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A l’OM, direction et supporters dans un match sans merci (Le Monde)
L’envahissement de son centre d’entraînement samedi 30 janvier exacerbe la volonté du club et des autorités de dompter des groupes d’ultras qui exigent le départ du président Eyraud.
Sur les ponts autoroutiers de Marseille, les banderoles exigeant le départ du président de l’OM, Jacques-Henri Eyraud, se font plus rares ces derniers jours. Une extinction temporaire qu’il ne faudrait pas mal interpréter. Si les slogans sont moins visibles, la haine des supporteurs marseillais pour celui qui pilote depuis quatre ans et demi leur club touche bien son paroxysme.
Elle est dopée par une semaine de chaos qui a vu l’envahissement du centre d’entraînement de La Commanderie, la mise à pied rancunière de l’entraîneur André Villas-Boas, pourtant démissionnaire, puis un match nul heureux à Lens (2-2) mercredi 3 février. Le tout avec à l’horizon un classico à hauts risques, programmé dimanche à 21 heures, contre un Paris-Saint-Germain revanchard.
L’explosion de violence du samedi 30 janvier, où une cinquantaine de supporteurs a forcé les grilles, menacé des joueurs et provoqué d’importants dégâts au siège de l’OM, a surtout fait basculer sur le terrain judiciaire une tension que tout Marseille voyait enfler. « Les flics cherchent à savoir qui était derrière les incidents. On va raser les murs », glisse un ancien du virage Sud, en annulant le rendez-vous pris avec Le Monde. Quelques jours auparavant, le même regrettait sur les réseaux sociaux le manque de fougue de ses camarades dans la protestation. « On ne parle pas. C’est l’omerta », lâche un cadre d’une association du virage Nord.
Regrets mesurés
Parmi les ultras, ceux qui osent encore donner leur point de vue exigent l’anonymat. Et c’est par un communiqué commun, événement rare, que l’ensemble des associations officiellement présentes au Stade-Vélodrome – South Winners, Commando Ultra 84, Fanatics, Marseille Trop Puissant, Amis de l’OM, Dodgers, soit près de 25 000 adhérents – a fait connaître sa position, mercredi 3 février. Des regrets mesurés pour les violences commises – « notre action aurait été encore plus forte sans celles-ci », écrivent les groupes – et une détermination totale à voir le président honni démissionner. « Ce combat se poursuivra tant que nous n’aurons pas obtenu le départ de M. Eyraud », préviennent-ils.
« La présidence de l’OM est en guerre totale avec les groupes et compte utiliser les incidents de La Commanderie à fond », prévient Alain Baduel, avocat historique du Commando Ultra 84 (CU84), le plus ancien des groupes marseillais. Jusqu’à la dissolution évoquée par la préfète de police Frédérique Camilleri ? « Ce serait la pire des solutions » tempère-t-on à l’Olympique de Marseille.
Jeudi, le siège du CU84 et celui des South Winners ont été perquisitionnés. Des ordinateurs saisis. « On n’a jamais été aussi près d’un plan Leproux », s’inquiète un ultra, faisant allusion à l’opération qui, en 2010, avait chassé pour plusieurs années les ultras parisiens du Parc des Princes.
Les débordements de La Commanderie ont-ils été pilotés ? Le président Eyraud le pense. Le parquet, lui, voit dans les « dizaines de fumigènes remis aux participants » la main d’une structure organisée. Lundi 1er février, la comparution immédiate de quatorze supporteurs arrêtés sur place n’a rien éclairé. Les prévenus, dont huit sont maintenus en détention jusqu’au procès fixé au 24 février, ont des profils de lampistes. Originaires d’Angoulême, de Mâcon ou de Montceau-les-Mines, ils ont entendu parler du rassemblement sur les réseaux sociaux. Six toutefois sont bien adhérents du CU84. Dont un déjà condamné pour avoir introduit un fumigène au Stade-Vélodrome. « Ce sont des supporteurs actifs, mais aucun n’appartient au noyau dur de l’association », défend l’avocat Alain Baduel.
