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Abandon de la Ligue 1, vague de licenciements et de départs : chamboule-tout à Canal +
Entre le retrait de la L 1, les licenciements et départs en cascade et un rapport inquiétant de l'inspection du travail, l'ambiance au service des sports est de plus en plus lourde.
Les locaux de Canal +, à Boulogne-Billancourt. (E. Garnier/L'Équipe)
« Ce n'est vraiment pas la joie. » De nombreux journalistes résument ainsi l'ambiance actuelle au service des sports de Canal +. L'abandon des droits de la Ligue 1 annoncé par Maxime Saada après le choix d'Amazon par la Ligue professionnelle de football a stupéfié la rédaction de près de 150 collaborateurs. Plutôt sereine sur le sujet ces derniers mois, elle a pris une claque. Et attend des explications du patron, lundi, sur cette décision et sa stratégie, ainsi que des éclaircissements sur l'avenir.
Le week-end dernier, dans un mail interne, le président de Canal+ avait tenté de rassurer ses troupes : « J'ai conscience de l'émotion que va créer cette situation chez certains, dans la maison comme en externe. Soyez assurés de notre mobilisation la plus totale pour préserver nos intérêts. Il n'est pas question pour Canal+ de se retrouver dans une situation où il est l'acteur qui paye le plus pour avoir le moins. »
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Par le passé, ces mots auraient pu rassurer, mais la crise qui a éclaté, l'hiver dernier, après l'affaire Sébastien Thoen n'arrange rien. Et nul doute que Saada sera de nouveau questionné sur la « purge », selon les mots de quelques-uns, en cours depuis.
Rappel des faits. En novembre, l'humoriste du Canal Sports Club est licencié pour avoir participé à un sketch parodique de L'Heure des pros, l'émission de CNews - la chaîne info du groupe Canal -, mis en ligne par Winamax. La présence de Julien Cazarre, un ancien de la maison qui, quelques semaines plus tôt, s'était moqué des « truffes » de la direction des sports dans une interview sur une chaîne YouTube, n'a rien arrangé.
150 collaborateurs (dont 48 anonymes) se sont indignés, dans une pétition, de cette décision : « Nous revendiquons le droit d'exercer nos métiers sans craindre d'être licencié, écarté, inquiété si ce que nous disons, écrivons, déplaît à notre direction. »
Pourtant, à la veille de Noël, Stéphane Guy, commentateur vedette de la chaîne, non-signataire de la pétition mais auteur à l'antenne d'un salut amical à « Sébastien Thoen, qui n'a peut-être pas eu la sortie qu'il aurait méritée », est licencié.
Sept licenciements dans la cellule reportages et documentaires, dont Guillaume Priou, le chef du service
À ce jour, 26 départs sont actés. Selon nos informations, quinze CDI sont concernés : neuf ont été licenciés et six ont fait l'objet de départs plus ou moins volontaires après l'annonce par la direction de conditions incitatives : deux mois de salaire par année d'ancienneté.
Sept contrats précaires (CDD, piges régulières) n'ont pas été renouvelés et quatre dossiers sont toujours en cours (procédure ou négociation). Certains ont accepté de présenter des excuses pour éviter des sanctions pour « manquement à l'obligation de loyauté » à l'entreprise.
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Derrière ces chiffres se cachent des femmes, des hommes et des voix. Comme celles déjà parties de Laurie Delhostal ou de Frédéric Brindelle, commentateur du handball et suiveur du cyclisme pendant des années pour le groupe Canal +. « J'ai signé la pétition et j'ai compris que j'étais en situation de danger, raconte le journaliste, qui a rejoint la grille d'été de RMC et notamment Les Grandes Gueules du sport. Je n'ai pas voulu présenter mes excuses à la direction et d'un seul coup, autour d'avril, on m'a dit qu'on ne comptait plus sur moi. »
La cellule reportages et documentaires est la plus sévèrement touchée avec sept licenciements dont Guillaume Priou, le chef du service et coréalisateur du film Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste ! avec Marie Portolano, Arnaud Bonnin, présentateur de Sport Reporter et coréalisateur avec Lyes Houhou du documentaire Faut qu'on parle, sur l'homosexualité dans le sport de haut niveau diffusé ce samedi (23 heures) sur Canal+, Marc Sauvourel, auteur de Out of the Rain et coréalisateur de Ma part d'ombre etJe ne suis pas un singe avec Olivier Dacourt ou encore Jean-Marie Goussard, auteur de Platini, le dernier romantique.
