Voici l' interview dans son intégralité
Vous avez paru épuisé en fin de saison, êtes-vous prêt à repartir sans avoir réellement coupé ?
La réflexion que je devais mener à propos de mon avenir m’a pompé de l’énergie, du coup, à partir
du moment où j’ai pris la décision de m’inscrire dans la durée à Marseille – j’en avais émis le souhait au mois de janvier –, je me suis senti régénéré. Comme j’avais bien commencé la planification de la saison 2011-2012, j’ai pu quand même couper quelques jours.
Et ça suffit à vous nettoyer du stress accumulé ?
Le stress, le stress, il ne faut rien exagérer. Les gens qui ne savent pas le 15 du mois comment ils vont donner à manger à leurs enfants stressent nettement plus qu’un entraîneur de foot. Je suis un privilégié, je le sais, et je tâche de ne jamais perdre ça de vue. Et puis...
Quoi ?
Il ne faut pas se leurrer, je suis quand même bien atteint... Quand on a été joueur, a fortiori sous contrat avec des clubs sportivement très ambitieux, le plus dur, c’est ne rien faire. On a été habitué
à vivre ainsi, à être sollicité, à briller, c’est une douleur de s’arrêter. J’ai eu la chance de ne pas connaître cette souffrance puisque j’ai enchaîné immédiatement après avoir pris ma retraite
de joueur, mais, le revers de la médaille, c’est que j’ai basculé dans une autre forme de frénésie. Le pire, c’est que j’aime ça !
C’est cette peur du vide qui vous a conduit à rester à Marseille ? Le souvenir de votre départ
de la Juve sur un coup de tête (*) vous hantait encore ?
C’est vrai que mon départ de la Juve reste un regret, une erreur qui m’a appris au moins une chose : ne jamais décider à chaud, en fin de saison, quand on est « bouilli », pour tout évaluer sereinement. J’ai payé cher cette expérience, ç’aurait été dommage qu’elle ne serve pas...
Qu’avez-vous payé ?
On colle vite des étiquettes. Moi, j’ai reçu celle d’« ingérable ». Des dirigeants de club m’ont avoué que mon départ de la Juve avait provoqué cette réserve : « Deschamps est bon, mais quand ça ne lui convient pas, il claque la porte. » En restant à Marseille, je démontre aussi que les étiquettes sont parfois usurpées. Alors, quand je dresse une liste de trois ou quatre joueurs pour un poste, je peux comprendre que le premier ne soit pas accessible financièrement. Mais je ne suis pas idiot, je sais aussi que, si l’on arrive systématiquement au quatrième ou au cinquième choix, c’est qu’il y a peut-être d’autres critères que de stricts problèmes financiers.
Vous voulez dire qu’à l’OM on vous a refusé des joueurs pour des raisons autres que financières ?
J’ai connu ça bien avant d’arriver à Marseille.
Mais pourquoi un directeur sportif ou un président refuserait-il d’accéder aux demandes d’un entraîneur pour d’autres critères qu’économiques ?
Allez savoir... Parfois parce qu’il est convaincu qu’il a raison, qu’il connaît mieux le football et qu’il va réaliser un bon coup. Parce que le football rend fou, parce que les sommes en jeu peuvent faire tourner les têtes. Parce que, parce que...
Puisque vous ne participez pas aux négociations financières avec les joueurs, que pouvez-vous faire si on vous dit que vos premiers choix ne sont pas réalisables financièrement ?
Rien. Rien... J’ai le choix entre accepter ce que l’on me propose ou refuser et donc ne pas recruter du tout en me retrouvant avec un trou dans l’équipe. De toute façon, dans les deux cas, je devrai assumer. Alors, c’est sûr que pas un joueur ne vient sans mon accord, c’est la moindre des choses.
José Anigo, qui se charge de ces négociations, a donc raison de dire que vous étiez d’accord pour accueillir tous les joueurs qu’il a recrutés la saison dernière ?
J’ai validé. Après, si je donne des priorités, j’aime bien qu’elles soient un minimum respectées. Je ne demande pas un joueur uniquement pour ses qualités techniques ou physiques. Son état d’esprit, son professionnalisme sont au moins aussi importants. Parce qu’après je dois travailler
avec lui tous les jours, et que lui doit travailler avec une vingtaine d’autres joueurs, que l’équilibre est fragile et qu’une « mauvaise » recrue, ça peut vite mettre le bazar dans toute l’équipe.
