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Supporteurs : l'OM prend un tout autre virage
Dans le sillage des incidents de Marseille-Lyon le 20 septembre, le club phocéen a récupéré la commercialisation totale des 28 000 places en virage du Vélodrome.
«Un accord historique entre l’OM et ses supporteurs.» Le site officiel du club a donné le ton, mardi soir, après une réunion entre les différentes parties à la Commanderie. Jusqu’ici, l’OM confiait aux groupes de supporteurs la commercialisation des 28 000 abonnements en virage. Cet été, par exemple, les associations ont récupéré l’abonnement au prix coûtant de 155 €, avant de le revendre pour 30 € de plus en moyenne au fan. La différence sert à financer la structure et les différentes activités de l’association (déplacements, tifos et autres éléments d’ambiance en tribunes). Un nouveau système va être mis en place, il verra le supporteur adhérer à l’association de son choix, puis bénéficier d’une remise auprès de l’OM lors de l’achat de son abonnement, sur présentation de sa carte de membre. Cela évitera ces flux financiers entre le club et les groupes qui ont toujours fait tiquer les policiers, les juges d’instruction et les dirigeants du football français.
Est-ce une révolution ?
Plutôt une adaptation nécessaire, contrainte par différents facteurs. La sécurité d’abord : les dérapages d’OM-OL (jets de bouteilles de bière sur la pelouse, pendaison d’un Valbuena fictif en mousse) ont atterri brusquement sur l’agenda politique à huit mois de l’Euro. Branle-bas de combat. Aucun dirigeant du foot français ne s’était ému des dégâts provoqués dans le centre-ville de Groninguen, trois jours plus tôt, par une poignée d’ultras marseillais. Tous vont se rattraper après la soirée incandescente au Vélodrome, à commencer par Frédéric Thiriez, qui évoque le premier le sujet de la commercialisation des abonnements, le 21 septembre.
L’argument de la transparence est pertinent. Les fans de l’OM se refilent aisément leur abonnement et, avec un ou deux bons copains membres d’une asso, vous pouvez faire rentrer votre petit frère ou votre belle-mère en virage, sans aucun souci. Cela fait le charme du Vélodrome, mais provoque aussi un réel souci d’identification des fauteurs de trouble. Même si, en cherchant bien, la police finissait toujours par trouver : le fondateur et leader des South Winners (virage sud), Rachid Zeroual, a été deux fois condamné à de la prison ferme et interdit de stade pour des rixes avec des membres d’autres groupes en 2003 et 2009. Tiens, mardi, Zeroual était à la Commanderie pour négocier la fin de la commercialisation.
Derrière le volet sécurité, et une menace réelle de dissolution des groupes portée par le préfet de police Laurent Nunez, on peut distinguer une véritable logique économique. «Il faut vivre son temps», explique le président Vincent Labrune, qui a entamé ce processus de reprise en main dès 2013. La période de vente des abonnements par les groupes a été progressivement réduite, elle s’est arrêtée ainsi le 15 juillet de cette année. L’OM s’est occupé des invendus à partir de cette date. De fait, la plupart des groupes, à l’exception notable des Winners, ont eu beaucoup de mal ces dernières saisons à écouler leur stock. Pour des raisons variées : spectacle peu flamboyant au stade (sauf pendant la parenthèse Bielsa), travaux défigurant l’enceinte et plombant l’ambiance, et même la propre concurrence de la billeterie du club, qui propose des abonnements en tribune Ganay à 200 €, un prix cassé.
Pourquoi les groupes de supporteurs ont-ils bradé cet acquis ?
Certains présidents (Jean-Michel Roussier, Yves Marchand, Christophe Bouchet) ont pris les représentants des associations de haut, les traitant comme des enfants ou les assimilant à des voyous. Ils ont vite été débordés. D’autres, comme Robert Louis-Dreyfus, Pape Diouf, Jean-Claude Dassier ou Vincent Labrune, les ont considérés comme des partenaires commerciaux ou politiques, et ils ont été bien accueillis. Rachid Zeroual, le seul boss à jouer les durs et à vous appeler pour vous susurrer son légendaire «je vais t’arracher la tête» (lundi encore pour l’auteur de ces lignes), a été rapidement amadoué par Labrune, président depuis 2011. Au point de comparer le dirigeant au brillant personnage de Brad Pitt, dans le Stratège. En 2013-2014, Zeroual et d’autres abonnés ont même surveillé des supporteurs dissidents s’en prenant à la direction le jour des matches.
Robert-Louis Dreyfus, si décrié à ses débuts, avait bien compris les ressorts particuliers de l’environnement phocéen et avait prêté de l’argent (45 000 €) aux Winners, pour l’ouverture de leur local dans le IIIe arrondissement de Marseille. Même Thiriez a longtemps trouvé grâce aux yeux de Zeroual & Cie : «On se respecte», a souvent confié le leader de l’association. Régulièrement contacté par des élus marseillais, Zeroual a aujourd’hui 45 ans et il a vieilli, comme tous les chefs de groupe historiques (Christian Cataldo des Dodgers, Michel Tonini des Yankee), qui n’ont pas vraiment préparé leur succession. Leurs ardeurs ont tiédi avec le temps et ils ressemblent plus à de prudents petits patrons de PME essayant de protégér leurs derniers biens : cette réputation de meilleur public de L1, à domicile comme à l’extérieur ; ce vecteur de socialisation pour de nombreux jeunes de quartier. Ils ont pris acte de la fin de commercialisation avec agacement, mais sans haine ni violence. Certains avancent en privé qu’ils parleront après la convocation cruciale de l’OM le 15 octobre, relative aux incidents du 20 septembre. D’autres font passer ça auprès de leurs troupes interloquées comme un préalable à une vente de l’OM, qui permettrait enfin de rivaliser avec le Paris-SG.
Déroule-t-on le tapis rouge à un nouveau propriétaire ?
Il jonche le sol depuis longtemps, il commence même à prendre la poussière. Le prix de vente de l’OM est connu (100 millions d’euros de base pour Margarita Louis-Dreyfus, plus la même somme en investissement dans des actifs joueurs et autres) et la propriétaire du club n’a jamais caché qu’elle étudierait toute proposition sérieuse. «Si la commercialisation des abonnements par le club peut participer d’un contexte plus favorable pour séduire d’éventuels investisseurs, tant mieux. Mais on ne le fait pas pour ça», dit Vincent Labrune. La concession des abonnements aux groupes avait un coût plutôt mineur pour le club (moins d’un million d’euros), il y trouvait même son compte quand il vendait ses places VIP en vantant la ferveur des virages. Il a surtout loupé le coche avec le choix d’un partenariat public-privé onéreux par la mairie en 2009, là où un bail emphytéotique aurait largement bénéficié au club (comme au citoyen marseillais d’ailleurs, comme l’a souligné la chambre régionale des comptes Provence-Alpes-Côte d’Azur). Avant son décès, Robert Louis-Dreyfus, à qui on ne la faisait pas à l’envers côté business, avait proposé à plusieurs reprises d’acheter le Vélodrome à Jean-Claude Gaudin. Avec un tel actif en sa possession, l’OM ferait saliver bien des fonds d’investissement. Il semble voué aujourd’hui à n’être qu’une frêle danseuse pour milliardaire dépensier ou un outil de promotion pour un Etat en quête de respectabilité. Pour la rentabilité, mieux vaut acheter un club de deuxième division anglaise. Avec ou sans supporteurs.