Deschamps : "Guardiola met souvent des faux pieds pour que les latéraux passent dans le dos. Gaucher à droite et inversement.
Suaudeau : Tu mets le petit Giggs, ouh!là,là! Du caviar! Mais on s'est éloignés de l'OM...
Deschamps : C'est un sujet difficile (Rires). Je connais votre joueur préféré : c'est Lucho.
Suaudeau : Ah oui ! Mais il n'a pas réussi à s'imposer dans le milieu tel qu'il est composé, c'est-à-dire dans les affinités avec ses partenaires. Ca n'accroche pas.
Deschamps : Il y était parvenu l'an dernier.
Suaudeau : Tu as souvent changé ton milieu !
Deschamps : Moins que ma ligne d'attaque ! (Deschamps rit carrément)
Suaudeau : Ton capitaine, Niang, qui s'en va alors qu'il est champion de France... Quand j"ai appris ça, j'ai dit : "Bien fait pour toi, Dédé !" Avant ça arrivait à Nantes.
Deschamps : C'est pas gentil, ça.
Suaudeau : Les meilleurs joueurs se taillent et pas forcément pour des clubs + prestigieux.
Deschamps : Entre Lucho et lui, il existait une relation de jeu très forte ; avant que Lucho ne touche le ballon, j'avais mon "Mamade" qui partait et vas-y, régale-toi ! J'étais tranquille.
Suaudeau : Ton Argentin, il doit avoir le cafard.
Deschamps : Niang était un joueur clé dans le dispositif. C'est aussi pour ça que je n'ai jamais cru qu'il partirait. Cette affinité technique avec Lucho... Avec Niang à gauche, Valbuena à droite. Tic-tic-tic, du même registre. J'avais là un bon appui.
Suaudeau : Et une belle complémentarité.
Deschamps : L'association avait ses qualités, ses défauts mais l'association des 3 avec mon milieu touranit gentiment. Pour recréer ça... J'ai connu une situation semblable à Monaco : quand Giuly, Rothen, Prso, Morientes sont partis après la finale de la Ligue des champions, on a vite été en difficulté. Le reste, derrière, on arrive toujours à maquiller, à coulisser, ce n'est pas difficile. Mais l'animation offensive...
Suaudeau : Il faut du temps !
Deschamps : Je n'en ai pas.
Suaudeau : Ton jeu du milieu actuel n'est pas en place ; en tout cas, à l'évidence, il ne suffit pas pour faire un parcours...
Deschamps : Je n'ai pas pu le recréer. Entre ceux qui arrivent et doivent s'adapter à l'OM... Niang était là depuis quelques temps, déjà ! En janvier dernier, on avait trouvé quelque chose même si ce n'était pas toujours évident, en décalant Gignac à gauche et en plaçant Brandao dans l'axe. Et puis bon, vous savez ... (sous-entendu à Brandao)
Aujourd'hui, au Barça, vous enlevez Villa et Pedro, à MU vous ôtez Giggs et un autre, ça va tourner moins bien. Ca se verra moins qu'à l'OM, mais ça se verra quand même.
Suaudeau : Ca ne sera pas pareil, en effet.
Deschamps : Tu enlèves Messi, le Barça peut jouer mais pas comme avec lui. Quand je perds Niang, je sais ce que je perds.
Suaudeau : Tu dis ça, mais je sais que les gens ne comprennent pas. Car ils ne savent pas.
Deschamps : Et comme on n'a pas anticipé... Ah oui, on a pris des joueurs, des jeunes mais...
Suaudeau : Est-ce qu'ils rentrent dans l'animation offensive de l'OM ? Est-ce qu'ils sont complémentaires ?
Deschamps : Gignac, par exemple, le dit honnêtement : son rôle d'axial ne lui convient pas. Il était habitué à jouer dans une équipe dominée et dans la profondeur. A titre d'exemple, récemment, on a gagné à Montpellier et c'est lui qui égalise sur une longue passe de Cheyrou, au coeur de la défense. Sur un côté, tu as plus de liberté que quand tu es de dos, avec des défenseurs adverses sur le dos etque tu dois te retourner ou faire jouer autour de toi. Tu n'as pas l'espace. Quand j'installe Valbuena avant-centre, c'est parce que je sais qu'il va fuir l'axe et que ça m'arrange. En revanche, quand je mets Gignac, ça ne m'arrange pas qu'il fuie !
Suaudeau : Et puis, il faut être + rapides que vous ne l'êtes. Les grandes équipes maîtrisent cette vitesse, ils accélèrent ou ralentissent quand ils le souhaitent.
Deschamps : C'est eux qui décident.
Suaudeau : Tout à fait d'accord. Dans le foot français, on ne voit pas assez ces changements de rythme. Il y a un rythme, qui peut être soutenu, mais il n'y a pas de rupture.
Deschamps : Tout est dans l'intensité.
Suaudeau : On fait tout vite mais ça va trop vite, au bout du compte.
Deschamps : Il y a du contact, des fautes mais trop de déchet technique.
Suaudeau : C'est aussi un procédé d'entraînement, que tu le veuilles ou non.
Deschamps : C'est aussi un profil de joueur.
Suaudeau : Tout est question d'équilibre ; j'entends parler d'équilibre à la télé, des fois, mais ils ne comprennent pas. Le déséquilibre se remarque dans le mouvement et c'est en ce sens que je trouve l'OM pas très équilibré.
Deschamps : Exact, mais à l'OM, tu as souvent l'espace devant toi car, au Vélodrome, qui vient jouer à part Lille ?"