Concrètement, votre priorité en attaque l’an dernier, c’était le Brésilien Luis Fabiano, à l’époque à Séville. Il a fait une saison médiocre, peut-être que votre option n’était pas la bonne...
On ne peut pas savoir. Quand le transfert d’un joueur capote, il arrive souvent qu’il se démotive et fasse dans la foulée une mauvaise saison.
Qui peut dire ce qu’il aurait donné à Marseille, dans cette équipe, dans ce contexte ? Qui peut dire ce qu’aurait fait Marseille contre Manchester avec lui ? Le problème n’est pas là... Ce qui me gêne
un peu, c’est que Luis Fabiano, on ne le recrute pas parce qu’on me dit qu’il coûte 18 millions d’euros en transfert et, six mois plus tard, il part de Séville pour 7 millions.
Mais comment expliquez-vous ça ?
On va dire que c’est un particularisme du football. Je ne connais pas le pourquoi du comment, je constate. Moi, je ne suis pas là pour faire perdre de l’argent à l’OM, je suis là pour faire gagner l’équipe. Alors quand on me dit 18 millions, je m’incline et je passe au dossier suivant. À 11 millions de moins, c’était une autre histoire.
C’est à cause de ça que vous étiez proche de résilier votre contrat avec l’OM début juin ?
C’est sûr que ça m’a interpellé. Alou Diarra aussi était une priorité. L’actionnaire avait débloqué spécifiquement de quoi réaliser le transfert. Le transfert ne s’est pas fait...
Pourquoi ?
Je ne sais pas, je ne participe pas aux négociations.
Vu tout ce que vous nous racontez, on a du mal à comprendre pourquoi vous êtes resté à Marseille...
Parce que c’était ma première option, parce que Margarita Louis-Dreyfus a toujours eu un
comportement exemplaire, parce que Vincent Labrune m’a apporté les réponses aux questions que je me posais... Parce que le club va fêter en 2013 les vingt ans de la victoire en Ligue des champions et que j’ai envie d’en être. Le clin d’œil n’est pas anodin pour moi, qui ai soulevé le trophée, ma première Coupe d’Europe, la première pour un club français... Et si tout se passe bien sportivement, j’ai envie aussi d’être là la saison suivante, quand l’OM jouera dans le nouveau Stade- Vélodrome. Et peut-être que, d’ici là, les actionnaires auront trouvé des moyens financiers supplémentaires pour que le club vise plus haut...
Vous avez des garanties ?
Aucune.
Franchement, n’êtes-vous pas resté par défaut, parce que vous n’aviez pas d’autre proposition ?
J’avais le choix. Je n’aime pas dire « j’ai refusé telle offre ou telle autre », je trouve cela irrespectueux par rapport à celui qui a accepté le boulot. J’ai eu des propositions dont une qui m’a fait particulièrement réfléchir (l’AS Roma). Je ne voulais pas quitter Marseille pour un club qui n’est pas réellement au niveau au-dessus...
Mais avec la saison qui se profile, la baisse de rentrées financières, le sixième du Championnat d’Italie est probablement mieux doté que l’OM.
Peut-être. Mais Marseille reste un grand club, même si on va avoir une année difficile sur le plan économique. Et si on passe cette saison sans dommage, ce dont je nous crois très capables, la suivante sera peut-être plus faste. Il n’était simplement pas possible que je revive ce que j’ai vécu l’été dernier. Je ne veux pas revenir indéfiniment sur cette affaire mais, pour moi, il était inconcevable de laisser partir Niang, notre capitaine et meilleur buteur, après la reprise du Championnat, alors que j’avais personnellement fermé la porte à un transfert. Le vendre à ce moment-là était totalement irresponsable sportivement. Le signal envoyé aux autres joueurs était terrible. Non seulement tu dis à ceux qui ont des velléités de départ « poussez un peu et vous partirez, même contre l’avis de l’entraîneur », mais, surtout, tu laisses penser à ceux qui restent : « O.K. les gars, vous avez été champions, ce qui n’était pas arrivé depuis dix-sept ans, vous avez même réussi le doublé, mais là, on a une opportunité de vendre et c’est le plus important ; alors, votre ambition, votre désir de progresser collectivement et individuellement, on verra plus tard... » Tu crois que c’est le bon message à envoyer au début de la saison ? Tu crois vraiment que tu facilites la tâche de l’entraîneur en agissant ainsi ? Qu’il va pouvoir optimiser le rendement de chacun ?
