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Directeur de la sécurité et de la sûreté du club olympien depuis janvier 2017, l'ancien commandant de gendarmerie et ex-membre du GIGN Thierry Aldebert (43 ans) revient sur l'actualité de l'OM, du dialogue sur les fumigènes aux interdictions de déplacement.
Aucun fumigène au Vélodrome depuis le début de saison, c'est une petite victoire pour vous par rapport à l'année dernière ou cela reste fragile ?
Effectivement, il n'y a eu aucun pot de fumée et autres torches. Je ne sais pas si c'est une victoire, je préfère parler de prise de conscience collective. Au-delà des amendes, les groupes ont pris conscience des conséquences sportives sur le club. On ne peut pas aimer un club, vivre sa passion toutes les semaines en se déplaçant partout en France et en Europe pour qu'au final ce comportement soit une nuisance. Les groupes l'ont compris avec les sanctions malheureuses de l'UEFA. La saison dernière a été fabuleuse, effervescente, bouillonnante, mais bouillonnante avec un stade en feu au sens propre comme au figuré. L'UEFA n'a pas plaisanté. On a sans doute pâti du fait que la commission de discipline s'est réunie pour juger plusieurs matches (Leipzig, la double confrontation contre Salzbourg et la finale contre l'Atlético de Madrid, ndlr). Mais la finale a été l'aboutissement négatif ultime du point de vue de l'UEFA, l'OM était dans tous les esprits...
Que pensez-vous de cette situation ?
Fondamentalement, l'OM et les supporters ont le même objectif. Certains aspects du projet peuvent ne pas plaire à tout le monde, mais notre destin est lié. Il n'y a aucune raison de s'opposer. Peut-être que les trajectoires sont différentes. Certains groupes nous disent que craquer des fumigènes est dans leur tradition. On le comprend. Mais en 2018, cette culture ne doit-elle pas évoluer ? Passe-t-elle obligatoirement par le fumigène ? Est-ce essentiel à la survie de ces groupes ? Ou est-ce que l'ADN qui constitue leur ferveur n'est-il pas d'être le douzième homme et de faire en sorte de ne pas nuire à son club ?
Que vous répondent les groupes ?
L'avantage que l'on a à Marseille, c'est qu'il y a un très bon dialogue. On n'est pas souvent d'accord, donc ça gueule ! (rires) Les réunions sont souvent agitées, mais c'est très bien. On parle, et ce n'est pas parce qu'on se crie dessus - sans jamais que ça n'aille jusqu'à l'insulte - qu'on ne conclut pas les réunions avec le sourire et en se disant qu'on avance. On peut dire que c'est une victoire collective. Mais l'élément le plus important est que quand ils veulent, ils peuvent. Et ils nous ont prouvé qu'ils pouvaient le faire. Je les félicite car ce n'est pas simple d'avoir la main sur 6 000 ou 7 000 membres, et je les remercie.
Combien y en a-t-il eu la saison passée ?
1245 engins pyrotechniques sur 62 matches, toutes compétitions confondues (pour près d'1,3 M€ en cumul d'amendes). C'est beaucoup, ce n'est peut-être pas le record et il y avait sans doute plus de fumigènes il y a 20 ans, mais on est en 2018. Les fumigènes sont interdits par la loi. Le gouvernement met la pression sur les instances du foot, qui mettent la pression sur les clubs. Il y a plus de rigueur dans la gestion des dossiers en commission de discipline, et plus de sanctions, avec des limites à l'exercice... Par exemple, les sanctions financières sur un club n'ont aucun impact.
Les sanctions collectives en ont-elles plus ?
Ces sanctions sont toujours un drame, et ne sont pas justes. Que fait-on ? Qu'on le veuille ou non, il y a une part de responsabilités des groupes. Et là, ils ont pris leurs responsabilités.
Comment a évolué votre relation avec eux ?
Il y a eu un grand moment de méfiance, dans un sens comme dans l'autre. Après, j'ai fait la part belle au référent supporters, Hervé Chalchitis. Il est en contact quotidien avec les groupes. Je pense qu'il n'y a jamais eu autant de réunions et d'échanges entre les groupes et le club. Il y a eu des bas, clairement, mais il y a eu des hauts aussi. Certains épisodes ne nous ont pas plu, et on a pris nos responsabilités en les sanctionnant. Je déplore que nous soyons le seul club à le faire.
Je note tout de même que nous n'avons aucun problème de hooliganisme, et aucun problème de racisme. Honnêtement, je ne les remercierai jamais assez pour cela. J'étais à Munich il y a quinze jours pour un séminaire UEFA des clubs européens et quand je vois ce qui se passe en Europe en termes de violence et de racisme, ça fait peur. Nous, on ne gère que de la pyrotechnie.
