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_Laurent Nunez
« Nous devons sa voir qui
pénètre a u Vélodrome »
Le préfet de police des Bouches-du-Rhône explique les nouvelles règles qui vont s’appliquer à l’enceinte marseillaise.
Unique préfet de police de plein exercice avec celui de Paris, Laurent Nunez, cinquante et un ans, s’est posé dans les Bouches-du-Rhône le 31 mars dernier. Ce passionné de football – à l’ENA, arrière droit, il était capitaine de l’équipe de sa promotion – n’a pas tremblé au moment d’inciter l’OM à conclure un « accord historique » avec les groupes de supporters quinze jours après les graves incidents au Vélodrome pendant le match contre Lyon. « L’OM est la face visible de mon travail. Ma priorité n’est pas de sécuriser le club, mais de lutter contre la délinquance et éradiquer le trafic de stupéfiants, notamment afin que Marseille demeure ce qu’elle est devenue : une ville attractive », assène cet inspecteur des impôts originaire du Cher. La perspective de l’Euro, où le pays sera au centre des attentions, l’accapare également. Pas de quoi effrayer celui qui, dans le cadre de ses fonctions, a aussi côtoyé le Stade de France et le Parc des Princes.
« Que retenez-vous de votre expérience parisienne ?
Directeur de cabinet du préfet de Seine-Saint-Denis entre 2008 et 2010, j’ai encadré de nombreux matches des Bleus au Stade de France, ainsi que les finales des Coupes de la Ligue et de France. L’occasion de collaborer avec les directeurs de sécurité des clubs, dont beaucoup sont encore en poste, et d’évaluer les risques en amont. J’ai ensuite été directeur de cabinet du préfet de police de Paris, conservant un œil sur le Stade de France et le Parc des Princes, dans l’esprit de mon prédécesseur, Jean-Louis Fiamenghi (NDLR: aujourd’hui directeur de la sûreté de Veolia, il était chargé de coordonner le plan de sécurité du PSG). Il a initié le plan Leproux, j’en ai poursuivi la mise en œuvre. J’ai découvert la Ligue 1 et la Ligue des champions. Je travaillais avec Antoine Boutonnet, commissaire de police chef de la DNLH (Division nationale de lutte contre le hooliganisme), et nous faisions venir les directeurs de sécurité des clubs étrangers. Il nous est arrivé de ne pas autoriser un déplacement, comme celui des supporters d’Anderlecht en 2013. Pour certains, le Parc s’est aseptisé. Mais je remarque que l’ambiance reste très bonne et, surtout, qu’il n’y a plus de violences dans l’enceinte.
Deux mois à peine après votre arrivée à Marseille, des incidents ont gâché la 38e journée contre Bastia : le gardien corse a été victime de jets de projectiles et la seconde mi-temps a été retardée de quinze minutes.
Très vite, la question du renforcement de la sécurité a été évoquée. J’ai senti chez les dirigeants de l’OM la volonté de prendre ce problème à bras le corps. La possibilité que le club reprenne la commercialisation de ses abonnements a été abordée. Absorber 67 000 spectateurs n’est pas évident, il reste des calages à effectuer. Des décisions ont été prises, comme des arrêtés sur la consommation d’alcool, ce qui se pratique à Paris ou Saint-Denis. Autant de choses qui échauffent les esprits et peuvent servir de projectiles quand les choses tournent mal.
Dans quelle mesure les débordements d’OM-Lyon ont-ils accéléré le processus ?
Nous nous sommes intéressés aux fouilles, demandant qu’elles soient vraiment renforcées. Si certains pénétraient dans l’enceinte avec les bouteilles, soit elles étaient mises avant par ceux installant les tifos, soit il y avait un problème durant les fouilles. Le match face à Lyon a servi de déclencheur, a aidé à enfoncer le clou, même si tout était programmé. Nous avions en effet, par le club et certains responsables de supporters, le signal selon lequel ils ne maîtrisaient plus forcément tous leurs membres. L’idée était moins de dissoudre les groupes que de retrouver une certaine orthodoxie dans la gestion des abonnements. Le Vélodrome déploie une ambiance conviviale, la meilleure de France et l’une des meilleures d’Europe. Nous ne voulons pas casser cela. Nous avons conscience que le club c’est la ville et vice versa. Notre intention est de les aider à se rationaliser et s’organiser. L’OM doit rester l’OM, mais en toute sécurité.
