la direction et les joueurs. 300 fumigènes sont tirés avant même de dire bonjour à quelqu’un !» Outre les dégradations causées sur le site, chiffrées pour l’heure à «87 121 euros hors taxe», le préjudice pour le club est «abyssal», affirme-t-il pour demander 140 000 euros en guise de réparation.
Devant la salle d'audience.
«Les gros poissons ne sont pas là»
Difficile pourtant de savoir si les responsables des dégâts sont dans la salle d’audience, à défaut d’éléments matériels. La plupart des prévenus ont été interpellés hors de l’enceinte de la Commanderie, certains assurant même ne jamais y être entré, encore moins avoir dégradé quoi que ce soit. Le seul qui avoue, c’est le plus jeune, Romain, 19 ans, l’un des rares Marseillais de l’histoire qui reconnaît avoir craqué un fumigène et s’en être pris à coups de pied à une voiture de police. L’étudiant en BTS immobilier s’est fait interpeller quelques rues plus loin, vêtu de noir, le visage caché par une capuche et des lunettes. «Vous vous présentez comme un jeune homme sans histoire. Pour que vous soyez galvanisé au point de casser une voiture, c’est que l’ambiance était tendue, suggère la présidente. Vous pensez que tout ça peut dégénérer comme ça, sans un peu de prévision ?» «Je me suis laissé déborder par ma passion et je regrette», répond le jeune homme.
Son cas taraudera encore le procureur de la République lors de son réquisitoire. «J’y comprends rien, lui lance-t-il. Vous n’avez pas de casier, vous êtes du genre à mettre la ceinture dans la voiture, et là, qu’est-ce qu’il s’est passé ? C’est ça, l’effet de groupe.» Pour lui, c’est d’ailleurs «le fait de rester, de faire nombre» qui constitue la preuve de l’infraction, justifiant une peine similaire pour tous. «Quand vous avez des gilets jaunes qui manifestent et que des black blocs cassent tout, est-ce que ceux qui restent pour regarder deviennent coagisseurs ? bondit Nicolas Besset, l’avocat de deux prévenus. Ce sont des gens qui sont venus chacun avec leur motivation.» En évitant la peine collective, le tribunal ne lui donne pas tout à fait tort. «J’ai plus devant moi la photo de classe d’imbéciles que de voyous, note encore pour la défense Ludovic Para. Ceux qu’on a devant nous, c’est ceux qui couraient le moins vite. Les gros poissons ne sont pas là aujourd’hui.» C’est justement les organisateurs du rassemblement que les enquêteurs tentent désormais d’identifier, en cherchant notamment du côté des groupes de supporteurs. Dans leur viseur notamment, le responsable des Ultras, placé en garde à vue, tout comme celui des Winners, quelques jours après les faits. Il comparaîtra le 22 mars, avec quatre autres manifestants.
SARL Libération