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Il a fait l'OL, il risque maintenant de le défaire... Pour le bien du club, l'hyperprésident Aulas doit-il passer la main et transmettre l'héritage?
"Fin de règne". Observez avec quelle insistance – non dénuée de jubilation – l'expression va être employée pour baptiser l'échec de l'Olympique lyonnais dans la conquête d'un huitième titre (1). Tous ceux qui ont dû si longtemps faire allégeance au monarque et chanter ses conquêtes vont trouver là l'occasion d'une veule revanche au spectacle de sa "chute". Pour un peu, la paranoïa et surtout l'amertume de Jean-Michel Aulas s'en trouverait justifiées: lui qui n'a jamais trouvé les louanges suffisantes va devoir supporter une atmosphère quasi-festive (la fameuse "ambiance de fin de règne").
La fin du modèle lyonnais ?
Cela étant, le soulagement est tout de même compréhensible, au sein du football français. Pour ce dernier, mais aussi pour l'OL lui-même, la survenue d'une alternance est en effet un bienfait: comme nous l'avions souligné il y a déjà trois ans et demi (lire "Pourquoi l'OL doit perdre"), l'hégémonie lyonnaise menace l'équilibre compétitif de la Ligue 1, c'est-à-dire à la fois son intérêt sportif et sa rentabilité économique. Sans le suspens pour le titre qui avait prévalu avant l'ère olympienne (2), notre championnat a en effet perdu un de ses rares atouts majeurs, et l'on voit cette saison à quel point le retour, en tête de classement, des principales places fortes hexagonales ravive une excitation particulière. Il reste que si cette période de domination devait être suivie d'une déréliction sportive de l'OL, on assisterait à un nouveau gâchis national.
On sait que la supériorité lyonnaise en France ne s'est pas traduite par des parcours européens significatifs, sinon sous l'angle de la régularité – peu compatible avec la réalisation d'exploits (3). Jean-Michel Aulas peut bien accuser une époque qui fait la part trop belle à la logique économique que lui-même réclame de ses vœux, mais l'incapacité à dépasser le stade des quarts de finale est l'indice d'un problème philosophique plus profond, désormais patent à l'échelle française. Alors, le modèle lyonnais a-t-il atteint ses limites, et pour rester une grande puissance nationale, que doit faire un OL aujourd'hui à la croisée des chemins?
L'OL n'est plus seul
Bien sûr, l'hypothèse d'une saison creuse et d'un rebond rapide (quitte à ne plus exprimer la même domination au palmarès de la Ligue 1) est tout à fait vraisemblable, mais le trou d'air après sept sacres consécutifs risque d'être problématique au sein d'un club qui ne sait peut-être plus gérer l'échec et sort d'un cercle extrêmement vertueux. Une éventuelle absence en Ligue des champions ne serait pas rédhibitoire compte tenu des fonds propres du club, mais sur le plan sportif, le risque existe que la mécanique continue de s'enrayer, et que des défauts auparavant mineurs deviennent de réels handicaps: gestion humaine désincarnée (4), communication calamiteuse, méthodes de négociation controversées...
Les succès de l'OL n'ont pas été construits sur le seul talent – bien réel – de ses dirigeants, mais aussi dans une conjoncture particulière, très favorable. Lyon a assuré son règne au cours d'une période qui a vu les ressources, notamment celles issues des droits du championnat et de la Ligue des champions, se concentrer dans les mains d'un petit nombre de clubs. Seul en France à défaut de l'être au monde, le club a maîtrisé ses rivaux potentiels. Mais si Marseille, Paris et Bordeaux confirment leur renouveau, la concurrence sera désormais plus vive sur le marché local des joueurs, et l'OL ne pourra plus agir en acteur dominant qui s'enorgueillit de financer les autres formations tout en assurant son emprise sur elles.
Crise de gouvernance
Les premières places accumulées ont masqué l'absence, sans dommage jusqu'à présent, d'un réel pouvoir sportif "de terrain". Bernard Lacombe exerçant de façon quasi-occulte les prérogatives les plus importantes, on a assisté à un défilé d'entraîneurs dont les mandats se sont achevés en eau de boudin ou en queue de poisson... Obligeant aujourd'hui les dirigeants à promettre une continuité avec Claude Puel, le moins "méritant" – sur le strict plan des résultats – des techniciens en poste au cours des années 2000. Jean-Michel Aulas accorde ainsi à l'ancien Monégasque une confiance qu'il semble retirer à ses joueurs, dont il admet qu'ils ont joué un rôle direct dans le départ de ses prédécesseurs. Ce modèle de gouvernance, si singulier, a fait la démonstration de ses forces comme de ses faiblesses, et désormais de ses limites.
En bon entrepreneur, JMA doit savoir que pour survivre, il faut évoluer. Question: cet homme qui voudrait plier le monde (fiscalité, législation, organisation du foot pro...) à sa vision du monde est-il en mesure de réinventer un club qui lui est si fortement identifié? On a plutôt le sentiment qu'il risque de l'emporter dans ses névroses, tant on n'ose imaginer un Jean-Michel Aulas contraint d'affronter une perte d'influence personnelle en même temps que le déclin (même relatif) de son club.
La retraite à soixante ans
Grâce à Jean-Michel Aulas, l'Olympique lyonnais d'un formidable capital économique et sportif: il ne tient qu'à lui de le léguer comme un héritage. À soixante ans révolus en mars dernier, déçu par le retard du projet OL Land, miné par un nouvel échec en C1 et un échec nouveau en L1, il peut légitimement ressentir une certaine lassitude et le besoin de s'épargner une pression terrible en passant la main. Que ses successeurs réussissent ou échouent, il sera gagnant sur le plan de la postérité, apparaissant comme le fondateur d'un empire durable ou comme la figure de l'âge d'or. Il appartiendrait à ceux-ci de faire fructifier ces acquis en réformant l'OL actuel pour lui faire franchir un palier, avec ce qui lui a manqué jusque-là: grain de folie, ambition résolument sportive, visage plus humain, etc. Un projet pour le moins exaltant...
Arrivé là, le lecteur l'aura compris : si les raisons qui plaident en faveur d'un départ n'ont rien d'absurde, sa probabilité est extrêmement faible. Outre qu'il faudrait des conditions permettant la vente de ses parts dans de bonnes conditions, le président lyonnais aura du mal à tirer un trait sur ce qui lui a apporté l'excitation d'une vie sous les feux de la notoriété, et lui a conféré un statut de premier plan. Et de toute façon, dans le contexte d'un football français en panne de dirigeants (lire "Le football sans tête"), on peine à trouver un candidat crédible.
Dommage. Jean-Michel Aulas risque d'user sa santé et nos nerfs encore quelques années, et peut-être de compromettre l'avenir de ce qu'il a si brillamment construit, par incapacité à se réformer lui-même. Président singulier jusqu'ici, il se replacerait alors dans les rails de ses glorieux prédécesseurs, qui ont tous péri pour avoir poussé trop loin l'exercice de leur pouvoir.