Mais José Anigo, il vivait avec le groupe, il pouvait mesurer cela, non ?
Un entraîneur, en relation avec son staff, sent les choses. La gestion humaine d’un groupe est complexe, bien vivre ensemble est une alchimie délicate. Je crois qu’à l’OM personne n’est mieux placé que moi pour comprendre, analyser et régler ces choses-là. Parce que je vis avec l’équipe, parce que j’ai un vécu intéressant, parce que j’ai quand même un peu l’expérience du haut niveau, comme joueur et comme entraîneur.
Du coup, en échange de votre prolongation de contrat, vous avez demandé la tête de Jean-Claude Dassier qui était, in fine, responsable de tout cela...
Ben voyons ! C’est n’importe quoi. Je n’ai demandé la tête de personne, ce n’est ni dans mes habitudes, ni dans mes attributions. Je suis conscient de mon rôle, de là où il commence, de là où il s’arrête. Le domaine sportif et même le bâtiment sportif sont sous mon entière responsabilité. Et, vous pouvez me croire, cela paraît anodin, mais ça ne l’est pas. Ça change tout par rapport à la saison dernière.
Pourquoi ?
Parce qu’à la moindre fissure dans le staff ou dans l’équipe dirigeante, certains joueurs se laissent aller. Il est indispensable qu’au sein d’un club tout le monde parle le même langage pour atteindre l’objectif commun.
En fait, le seul qui s’en sorte toujours, c’est votre ami José Anigo...
Il était là avant moi, il sera là après. Cela ne me pose aucun problème. Je le répète : je veux seulement travailler efficacement, sereinement avec mon staff et mes joueurs. Et, pour cela, Vincent Labrune a dit clairement : « Si Didier veut qu’un joueur reste, il restera, et s’il veut qu’un joueur parte, il partira. » Et depuis que Vincent a réorganisé le secteur sportif et les attributions de chacun, je m’aperçois que ça fonctionne mieux.
Vous pouvez nous donner la liste de ceux qui vont partir et surtout de ceux qui vont arriver ?
(Il éclate de rire.) Bien sûr que non. Les noms, vous les connaissez... À part une surprise possible ! Je veux apporter un peu de sang neuf au groupe, donc m’occuper aussi des joueurs de complément. Il y aura trois ou quatre recrues. Je veux aussi régénérer le banc, laisser partir certains joueurs de complément qui aspirent à autre chose. En prendre d’autres qui apporteront un élan, un enthousiasme nouveau. Ça use de jouer pour l’OM.
Et Lucho...
Je souhaite qu’il reste, mais je ne m’opposerai pas à son départ si toutes les conditions sont réunies. Lucho est un très grand joueur, très pro, même si, sur ces six derniers mois, il n’a pas eu un rendement suffisant.
Son manque de rayonnement s’est répercuté sur le jeu de votre équipe... Les matches de l’OM ont parfois fait peine à voir. Allez-vous mettre l’accent là-dessus ou préférez-vous bâtir une équipe de combat sans trop vous occuper du style de jeu ?
Non. Si notre maîtrise n’était pas suffisante par moments, c’est aussi parce que nous avons eu des problèmes d’équilibre et d’effectif, je ne vais pas y revenir ! L’animation offensive, c’est toujours le plus dur à mettre en place. Là, les joueurs vont commencer à trouver des affinités, de la complicité.
Votre champ d’action clairement défini vous permettra-t-il de forcer un garçon comme André- Pierre Gignac à adopter un comportement plus professionnel ?
(Long soupir.) Ce n’est pas ça qui va le permettre. Je l’ai sensibilisé, j’ai répété, répété, j’ai été assez dur par moments avec lui. Maintenant, soit il prend conscience, soit il se perd. Je suis là pour l’aider, mais les efforts, c’est à lui de les faire. Sur la durée. Je n’hésite jamais à laisser un joueur sur le banc, quel que soit son prétendu statut ou son salaire. Mais, au-delà de ce cas particulier, pour que les joueurs fassent tous les efforts, se comportent en dignes représentants de l’Olympique de Marseille en toutes circonstances, il faut qu’ils sentent un pouvoir fort au-dessus d’eux. Et cela va du président jusqu’à l’entraîneur. Cette année, avec Vincent Labrune, les écarts se paieront cash. Et moi, je vais rappeler quelques règles de vie...
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR JEAN ISSARTEL
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