Allumer un fumigène semble plus grave qu'un salut nazi ou une agression à caractère raciste...
Les instances du football mettent effectivement sur un pied d'égalité un fumigène, un salut nazi et des violences. Il n'y a pas de hiérarchie des normes. C'est très étonnant. Je ne suis pas issu du monde du football et j'ai du mal avec ça. En séminaire, on passe énormément de temps à parler de pyrotechnie alors que, à mon sens et peut-être que je me trompe, on évoque peu les vrais sujets qui sont la gestion de la foule, des flux, des potentiels actes terroristes... C'est invraisemblable !
Comment expliquez-vous la polarisation autour du fumigène ?
C'est interdit et ça peut être dangereux. Personne ne peut dire qu'un objet qui brûle entre 800 et 2 000 degrés dans une foule compacte n'est pas dangereux. Ceux qui les pratiquent disent qu'ils maîtrisent ; c'est vrai qu'à Marseille, je n'ai jamais de blessés. Pour les autorités, c'est une forme de violence.
Où en sont les solutions alternatives ?
Un ingénieur en lien avec Brondby a inventé un fumigène sans chaleur, mais on ne l'a pas testé car ce n'est pas encore au point. Il y a des solutions électriques, comme des boîtes qui font des étincelles. L'OM peut être là pour encadrer et trouver des solutions. On est même prêt à débloquer des fonds pour développer la recherche et aider les groupes. Certains sont en phase avec cela, mais la plupart d'entre eux ne souhaitent pas que le club s'immisce dans leurs animations.
Que leur dites-vous, alors ?
En tant qu'organisateur, nous sommes responsables. On n'a pas la même lecture des événements, même si on peut comprendre leur attitude. Il y a une nécessité de mettre en perspective la responsabilité de chacun. Que fait-on de la responsabilité des groupes en cas d'incident ? Pour l'instant, le club et l'individu qui a commis une infraction sont les seuls poursuivis. Les menaces d'interdiction de participation aux compétitions européennes sont catastrophiques. Les sanctions infligées par l'UEFA ou la LFP, à savoir les huis clos, sont tout aussi catastrophiques. Ce qu'on a vécu contre Francfort, c'est sordide ! C'est dommage qu'un élément d'une culture, aussi ancestrale soit-elle, conduise à cette situation. À partir du moment où le comportement d'une minorité nuit au club et à une majorité de personnes, il faut en prendre conscience. On a reçu de nombreuses lettres d'abonnés et d'adhérents de groupes qui exprimaient leur ras-le-bol des fumigènes. Reste à savoir si on veut tirer par le haut ou par le bas. Certains disent qu'en tirant par le haut, nous ne sommes pas avec certains supporters. C'est faux.
Comment avez-vous géré l'arrivée du CAOM dans le bas du virage Nord ?
Le Club des amis de l'OM est un groupe de supporters comme un autre. Il y a toujours une échelle : si on compare le CAOM aux Fanatics ou au CU84, il y a une différence assez forte en termes d'animations. Pour autant, c'est un groupe très ancien, qui a sa place au Vélodrome, au même titre que les gens de Ganay et Jean-Bouin. Ce sont tous des supporters. Le CAOM était séparé dans les deux virages, et après l'exclusion des Yankee, le groupe a consenti à se réunir dans le bas du virage Nord (le CAOM n'a pas eu d'autre choix). Cela a un impact puisqu'ils ont par moments un manque de légitimité. Mais ils sont en structuration, un capo est en place depuis deux matches et les autres groupes les aident, ce qui me fait plaisir. Il y a un projet.
Quid des Yankee ?
L'OM n'a rien contre les anciens abonnés du groupe, ils sont présents dans tout le stade. Pour le premier match, il y a eu des incidents car ces ex-Yankee voulaient conserver le perchoir et la partie centrale de la tribune. Il y a eu des échauffourées. J'ai eu Michel Tonini pour lui dire que personne n'avait intérêt à ce qu'il y ait des violences contre d'autres supporters et contre les stadiers. Depuis, ça s'est calmé, on a réussi à dialoguer et à rester souple. On a autorisé la bâche "YNM 87", ce qui n'avait pas été le cas contre Toulouse à cause des violences préalables. Il faut que tout le monde reste supporter de l'OM. On est là pour supporter, pas pour casser des dents ou péter des nez !
Un mot sur les déplacements et les interdictions ? Est-ce la solution selon vous ?
C'est un vrai sujet. J'appelle de mes voeux les groupes marseillais à être davantage présents dans les instances nationales. Aujourd'hui, le Handifan est le seul représenté à l'Association nationale des supporters (ANS). Depuis six mois, je dis aux autres responsables de faire entendre leur voix. Je leur ai proposé trois choses : la première, en cas de contentieux, est que les groupes viennent avec nous en réunion préparatoire à la Préfecture. La deuxième concerne la commission de discipline et j'ai pris l'initiative, ce qui n'est jamais arrivé, de les convier aux réunions. Et la troisième est donc de participer aux débats nationaux. Il faut tester au moins une saison, puis tirer le bilan.