En 1999, les supporteurs marseillais avaient déjà fait le coup de poing à La Commanderie, agressant Christophe Dugarry, Robert Pires et leurs coéquipiers. « A l’époque non plus, l’intention n’était pas violente. Mais quand tu réunis 300 personnes pour mettre un coup de pression, forcément, ça déborde », se rappelle un ancien de Marseille Trop Puissant. Chaque semaine, il organise, avec d’autres ultras, des maraudes d’aide aux sans-abri. Une des multiples actions sociales que les supporteurs marseillais ont pris l’habitude d’assurer. Comme d’autres, il voit dans le contexte de la pandémie de Covid-19 une explication au coup de sang : « On ne va plus au stade depuis un an. Cela provoque beaucoup de frustration chez des gens pour qui l’OM est essentiel et qui voient joueurs et dirigeants ne pas respecter nos valeurs. »
Eyraud, l’ennemi commun
A Marseille, l’unique réaction du propriétaire américain de l’OM, Frank McCourt, comparant l’action des supporteurs à l’envahissement du Capitole par les partisans de Donald Trump, a suscité l’incompréhension. Et la longue tirade de son président délégué, sur la chaîne Téléfoot au lendemain des incidents, estimant que « deux visions de l’OM » s’affrontaient – « L’OM qui a fait des grandes choses, qui a gagné des titres (…) et celle de l’OM du chaos, qui a connu vingt entraîneurs en vingt ans, l’OM des magouilles… » – fait encore frissonner bien au-delà des cercles ultra. « Mais qui est ce type pour juger notre histoire ? Quel est son bilan à l’OM ? », rage un membre des Fanatics, groupe fervent du virage Nord.
Au palmarès du président ne figure qu’une finale perdue de Ligue Europa (2018). Avec une situation financière critique, des résultats sportifs irréguliers, une politique de formation peu convaincante et une valse des cadres et salariés, l’entrepreneur est encore loin de cet OM qui « fait des grandes choses » et des ambitions de stabilité affichées avec aplomb à son arrivée. Quant aux projets immobiliers qu’il comptait piloter pour Frank McCourt, notamment autour du Stade-Vélodrome, ils semblent, pour l’instant, enlisés.
S’il affirme recevoir de nombreux messages de soutien, le président de l’OM concentre aussi les griefs. « Quand aurons-nous une direction qui cessera de salir notre ville et notre club ? », s’interroge le sénateur marseillais Jérémy Bacchi (Parti communiste) sur son compte Twitter. « Il est celui qui met la pagaille et doit comprendre qu’il n’est pas à sa place », fustige dans les colonnes de son journal, La Provence, Bernard Tapie, icône locale malgré sa condamnation dans l’affaire VA-OM. Jusqu’à La France insoumise du député Jean-Luc Mélenchon qui réclame le départ d’Eyraud et l’organisation « d’une grande consultation citoyenne » sur l’avenir du club.
Pour le sociologue Ludovic Lestrelin, la faute de l’ancien directeur de la communication d’Eurodisney est l’écho d’un mouvement plus général dans le football français : « Il n’accepte pas que l’OM soit un peu plus qu’une entreprise, avec des dimensions sociales, historiques, culturelles. Et cela est pris par ceux qui aiment le club comme un manque de respect. » « C’est totalement ce que je ressens, souffle un supporter. Pour lui, nous sommes des clients ou des délinquants. »
« Moment charnière »
L’implication sociétale du club est pourtant un des piliers du projet Eyraud, qui a développé, pour ça, les actions d’OM Fondation. Le président aime aussi rappeler que les abonnés des virages – avant le Covid-19 – ne payaient que 9 euros par match. Des arguments qui pèsent peu, quand, parallèlement, il estime dans une prise de parole en décembre 2020, qu’avoir trop de collaborateurs marseillais est « un danger et un risque » pour l’OM.
« Il oublie qu’il fait partie de ceux qui entrent et sortent du club. Et que nous, Marseillais, nous serons toujours là », cingle Samia Ghali, maire adjointe dont la délégation comprend la gestion du Stade-Vélodrome, que la nouvelle majorité promet désormais de vendre. « Une dissolution des groupes, ce n’est pas une situation envisageable », affirme l’ex-sénatrice.
Si certains anciens des virages pensent vivre « un moment charnière pour l’OM et son mouvement de supporteurs », un autre s’interroge : « On voit en façade une belle unité des groupes ultras contre la direction, mais leurs intentions sont-elles aussi pures qu’on veut bien le dire ? Ce ne sont pas quatre défaites d’affilée qui les font monter à La Commanderie… L’enjeu est sûrement ailleurs. »
La peur d’être totalement privés d’une position qui reste lucrative, malgré la reprise en main de la gestion des abonnements par le club en 2016 ? La volonté de faire accélérer une vente, encore évoquée vendredi 5 février et que le propriétaire s’épuise à démentir ? A la veille d’OM-PSG, les supporteurs marseillais savent qu’un nouveau débordement mettrait un terme à leur combat. Ici comme ailleurs, la violence est le talon d’Achille du mouvement ultra. Et rend tous les autres arguments inaudibles.