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Gerets : "Je vis un rêve"
L'entretien en intégralité avec l'entraîneur de l'OM
Eric Gerets : "Ici, on n'est pas loin du paradis"
Quand on entre dans son bureau, cet après-midi-là à La Commanderie, Éric Gerets met la dernière main à des fiches de travail avec Dominique Cuperly. "Cup", l'adjoint fidèle, sorte d'alter ego. "On est uni comme un couple !", plaisante l'entraîneur de l'OM. Dans la foulée, il nous invite à nous asseoir. Le technicien belge a un peu de temps devant lui, c'est rare. Il savoure un bon cigare, son péché mignon.
La conversation peut commencer à s'égrener. Pour La Provence, le Flamand dévoile quelques-unes de ses facettes. Celles d'un entraîneur méthodique et affectif. Celles d'un homme passionné qui aspire à un bonheur simple. Bienvenue chez Gerets.
- Avez-vous le sentiment d’avoir pris un ascendant psychologique sur Nancy dans la course à la 3e place ?
Eric Gerets : J’ignore comment les Nancéiens vivent cette situation nouvelle. En revanche, je suis convaincu que cette 3e place fait un bien fou à mon équipe. Ce contexte doit nécessairement surmotiver mes joueurs dans l’optique du tour préliminaire de la Ligue des champions.
- À votre arrivée, il y a sept mois, l’OM était relégable. Auriez-vous pu imaginer conduire votre équipe au rang qui est le sien actuellement ?
E. G. : Non, car l’équipe était vraiment dans le trou et dans une telle position, tu ne peux pas dire que l’on va terminer 3e. La première chose à faire était de sortir de la zone de relégation. On est parvenu à se glisser assez rapidement au milieu du peloton à la faveur d’une très bonne série. On a ensuite réussi un second sprint pour atteindre les places européennes. J’avoue que la rapidité avec laquelle on a rétabli la situation m’a surpris. Mais il faut maintenant tenir cette cadence dans la dernière ligne droite.
- Comment avez-vous fait pour redonner vie à ce groupe ?
E. G. : J’ai surtout privilégié la communication avec les joueurs et le travail, à savoir l’élaboration des séances en étroite collaboration avec "Cup" (Cuperly). On a vu que la mentalité sur le terrain a changé. Le niveau aussi. L’équipe a commencé à mieux jouer. Elle a repris confiance. La fameuse peur du Vélodrome, par exemple, a disparu. Tout s’est progressivement amélioré.
- Qu’entendez-vous par "privilégier la communication avec les joueurs" ?
E. G. : Leur dire ce qui ne va pas et ne pas oublier de leur dire ce qui est bien aussi. Il faut veiller à cet équilibre. Collectivement, il s’agit d’intervenir dans le travail tactique et mettre les points sur les "I" quand c’est nécessaire. C’est beaucoup plus clair pour les joueurs comme ça. À ce moment-là, tu as un point de départ. Il suffit d’être clair dès le début et de montrer ce que tu attends du groupe. Mes joueurs l’ont compris.
- Cela paraît simple dit comme ça. Mais de tels principes n ’étaient pas appliqués avant votre arrivée ?
E. G. : Je ne dis pas ça, mais l’équipe était avant-dernière et il y avait bien des raisons pour qu’elle le soit... En tout cas, je ne me suis pas attardé sur le passé, je n’ai pas cherché à sa voir comment l’équipe jouait avant. J’ai ma propre philosophie sur le football.
- Quelle est la philosophie d’Éric Gerets ?
E. G. : Elle se base sur un rapport. C’est-à-dire qu’il y a une grande différence entre posséder le ballon et courir après un ballon qui est la propriété de l’adversaire. Tu peux seulement marquer quand tu as le ballon. De fait, la conservation de la balle est primordiale. Pour y arriver, il faut un dispositif tactique en adéquation, une motivation suffisante. C’est un travail collectif et dans ce collectif, il y a les individualités qui doivent faire la différence.
- Quand vous avez pris l’équipe en main, celle-ci était malade au point de ne pas répondre à de telles règles ?
E. G. : (Ferme) Non, il ne faut pas non plus exagérer. Ce qui manquait surtout, c’était la discipline tactique. Certains joueurs avaient oublié que le football est un sport collectif, qu’il faut travailler tous ensemble pour posséder le ballon et faire le nécessaire quand l’adversaire le détient. Au début, il y avait de petites fautes à ce niveau. Il a fallu mettre de l’ordre.