L'OM a 26 000 supporters dans les virages, il n'y a pas de hooliganisme ni de racisme, il peut y avoir des violences, c'est vrai, et il y a surtout beaucoup de la pyrotechnie. On n'est pas loin d'avoir un public qui montre l'exemple sur ce que doit être un supporter en 2018.
Pour le match à Lyon, les dés étaient-ils pipés ?
Pour l'interdiction à Lyon, c'est inacceptable de ne pas avoir eu de réunion préparatoire. Les dés étaient-ils pipés ? Sans doute. Une réunion doit avoir lieu trois semaines avant chaque match, a fortiori quand ils sont à risques. La réunion pour la venue du PSG est prévue cette semaine, par exemple. Pour Lyon, la décision a été unilatérale et il a fallu insister pour avoir une conférence téléphonique... Les arguments sont hallucinants. On reproche quasi exclusivement le comportement lors de la finale. Je ne suis pas d'accord. On a réussi à gérer 13 000 supporters marseillais, dont 8 000 membres des associations, sans qu'il n'y ait le moindre incident lié aux conditions de déplacement. La police a autorisé, contre mon avis, une centaine d'individus dans le parcage OM car ils étaient sur la route, mais sans billets...
Et les dégradations ?
Parlons-en. Sur les 500 000 € d'amendes (100 000 € pour l'OM, et 391 000 € de réparations à l'OL), si on retire 300 000 € pour la toiture, visée par des fusées depuis l'extérieur, et 60 000 € pour les lions stickés - des oeuvres d'art que l'organisateur n'a pas protégées -, il reste du nettoyage commun et 103 sièges cassés sur 13 000 fans marseillais... L'OL avait provisionné 2 000 sièges en pensant que tout serait cassé. On est loin du schéma selon lequel on aurait détruit le stade... C'est dommage qu'une préfecture prenne en compte cet argumentaire. Que ça crée une tension entre le club et l'UEFA, on l'assume, et on va payer, mais on ne peut pas s'en servir pour dire que les Marseillais se sont mal comportés. Au cours de l'entretien téléphonique, on m'a aussi reproché la chanson ("Jean-Michel Aulaaaaaas") ! Je leur ai parlé de La Marseillaise...
Comprenez-vous les critiques des supporters sur les conditions de déplacement ?
Ils ont raison. Je suis ébahi par la qualité d'accueil à l'étranger, sauf peut-être les Espagnols, qui sont plus durs que les autres. Il y a eu d'ailleurs un sujet spécial à l'UEFA sur la police espagnole... En France, il y a plus d'antécédents, de rivalités, mais en général les clubs sont dans une position d'aide. Dans d'autres cas, les éléments sont anxiogènes et génèrent une crainte. Laisser les bus en plein soleil et en bord de route sans moyen d'aller aux toilettes, c'est inacceptable. C'était le cas à Nîmes : le seul point de rendez-vous a été changé au dernier moment et il n'était pas adapté, ce qui a généré une tension inutile. Les torts sont partagés : il y a une tension chez les forces de l'ordre, et nos supporters ne sont pas tous corrects dans leur attitude... Ça dégénère très vite, que ça parte d'un côté ou de l'autre. Est-ce que c'est l'encadrement et/ou l'interdiction qui fait que tout le monde arrive sous tension ? Il faut peut-être relâcher cette bride, en remettant de la liberté et en faisant confiance, par contrat s'il le faut. Avec Jacques-Henri Eyraud, on a décidé de se battre à chaque défaillance sur les déplacements.
Presque deux ans après votre arrivée à Marseille, comment vous sentez-vous à l'OM ?
Mes valeurs se retrouvent dans le projet du club. Ça ne veut pas dire que tout est rose et parfait. Je suis heureux de la diversité de mes missions, auprès du groupe professionnel, des supporters, des autorités, de la société. Il faut une vision assez large au sein du club et une certaine bienveillance. On n'est pas là pour écraser les uns et les autres. On nous reproche par exemple d'avoir sorti les Yankee et de préparer la même chose pour les autres groupes. Mais pas du tout ! On va plutôt aider les groupes comme jamais. Par exemple, sur le déplacement à Limassol, on prend en charge plus de la moitié des frais. On les aidera quand on aura la gestion du stade, si ça arrive (sourire), avec des aménagements prévus pour eux. L'histoire des Yankee correspond à plusieurs fautes pour lesquelles on a pris des mesures. Ce qu'il faut retenir, c'est que tout acte à des conséquences.
La Provence