« Les journalistes de la direction des sports ressentent en majorité que leur droit de liberté d'expression inhérent au métier de journaliste est bafoué, non respecté et qu'il leur est difficile, de ce fait, d'exercer sereinement leur métier de journaliste sans craindre pour leur emploi
Rapport de l'inspection du travail, révélé par le site « Les Jours »
Les documentaires de sport seront-ils désormais majoritairement produits par des sociétés de production ? La réponse de la direction des sports est attendue d'ici début juillet lors de la présentation de sa réorganisation (après le départ des deux directeurs adjoints de la rédaction Laurent Jaoui et Agathe Roussel) et de son projet éditorial.
En attendant, le rapport de l'inspection du travail, révélé mardi par le site Les Jours, a mis des mots sur le gros malaise du moment. « Les journalistes de la direction des sports ressentent en majorité que leur droit de liberté d'expression inhérent au métier de journaliste est bafoué, non respecté et qu'il leur est difficile, de ce fait, d'exercer sereinement leur métier de journaliste sans craindre pour leur emploi, écrit l'inspectrice qui a passé plusieurs jours dans les locaux de Canal+, en mai. L'ambiance est pesante et les salariés sont fatigués de cette situation qui s'est cristallisée depuis plusieurs mois. »
Côté consultant, le nom de Patrick Vieira circule tandis qu'Habib Beye devrait être moins sollicité
Et les plus folles rumeurs circulent, comme les potentiels départs des figures historiques de l'antenne : Hervé Mathoux et Éric Bayle. Les deux seront pourtant bien là à la rentrée. Le premier animera même les deux soirées de Ligue des champions autour des deux meilleures affiches de la compétition détenues par Canal+ jusqu'en 2024, puisqu'il se chargera aussi de celle initialement dévolue à Marie Portolano, désormais sur M6. Il sera accompagné de Laure Boulleau, sur qui la chaîne mise de plus en plus.
Côté consultant Ligue des champions, le nom de Patrick Vieira, qui couvre actuellement l'Euro sur beIN Sports, circulait ces derniers jours. Habib Beye, nommé récemment entraîneur adjoint du Red Star, devrait être moins sollicité par la chaîne.
L'annonce de l'abandon de la Ligue 1 a aussi d'autres incidences. Si Smaïl Bouabdellah reste jusqu'à aujourd'hui dans le viseur de la chaîne, tous les consultants sous contrat ne pourront être conservés. Karim Bennani, chroniqueur sur le CFC et à l'animation du multiplex récemment, ne devrait plus travailler pour le service des sports mais négocierait avec la chaîne d'autres projets.
Des CDD, comme le très remarqué Gauthier Kuntzmann la saison dernière, attendent leur renouvellement. Et beaucoup de signataires de la pétition cet hiver craignent toujours pour leur poste...
Le « CFC » devrait continuer, même sans Ligue 1 et sans Pierre Ménès, qui négocie son départ
Malgré tout, Canal+ aurait néanmoins décidé, même sans Ligue 1 et sans Pierre Ménès qui, écarté de l'antenne depuis avril pour comportements sexistes, négocie actuellement son départ, de maintenir son CFC. On n'efface pas ainsi d'une grille de programmes une marque installée depuis treize ans.
L'émission devrait prendre une tournure très européenne, en s'appuyant notamment sur les droits de la Premier League et de la Ligue des champions. Sans images de L1, voilà un nouveau challenge de taille, commenté sur un ton optimiste par un membre de la chaîne : « Malgré tout, on sait être bons quand on est au pied du mur ! »