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Daniel Riolo sort mardi son livre intitulé Racaille Football Club, où il dénonce sans détour la voyoucratie qui pourrit le football français. Il déplore la mainmise d'une mentalité se référant aux valeurs du film Scarface qui débouche sur une culture de clans avec un prosélytisme pesant. La grève du bus des Bleus à la Coupe du monde 2010 en est le point d'orgue. Le spécialiste du football sur RMC s'est confié au Point.fr.
Le Point.fr : Comment définissez-vous cette notion de "football racaille" ?
Daniel Riolo : C'est avant tout un aspect d'un problème bien plus général, celui de la faiblesse des autorités dans le football français. Cela fait près de 25 ans que les différents présidents de la FFF depuis Fernand Sastre n'ont pas été à la hauteur de la fonction. Et depuis la Coupe du monde 1998, la majorité des présidents de club, entraîneurs et formateurs ont péché dans l'encadrement des joueurs. Pire, certains se sont même fourvoyés dans une vision quasi racialiste, une ghettoïsation de ce sport, sans prendre en considération des facteurs tels que le plaisir, la technique et le jeu offensif. Après la victoire de la bande à Jacquet en Coupe du monde, les décisionnaires du football français se sont convaincus qu'il fallait avoir à la pelle des Thuram-Desailly en défense et des Zidane en attaque. Le Noir derrière, le jeune d'origine maghrébine devant. Résultat, ils ont fait mijoter un communautarisme qui a plombé l'entente collective de nombreuses équipes, à commencer par la sélection nationale. Une culture des clans s'est formée dans les groupes de joueurs, avec l'islam comme alibi. Et ce prosélytisme est tout sauf cohérent, car il répond davantage à un effet de mode qu'à une pratique sincèrement spirituelle. La notion de halal n'envahissait pas autant par exemple le quotidien des équipes dans le passé. Le fait d'imposer un comportement à ses coéquipiers pour des motifs religieux est assez sidérant et susceptible forcément de créer des tensions dans un effectif. Je me focalise sur les conséquences sportives et sur l'image négative qui peut rejaillir aux yeux du pays.
Cette image négative est-elle une particularité française ?
Absolument. Cette culture racaille s'accorde parfaitement avec la récurrente crise de l'autorité dans notre pays. En France, on n'aime pas la verticalité depuis Mai 1968. Mais attention, il ne s'agit pas d'adopter un discours d'extrême droite qui assimile l'origine ethnique ou banlieusarde au mal. Nicolas Sarkozy, quand il parle de "kärchériser" les banlieues, il adopte aussi un comportement de racaille. Et des joueurs "blancs" comme Ribéry ou Ménez incarnent parfaitement aussi cette racaille attitude. Le monde du ballon rond est traditionnellement dominé par des pratiques de voyous. Mais aujourd'hui en France, cette voyoucratie a pris le pas sur les instances du football, avec pour corollaire le monde de la télé-réalité et de l'ascension rapide à la célébrité. Combien de fois le monde du football français s'est pâmé sur un jeune joueur, désigné comme le nouveau Zidane ou Henry, sous prétexte qu'il a enchaîné trois bons matchs ?
Pourtant, cette voyoucratie ne rend pas impopulaire le football à l'étranger. Suarez, Balotelli, Maradona ne sont pas des enfants de choeur et pourtant ils sont presque des demi-dieux.
Oui, mais deux choses très importantes tranchent avec la mentalité française. D'une part, des pays comme l'Italie ou ceux de l'Amérique latine ont une autre vision du football. Dans le sport même en général, ces nations se considèrent - consciemment ou pas - comme des parents pauvres, handicapés socialement au départ, et qui sont prêts à mettre parfois leur noblesse de côté pour gagner. D'autre part, le patriotisme a là-bas une image positive. L'amour du drapeau n'est pas l'apanage de l'extrême droite dans ces pays, de même qu'aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, où les représentants de la culture racaille anglo-saxonne ne crachent jamais sur l'emblème national. En France, par contre, le drapeau a une valeur négative, de même qu'une approche laïcarde extrême issue de la IIIe République a stigmatisé la religion dans tous ses aspects. Or, en Italie on peut être à la fois catholique et communiste. En plus, quand nos joueurs passent la frontière, ils vantent très souvent l'encadrement et l'autorité pratiqués dans les clubs de Premier League ou de Serie A notamment. Encore une fois, c'est bien une question d'encadrement. L'Angleterre favorise le multiculturalisme, mais les équipes britanniques se montrent intransigeantes sur la discipline. En France, c'est l'inverse.
N'est-ce pas une question de génération ? Cette cuvée de 1987 des Benzema et consorts très décriée n'était peut-être pas à la hauteur niveau mentalité ? Varane ou Pogba semblent mieux armés.
Justement, l'exemple Varane. Le joueur part très tôt au Real pour progresser et appréhender rapidement les exigences du professionnalisme. C'est toujours ce même besoin d'encadrement. Si je me mets à la place du président de Lens, je le prends mal.