- Quel est votre mode de gestion humaine ? On vous définit comme un entraîneur paternaliste. Vous savez aussi être sévère...
E. G. : Si c’est nécessaire de l’être, je le suis. Si je dois être un père (sic), je sais l’être ; si je dois être celui qui punit aussi. Tout dépend du comportement de mes joueurs.
- Dans le groupe, avez-vous le sentiment que tous les joueurs comprennent ce type de relationnel ?
E. G. : Ils savent bien que je ne suis pas le type qui sait tout, qui a les réponses à toutes les questions. Seulement, j’ai ma ligne de conduite. J’ai ma philosophie : je veux que l’équipe joue à ma façon. J’essaye de faire mon boulot le plus sérieusement possible, avec mon tempérament et conformément au comportement de mes joueurs. Si c’est comme maintenant, où tous se donnent à fond, c’est facile de travailler avec un groupe.
- Cela n’empêche pas certains joueurs d’être mécontents. On l’a vu avec le cas Ziani. Comment avez-vous vécu personnellement cet épisode ?
E. G. : Cela fait plus de quinze ans que je suis entraîneur et ça ne m’était jamais arrivé. C’est un accident. Après avoir dormi quelques nuits, je crois que le joueur s’est rendu compte qu’il avait commis une erreur. Il l’a payée cher. Le fait d’avoir été mis à pied dix jours lui a coûté beaucoup d’argent.
- Cette affaire est définitivement close. Vous a -t-elle touchée sur un plan purement humain ?
E. G. : Ça m’a touché, mais cela ne m’a pas perturbé. Trop de fausses informations ont circulé dans les journaux. Cela m’a révolté. Ce déballage de mensonges a surtout fait mal à Karim.
- Vous avez dû gérer d’autres cas compliqués. On songe à Djibril Cissé qui est passé sur le banc malgré son statut...
E. G. :
Djib n’est pas un gars un difficile à gérer. Beaucoup de gens ont oublié qu’il a eu deux graves blessures. Il a réussi à revenir et a marqué des goals importants avant de connaître un creux logique vous diront les spécialistes. On a donc travaillé essentiellement le physique à un moment donné. En étant sur le banc et en voyant les autres jouer, il a reconnu que quelque chose lui manquait à cette époque. Il a compris ; il a toujours accepté mes décisions. Cette situation lui déplaisait et heureusement d’ailleurs. Aujourd’hui, nous entretenons les meilleurs rapports. Je n’ai eu aucun problème avec lui. C’est un super gars !
- Pour rester sur le relationnel avec les joueurs, vous êtes exigeant et vous n’hésitez pas à piquer certains, les cadres notamment à l’image de Samir Nasri, comme pour les pousser davantage...
E. G. : Ils en ont besoin. Tout le monde dit que Sam est le plus beau et le meilleur, mais depuis que je suis là, moi, je suis persuadé qu’il peut jouer encore mieux. Je suis le premier à reconnaître qu’il a énormément de talent, mais j’estime, par exemple, qu’il doit marquer beaucoup plus de goals. Je ne vais pas m’enthousiasmer trop rapidement avec un tel joueur. Ce serait une faute professionnelle de courir avec tous ceux qui disent qu’il est le meilleur joueur de l’histoire de l’OM. Il a les qualités pour devenir peut-être le meilleur joueur de tous les temps, mais pour le moment, il ne l’est pas.
Je ne dis même pas ça pour le piquer ; je dis seulement les choses comme elles le sont. C’est peut-être nouveau dans le football français. Je veux rester objectif et correct vis-à-vis de tout le monde, des journalistes et du joueur.
- Vous êtiez un joueur teigneux. L’entraîneur l’est-il aussi ?
E. G. : Beaucoup disent ça de moi, mais ils oublient que j’étais surtout un bon joueur de football. Si j’avais seulement été un défenseur qui jouait dur, je n’aurais jamais été élu meilleur joueur de mon pays et je n’aurais jamais disputé trois coupes du monde d’affilée (1982, 86, 90). Mais, c’est vrai, pour entraîner, il faut aussi du caractère.
