Thierry Cheleman : « Canal+ est toujours présent dans le sport »
Le directeur du service des Sports dévoile sa grille de rentrée qui mise davantage sur l'information. Il évoque également l'importance d'un éventuel accord avec BeIN Sports pour attirer de nouveaux abonnés.
http://www.lemonde.fr/televisions-radio ... 55027.htmlIl ne s'était plus exprimé depuis son arrivée à la tête de la direction des Sports du groupe Canal+, il y a plus d'huit mois. Thierry Cheleman, 63 ans, dévoile sa grille de programme pour la rentrée au «Monde» et mise énormément sur l'accord avec BeIN Sports pour attirer de nouveaux abonnés.
Vous, qui n'avez pas les droits de l'Euro de foot, comment vos antennes vont-elles couvrir la compétition?
L'Euro sera traité sur i-Télé et Infosport. Avec de grands rendez-vous et, pour les incarner, une belle bande de consultants comme Reynald Pedros, Laurent Fournier, ou encore Alou Diarra. Nous n'avons pas les droits mais le sport ne s'arrêtera pas, malgré tout, pendant l'Euro. Nous allons diffuser la Coupe du monde de rugby des moins de 20 ans (en Angleterre du 7juin au 25juin), le tournoi de qualification olympiquede basket. Ces événements nous emmènerons aux Jeux de Rio. Nous allons mettre huit chaînes à disposition des abonnés: Canal+ et Canal+ Sport. Canal+ décalé va devenir Canal Rio ; Foot +, Rugby +, et Golf + seront les antennes des tournois olympiques de ces trois sports. Et enfin i-Télé et Infosport.
Même si aucun journaliste de i-Télé ne part au Brésil?
Nous sommes dans la totale mutualisation des moyens, c'est la synergie de groupe. Les uns et les autres vont de plus en plus travailler ensemble. Désormais des journalistes vont oeuvrer sur i-Télé, sur Infosport, mais aussi sur D8 dans les émissions de Cyril Hanouna ou celle d'Estelle Denis. Il existera de plus en plus de ponts.
Pourquoi parlez-vous maintenant, juste avant l'Euro?
Parce que je suis prêt. Nous sommes prêts. Je travaille depuis des mois avec les équipes de Didier Lahaye [directeur adjoint des Sports] sur une grille de rentrée. Nous nous sommes focalisés là-dessus. Quand nous sommes arrivés en septembre2015, la saison était commencée, le contexte n'était pas simple. Avec Didier, nous avons choisi de ne pas bouleverser les choses d'un seul coup et tout de suite, mais plutôt de prendre le temps de s'immerger, d'écouter. Les premiers mois, j'ai reçu plus de soixante-dix-huit collaborateurs en entretien individuel. Je suis une personne de dialogue. Ce n'est pas le suffrage universel non plus: après, il faut prendre des décisions. Mais nous sommes prêts plus tôt que d'habitude et la grille de rentrée commence à se dessiner.
Quelle est donc votre stratégie?
Elle s'articule autour de quatre mots-clés: information, expertise, innovation et audace. Quand nous sommes arrivés, nous avons trouvé une grille composée de manière verticale. Avec chaque jour, une émission dédiée à son sport: cela nous enfermait. Traiter l'actualité était impossible. Comment faire pour parler de la FIFA en plein «Spécialistes rugby»? À la rentrée, l'info prend la main. Tout le temps. Nous ne réinventons rien, nous nous donnons seulement les moyens d'être réactifs et de permettre à nos experts - consultants et journalistes - de livrer le meilleur. Toutes les déclinaisons des «Spécialistes» sont supprimées.
Ce qui signifie concrètement?
Nous allons lancer, à la rentrée, deux grandes émissions sur Canal+ Sport: l'une sera confiée, le vendredi soir dès 20heures, à Pierre Ménès. Il encadrera un match de Ligue 1. Nous "brainstormons" encore sur le nom de l'émission. Cette dernière sera bien sûr la sienne, mais l'idée est de constituer un duo, avec une femme à ses côtés, et autour, une banded'experts et de figures du foot. Mais pas que. Ce ne sera pas «Canal football club» («CFC»), mais une émission à son image: provocateur, avec du franc-parler et du fond.