Qu’est-ce qui va changer la saison prochaine ?
Il fallait des actes, sinon le club allait se casser la figure. La répétition de franchissements de ligne jaune, ça s’appelle tout simplement dissolution. Le système proposé est le suivant : une adhésion du supporter à un groupe ouvre droit à un tarif préférentiel pour l’abonnement. Cela va dans le bon sens. Nous avons demandé à l’OM et à nos propres opérateurs d’être intraitables sur les comportements déviants, tant en matière d’interdiction de stades qu’en matière de poursuite judiciaire. Nous avons aussi lancé des interdictions de stades, à la lueur du match de Lyon et de l’exploitation de la vidéo du déplacement à Groningue en Ligue Europa, qui ne s’est pas bien passé non plus. Il faut désormais que les fautifs ne se sentent plus impunis, y compris pendant les fouilles. L’OM doit nous remettre les personnes ayant des couteaux ou des bouteilles ; leur enlever ne suffit pas. Nous allons monter en puissance.
Comment vivez-vous d’ordinaire un match de l’OM ?
Depuis le poste de sécurité. Le match contre Bastia a été interrompu quinze minutes car il m’en a fallu onze afin de traverser tout le stade et voir l’arbitre ! Depuis, nous avons mis en place un système par Skype, utilisé contre Lyon. L’arbitre m’a appelé, nous avons organisé une réunion à laquelle se sont invités les présidents Labrune et Aulas. Quand le délégué a vu les images, nous avons constaté que la sécurité des joueurs était menacée. Nous avons déployé des CRS qui ont essuyé des projectiles et fait preuve de sang-froid. Évacuer le stade aurait été compliqué. Il fallait que le match puisse reprendre. J’ai appelé le directeur de cabinet de Bernard Cazeneuve pour l’informer de ce qu’il se passait, de ma décision et de la raison pour laquelle le match reprenait. J’avais fait de même pour Bastia.
La marionnette de Valbuena suspendue au bout d’une potence a choqué. Vous aussi ?
Si tous les téléspectateurs l’ont vue sur Canal+, pas nous. Du coup, nous avons demandé à pouvoir bénéficier au Vélodrome du renvoi dans le PC des images du diffuseur. Bien évidemment que si nous l’avions découverte avant, nous l’aurions immédiatement fait enlever.
Peut-on dire que vous avez mis fin à une spécificité marseillaise dont, jusque-là, tout le monde s’accommodait ?
Ce n’est pas une reprise en main, mais une continuité. Mes prédécesseurs avaient déjà posé des jalons. L’objectif est que tous les clubs soient logés à la même enseigne. Tout le monde m’assurait que ce ne serait pas possible sur un point : la vente directe des abonnements. Nous l’avons tout de même fait. Les dirigeants ont compris que le club était menacé par la possibilité de huis clos, de virages absents ou de points perdus. Depuis les événements, le club a parfaitement joué le jeu, ce que j’ai fait remonter au ministre de l’Intérieur, dont je dépends. Je suis très déterminé à aboutir et à structurer les virages. Je compte appliquer une politique ferme et résolue. Notre job est de tendre vers le risque zéro en évitant les comportements inacceptables. C’est pourquoi nous devons savoir qui pénètre au Vélodrome.
Quel est selon vous le profil du supporter de l’OM ?
Ma femme est marseillaise et je fréquente le Vélodrome depuis vingt-cinq ans. À cette aune-là et compte tenu de mon expérience comme préfet ici, ma vision du supporter de l’OM est justement qu’il s’agit d’un peu tout le monde. Parmi les groupes, on retrouve toutes les couches de la population, y compris des fonctionnaires de police. Le club est l’âme de la ville. On ne peut pas résumer Marseille à l’OM, mais c’est un élément essentiel de la vie locale. »