- À ce propos, vous passez pour un entraîneur souvent insatisfait... E. G. :
Je ne suis pas d’accord. Peut-être que je donne cette image. Je dirai qu’il faut être réaliste et ne pas rêver. Je sais bien que mon équipe est capable de belles choses mais aussi de terribles comme devant Carquefou. Du coup, tant que je n’ai pas la garantie que cette équipe conservera un certain niveau de performance, eh bien, à chaque match, je ne serai pas tout à fait satisfait. Pour aspirer à lutter avec Lyon et Bordeaux la saison prochaine, il faudra éviter d’être inconstant comme on l’a été cette année.
- Vous avez découvert la Ligue 1. Comment jugez-vous son niveau ?
E. G. : Il y a des hauts et des bas. Certains matches sont terribles à voir, c’est même une catastrophe. D’autres sont d’un très haut niveau. En revanche, il n’y a pas d’adversaires faciles. Pour Lyon-Metz, en coupe de France, je ne savais pas qui était le leader et le dernier. L’élite française est équilibrée. C’est la raison pour laquelle les détails font souvent la différence. Je veux parler dela classe individuelle dans le collectif mais aussi et surtout de l’organisation car une équipe bien disciplinée peut engranger beaucoup de points.
- Vous avez officié en Allemagne, en Turquie, en Belgique bien sûr, et maintenant en France. Partout où vous êtes passé, vous vous êtes toujours adapté en vrai caméléon...
E. G. : À chaque fois, j’ai appris beaucoup de choses sur le foot, mais sur la vie aussi. Dans tous les pays où je suis passé, j’ai fait en sorte de m’intégrer complètement et de respecter les règles, les cultures sans oublier la religion. En Turquie, vous êtes ainsi obligé de respecter le ramadan. Pour avoir vécu autant d’expériences, je suis un homme riche !
- Vous êtes à Marseille depuis quelques mois à peine, mais vous semblez y avoir toujours vécu...
E. G. : (Il prend son temps pour répondre) C’est drôle, je rêvais que ce soit comme ça, justement ! Certes, les résultats sportifs jouent un rôle important dans l’adaptation d’un entraîneur, mais au-delà de ce paramètre, je sens que je suis en parfaite osmose avec cette ville et sa région. J’adore le soleil, bien vivre, bien manger, boire une coupe de champagne, fumer mon cigare. Ici, on n’est pas loin du paradis. Chez moi, en Flandres, on dit, d’ailleurs, "vivre comme Dieu en France" !
- A Marseille, on vous considère comme l’héritier de Raymond Goethals...
E. G. : On est tous les deux Belges, mais pour le foot, il ne faut pas trop nous comparer. L’équipe dont disposait Raymond était tout de même composée d’un noyau d’individualités plus fort. De plus, il avait son caractère, sa philosophie et moi, j’ai les miens.
- Vous l’avez bien connu. Il a été votre coach au Standard de Liège et même en équipe nationale. Comment le considériez-vous ? Etiez-vous admiratif ?
E. G. : Il fallait le prendre comme il était. Il n’était certainement pas l’entraîneur le plus fort pour diriger une séance. Ça ne l’intéressait pas ; il était plongé dans ses pensées, déjà tourné vers le prochain match. Il était ailleurs au point de ne plus savoir où était sa veste ! Mais tout le monde acceptait cette gestion car il était si fort tactiquement. Il était probablement celui qui analysait le mieux l’adversaire. Dans ce domaine, ce fut le meilleur entraîneur que j’ai jamais eu.
- Est-ce une référence pour vous ?
E. G. : C’était un grand technicien, mais j’ai eu tellement de bons entraîneurs ! Goethals, Hiddink, Robson,... Je ne veux imiter personne. Ceci étant, tous m’ont apporté quelque chose et inconsciemment, j’ai dû piocher un peu chez tous.
- Le dernier titre de l’OM remonte à l’ère Goethals. Est-ce que ce serait un rêve pour vous d’en offrir un à votre tour, vous qui êtes devenu l'autre sorcier belge dans le coeur des supporters ?
E. G. : C’est pour de tels objectifs que l’on se consacre au sport. Si on fait du sport pour être un Poulidor, même si je respecte profondément ce monsieur, ce n’est pas la peine. Moi, je veux être premier avec mon équipe. J’ai vécu tellement de bons moments comme joueur et coach en gagnant des championnats. Il n’y a rien de plus beau. L’année où j’ai gagné le titre national et la coupe d’Europe des clubs champions avec PSV Eindhoven, j’étais plus content d’avoir gagné le championnat que la C1.
- À vous écouter parler de l’OM, on sent que vous comptez vous inscrire dans la durée ici...