Tous les soirs en access, du lundi au jeudi vers 19heures, nous installons un grand magazine de sport d'actualité en direct de 90 minutes qui devrait être présenté par Astrid Bard accompagnée, elle aussi, de chroniqueurs et de consultants. L'info va reprendre la main, là où, avant, elle ne le pouvait pas. Dès qu'une actualité se produira, nous serons au coeur. La rédaction d'Infosport proposera une sorte de flash info dans cette émission de "talk". Nous voulons également que les sujets traités par «Enquêtes de foot» soient partout: nous allons redéployer les enquêtes tout au long des émissions et des quotidiennes au lieu d'être dans les contraintes d'une case fixe. La cellule reportage va travailler pour la quotidienne, pour le «CFC», pour le «Canal rugby club» («CRC»). Bref, pour tout le monde. Mais «Intérieur sport» continue.
Y a-t-il d'autres nouveautés?
«J + 1» revient mais le dimanche soir sur Canal+ après le match, vers 23h15, à la place de «L'Equipe du dimanche» qui s'arrête. Le rôle de Julien Cazarre sera amplifié et l'émission ne sera plus présentée par Stéphane Guy mais par Nicolas Tourriol et Marina Lorenzo. C'est un sacré pari car ce programme exige du temps dans sa préparation. Ainsi, nous proposons de nouvelles émissions avec de fortes incarnations, et des personnalités tout en mettant à l'honneur l'humour, le décalage et l'humeur.
Vous parliez d' «audace» , mais où se trouve-t-elle lorsqu'on continue à faire confiance à un Pierre Ménès qui est une figure du groupe? Où sont les prises de risques?
Justement, c'est facile d'aller débaucher à l'extérieur. En parlant d'audace, laissez-moi vous donner un exemple. Aujourd'hui, le rugby accepte une petite caméra dans les vestiaires, le foot pas encore. Pourquoi pas? Cela pourrait être intéressant. Il faut que les clubs l'acceptent. Nous allons diffuser la finale du Top 14 (le 24juin à Barcelone) sur trois canaux différents: en haute définition, en 4K et pour le troisième, on proposera une immersion totale. Le son du stade sera restitué avec beaucoup de puissance, il n'y aura aucun commentaire, mais seulement la voix de l'arbitre que l'on entendra. Nous pensons que voir un match comme si on était au stade peut titiller les abonnés.
Visez-vous l'acquisition d'autres droits?
Le marché va se calmer. Nous avons acquis, pour la première fois, l'intégralité de la Coupe de la Ligue et un magazine, le mardi ou le mercredi. Selon l'affiche, le match sera sur Canal+ ou Canal+ Sport. Nous aurons aussi un match de Ligue 2 le lundi soir sur Canal+ Sport. Nous avons l'exclusivité du Top 14 et de la Pro D2 jusqu'en2023, de la F1 jusqu'en2017. Nous sommes en train de renouveler les accords pour rendre le golf pérenne. Et la boxe est un des points de développement.
Vous avez retransmis, le 20mai, le championnat WBA des lourds-légers. Pourquoi remettre à l'antenne de la boxe, alors que ce sport a totalement périclité?
Parce que j'y crois. J'ai dû convaincre Maxime Saada [directeur général du Groupe], Gérald-Brice Viret [Directeur des Antennes] et Vincent Bolloré, sur ce parti pris. Il existe une histoire entre Canal et la boxe; c'est un sport magnifique à regarder mais qui a pâti de sa propre organisation. L'idée est d'avoir six à huit belles réunions par an qui ne seront pas aux mains d'un seul promoteur. C'est juste du bon sens populaire. Nous avons confié trois réunions par saison à Sébastien Acariès, nous allons travailler avec Jean-Marc Mormeck avec lequel nous sommes en train de finaliser l'accord. Et un troisième dont je ne peux pas encore dévoiler l'identité. Deux nouvelles réunions sont prévues en juillet en prime time.
Comment avez-vous réagi à la perte des droits de la Premier league anglaise?
Nous les avons perdus, mais nous n'avons pas de trou dans la grille: nous avons la Ligue 1, le Top 14 et nos émissions. Les droits télés ne seront plus sur une seule chaîne voire deux.
