Et maintenant, la boboïsation des stades de foot !
L'affaire de la banderole «anti Ch'tis»? Pour le sociologue des territoires Christophe Guilluy, c'est le signe d'une «gentrification» de la société, qui rejette autant les classes populaires que la violence symbolique qu'elles expriment.
Christophe Guilluy. (© Photo Antoine Doyen)
Christophe Guilluy. (© Photo Antoine Doyen)
Marianne2 : Comment analysez-vous l'émotion suscitée par la banderole des supporters du PSG «Chômeurs, pédophiles, consanguins : Bienvenue chez les Ch'tis» brandie lors du match contre Lens le 31 mars dernier ?
Christophe Guilluy : Le traitement médiatique de cet événement marque une nouvelle étape de la «gentrification» de la société, c'est-à-dire l'appropriation par la bourgeoise des territoires populaires. D'abord, ça a été les emplois, puis les centres-villes et leurs lieux de vie (bistrots, parcs, etc). Il restait un endroit où les classes populaires s'exprimaient librement : les stades de football. Mais désormais, les tribunes doivent être présentables : plus de banderoles grossières, racistes, etc.
Pourquoi cette exigence se porte-t-elle sur le football ?
C. G.
epuis la victoire de la France lors de la coupe du Monde de 1998, les médias ont décrété que tout le monde devait aimer le foot : les femmes, les bourgeois, les intellectuels, etc. Or, ce sport renferme tout ce que la société gentrifiée ne veut pas voir : de la colère, de la violence et de la vulgarité. Le discours médiatique refuse ces expressions naturelles qui sont les corollaires de la confrontation ou de la fraternité, des situations humaines normales. Donc, il les rejette comme il rejette les classes populaires qui expriment légitimement une violence symbolique dans ces stades. Comme la société a rejeté les classes populaires des quartiers populaires au profit des «bobos». Ils veulent instituer un «bobo foot» lissé de tout «chambrage» : le peuple, oui, mais loin des caméras.
Quelles sont les évolutions possibles de ce phénomène de gentrification des stades ?
C. G. :Les mêmes que pour les lieux d'habitation : puisqu'on les exclut des stades des grandes villes, les classes populaires se reportent sur les petits clubs de banlieue ou de province, la division d'honneur, etc. En Angleterre, pour résoudre le problème des «hooligans», les autorités ont trouvé une solution : ils ont multiplié le prix des places par cinq. Et le résultat a été immédiat : plus de classes populaires, plus de hooligans dans les grands stades. Depuis, les violences se multiplient dans les clubs de sport des petites villes.
Le foot est donc, une fois de plus, le symptôme d'un phénomène plus large?
C. G. :Au travers ce refus de voir les classes populaires dans les stades, c'est presque une métaphore de la disparition du peuple qui se joue. Après la ville sans le peuple avec les métropoles boboïsées, et la politique sans le peuple avec l'abstention record aux municipales, on se retrouve avec le foot sans le peuple. Tout ce que l'on fait, c'est repousser les classes populaires ailleurs, là où on ne les voit ni elles, ni leurs problèmes.