E. G. : II faut toujours faire attention avec ça. On parle de long terme, mais ça change tellement vite dans le football. Je suis plutôt carpe diem maintenant. J’essaye de profiter d’une belle journée. On verra bien ce qui suit...
- En terme de recrutement, vous préparez déjà la saison prochaine. Avez-vous défini le profil des recrues ?
E. G. : Oui. Ce que je peux dire, c’est qu’on est sur la même longueur d’ondes avec José (Anigo).
- Aurez-vous les garanties d’obtenir les joueurs escomptés ?
E. G. : Si on annonce que l’on veut être champion, il sera nécessaire de se renforcer en conséquence.
- Le mode de recrutement s’opère toujours de manière collégiale avec José Anigo et Pape Diouf. C’est un principe qui vous convient parfaitement.
E. G. : C’est un échange permanent d’idées et de propositions, ça me va. ça fonctionne très bien. En plus, on me laisse travailler tranquillement.Il n’y a personne qui vient me contrôler et se mêler de mes affaires. Aucun joueur ne m’a été imposé. La priorité reste d’engager des joueurs pour être compétitif immédiatement et cela n’empêche pas de recruter parallèlement de jeunes éléments pour une politique du long terme comme on l’a fait avec Elliot Grandin.
- Vous ne laissez pas indifférent en Allemagne où des clubs aimeraient vous engager. Pour vous, ce n’est pas d’actualité...
E. G. : L’actualité, c’est la préparation du match face à Lille.
La Bundesliga, ce n’est pas d’actualité aujourd’hui ni la saison prochaine... Pour le moment, tout à fait.
- Il y a beaucoup de pression à et autour de l’OM. Comment faites-vous pour l’évacuer ?
E. G. : (Il déclare dans un grand sourire) Quelque part, je cherche un peu la pression ! Avant de venir à l’OM, j’avais d’autres propositions de clubs où j’aurais eu beaucoup plus d’argent et où j’aurais été beaucoup plus tranquille. Mais franchement, je n’étais pas prêt à aller dans les Emirats. Je voulais encore relever un challenge en Europe et forcément, je savais que j’aurai de la pression à Marseille. De toute manière, pour avoir travaillé en Turquie, je peux désormais officier dans n’importe quel pays ensuite.
- La pression est-elle la même à Istanbul et à Marseille ?
E. G. : Elle est un peu plus grande en Turquie.
- Les gens vous sollicitaient davantage dans la rue là-bas ?
E. G. : Oui. En plus, il y a trois clubs à Istanbul. Imaginez ce que c’est ! La presse a aussi un autre comportement qu’en France.
- En-dehors du football, comment Eric Gerets parvient à s’évader ?
E. G. : Oh, je suis quelqu’un de tranquille ! Je me détends chez moi. Je vis au calme. J’habite à Fuveau maintenant, je m’y sens vraiment très bien. Pour le reste, je regarde un peu la télévision et je fais du sport.
- Lequel ?
E. G. : J’ai un home trainer dans ma cave !
- Vous êtes un passionné de cyclisme. Le pratiquez-vous ?
E. G. : Ah, le vélo ! Malheureusement, le mien est resté dans ma maison en Belgique. Je n’ai pas pu le prendre avec moi à Marseille. Mais dès qu’un ami le peut, là-bas, il me le met dans sa voiture et me l’amène.
- Vous devez être aux anges. Tom Boonen a de nouveau gagné Paris-Roubaix !
E. G. : (Il s’exclame) Tom, c’est mon idole ! En plus, la Quick Step est mon équipe favorite. Je connais très bien Lefévère (le manager de la formation belge). La victoire de Boonen m’a fait énormément plaisir, car c’est un immense champion. Il mérite ce succès. Avec tout ce qu’il a gagné, les critiques commençaient à s’abattre sur lui en Belgique. Tout ça parce qu’il n’avait pas remporté le Tour des Flandres. Il est remonté sur la première marche et c’est un grand soulagement pour moi.
- Vous connaissez-vous bien ?
E. G. : On s’est déjà rencontré une fois. J’ai suivi un Tour des Flandres et d’autres courses encore. À chaque fois, c’était un régal !
- Le Tour de France passe en Provence cet été. Assisterez-vous à une étape si vous le pouvez ?
E. G. : (Sans hésiter) Ah, si je le peux, j’irai certainement rendre visite à la Quick Step !