Certes, mais ça vous prive d'un véritable produit d'appel prestigieux. Cette perte a-t-elle eu des conséquences sur les désabonnements?
Pas pour le moment. La Premier league était un spectacle magnifique. La moyenne de l'audience des matches anglais était de 200000 téléspectateurs. Aujourd'hui, avec la Pro D2, on atteint en moyenne 170000 téléspectateurs. Demain, le rugby ou le foot de proximité comme le Ligue 2, feront à mon avis la même audience. Et ce n'est pas le même prix. De par la proximité, les abonnés sont très attachés aux championnats domestiques.
Vous êtes donc moins porté sur l'international et plus sur le local?
J'assume ce parti pris stratégique: les championnats domestiques semblent convenir à nos abonnés. C'est important. Le marché évolue, il faut vivre avec son temps. Ligue 1, Ligue 2, top 14, pro D2, ce sont des feuilletons près de chez soit.
Le service des sports a connu une hécatombe: cela signifierait-il que vous n'êtes plus une chaîne de sport?
C'est exagéré. Après tout ce que je viens de dérouler... et je n'ai pas évoqué les droits des qualifications du Mondial 2018 que nous avons. Canal est hautement une chaîne de sport. Quand notre actionnaire est arrivé, il a dit que nous continuerions à investir dans le sport. La Ligue de rugby a publié le montant des droits pour ses championnats: 388millions d'euros, hors production, c'est une somme. Nous sommes toujours présents dans le sport. Quant aux départs, vous savez à 63 ans, j'ai toujours vu des gens partir et arriver. j'ai tenté de retenir Grégoire Margotton, mais il avait envie de changer de vie. C'est un talent, j'étais triste qu'il s'en aille.
Allez-vous réduire l'effectif du service des Sports?
Surtout pas. Il y a beaucoup de chaînes et beaucoup d'émissions à réaliser. Il y aura quelques annonces de consultants. Grégoire Margotton sera remplacé par Stéphane Guy. Je considère que les talents, nous les avons.
Détenir les droits de l'équipe de France cela vous tente-t-il?
On connaît le coût d'un match des Bleus (quelque 5millions d'euros), il y en a dix par saison: ça calme.
Pourquoi souhaitez-vous vous rapprocher de BeIN Sports, avec lequel vous étiez en grande rivalité?
L'idée est simple: les deux entreprises ne vont pas bien financièrement. BeIN perd environ 300millions d'euros par an en France et son dirigeant estime qu'il y a peut-être un moyen d'arrêter cela. Ce rapprochement sous la forme d'une distribution exclusive, est pertinent pour l'un et pour l'autre. Il permettrait de vendre une nouvelle offre Canal, mieux adaptée aux contraintes du marché incluant les intégralités et les exclusivités de la Ligue 1 et de la Ligue des champions. Sans oublier le tennis, le basket... Avec une telle proposition, nous pouvons recruter de nouveaux abonnés après en avoir perdu presque 400000. Nous attendions une décision de l'Autorité de la concurrence pour fin mai, elle viendra sans doute fin juin. Je l'espère.
Qu'en est-il pour l'abonné?
Rien ne changera pour ceux qui sont déjà abonnés à BeIN. Plus vite nous aurons une réponse, plus vite nous pourrons déployer cette nouvelle offre et revenir à un modèle vertueux où une entreprise possède un produit capable d'attirer le client. Si nous augmentons nos recettes tout en étant attentifs aux dépenses, nous retrouverons une santé. Vincent Bolloré l'avait dit lui-même: si nous gagnons plus d'argent demain, le sport en gagnera plus et nous aurons davantage de moyens pour investir dans le sport.
Craignez-vous que l'arrivée d'une nouvelle concurrente comme d'Altice fasse passer d'un cran l'irrationalité des prix des droits télés?
Un nouvel entrant, ce n'est pas plus mal. Il ne faut surtout pas le négliger, le prendre de haut. Il oblige tout le monde à se dépasser ou à se remettre en question. Oui, il est allé une fois sur le foot anglais, il a mis un prix qu'on peut qualifier de démesuré mais est-ce qu'il le fera à chaque fois? Je crois que son dirigeant [Patrick Drahi], est un homme d'affaires avisé.