par Torben Frank » 18 Nov 2007, 11:40
Tiré du Figaro le 04 juillet 2006
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La difficile percée de l’Italie d’en bas
ROMAIN SCHNEIDER ( De notre envoyé spécial en Sicile)
L’HISTOIRE était pourtant belle. Trop belle pour le Championnat d’Italie où les forts sont forts et les faibles, faibles. Modeste promu, un des plus petits budgets du Calcio, Messine, qui n’avait plus participé au championnat de l’élite depuis la saison 1964-1965, a fait trembler les grosses cylindrées pendant quelques semaines et terminé à la septième place, qualifiée de « miraculeuse », par son propriétaire Pietro Franza, un industriel local de 36 ans, à la tête du club depuis cinq ans. C’était l’an dernier. Le conte de fées a pris fin cette saison. Messine, 18e de série A est redescendu à l’étage inférieur, plus conforme à son standing. Retour sur terre pour ce port industriel situé à la pointe nordest de la Sicile, régulièrement classé ville la plus laide d’Italie. Ici, les bateaux sont beaucoup plus nombreux que les touristes. Messine la laide, Messine la pauvre était sortie de l’ombre pendant quelques mois. Un coup de projecteur inespéré pour cette ville oubliée : « La chose la plus aimée au monde c’est le football. Pour se faire connaître il n’y a pas mieux ! affirme Franza. Grâce aux résultats de l’équipe, l’image de la ville a changé. Avant, seul Taormina était connue. Aujourd’hui Messine l’est aussi. » Des supporters dix fois plus excessifs qu’au nord Elle était jusqu’alors surtout associée au tremblement de terre de décembre 1908, le plus meurtrier jamais enregistré en Europe. Il avait détruit la ville et provoqué la mort de plus de 150 000 personnes ! Située à seulement 3 kilomètres des côtes de la Calabre, Messine n’est toujours pas reliée au continent : « Cinq milliards d’euros vont être investis en huit ans pour la construction d’un pont suspendu », assure Pietro Franza. Et Messine à nouveau en série A, c’est pour quand ? « On a encore beaucoup de difficultés d’infrastructures. La série A nous a permis de construire un stade à l’anglaise de 40 200 places.Mais nos moyens restent limités. La Juve, le Milan AC investissent chaque année 200 à 300 millions d’euros. Notre budget est de 30 à 40 millions », précise Franza. Un club sicilien s’en va, un autre arrive. Deuxième de série B, Catane va retrouver l’élite vingtdeux ans après l’avoir quittée et rejoindre sa grande rivale de Palerme, huitième de série A cette saison. Il y aura donc encore deux équipes siciliennes en première division la saison prochaine. Une situation impensable il y a cinq ans. L’émergence des équipes sudistes dans une Italie du football écrasé par le nord, s’explique. Des entrepreneurs se sont enfin intéressés à l’île, que les clichés associent bien évidemment à la Mafia. Mais dont les clubs, ironie de l’histoire, échappent pour l’heure au scandale des matchs truqués du Calcio (lire page 14). À Palerme, c’est un investisseur venu du nord, Maurizio Zamparini, qui a injecté une partie de sa fortune dans le club, assurément le seul en Sicile qui puisse briguer les places européennes. Antonino Pulvirenti, le propriétaire de la compagnie aérienne Wind- Jet, a misé sur Catane. Pourquoi un tel engouement ? « Ils ont compris que l’on pouvait faire du business en investissant dans des équipes siciliennes », poursuit Franza. « Le potentiel est énorme. Avec 30 000 personnes de moyenne à Messine, nous sommes la 7e équipe d’Italie en termes d’assistance. Avec Palerme et Catane, plus de 100 000 personnes viennent supporter des équipes siciliennes. » Un engouement populaire dans une région toujours minée par le chômage. Avec un taux de près de 24 %, c’est le plus important d’Italie après la Calabre. Malgré la beauté de l’île, l’industrie touristique est sous-exploitée. « Tout ici est beaucoup plus difficile qu’ailleurs en Italie. Pour trouver un sponsor, c’est plus compliqué que dans le nord. Et pourtant, tout est à faire alors que là-bas tout est fait », assure Franza. Il prophétise néanmoins : « Il y a 5 millions d’habitants. On est au centre de la Méditerranée. Le climat est bon. La Sicile sera la prochaine Floride d’Italie. » Pour l’heure, la Sicile n’est ni la Floride d’Italie ni l’eldorado pour le footballeur. Originaire de Grenoble formé à Lyon, où il a notamment côtoyé Anderson et Edmilson, Gaël Genevier ne pensait pas un jour évoluer à l’Acireale, club de série C 1. Un cadre industriel, des rues sales, des dizaines de maisons abandonnées, bienvenue dans la Sicile d’en bas, celle qui n’attire pas les touristes. L’Etna n’est pourtant pas très loin. « À Palerme, on pense que Catane c’est la ruralité. Ici, la richesse c’est l’Etna », résume le Français. Le célèbre et inquiétant volcan surplombe le vétuste stade de 5 000 places où évolue Genevier. Le décor est surréaliste au-dessous du volcan : « Il y a souvent des petits séismes. Parfois on voit la lave qui descend et les cendres qui tombent », s’amuse l’ex-Lyonnais. À 24 ans, Genevier cherche encore à se faire une place dans le football transalpin. Débarqué dans le championnat d’Italie par l’intermédiaire de son agent, il a été recruté par Pérouse en septembre 2003, mais il ne joua que quatre matchs en série A. Il sera ensuite prêté à Catane, alors en série B, avant d’atterrir un échelon plus bas avec l’Acireale. Genevier connaît donc l’ordinaire football italien. Avec un salaire annuel de 40 000 euros, il ne se plaint pas. Au contraire. Orgueil et fierté « On est des privilégiés de jouer en Sicile. Il y a du soleil toute l’année. C’est mieux qu’à Cherbourg. Et on mange des vraies pâtes. J’ai disputé, il y a deux ans, le derby Palerme-Catane en série C devant 35 000 personnes. Il n’y a qu’à Naples (qui revient en série A), où j’ai évolué devant 40 000 personnes ». Aujourd’hui, il évolue devant 800 à 1 000 spectateurs plantés dans tribunes inconfortables du stade. La passion n’en reste pas moins présente. « Les supporters font partie du club. Ils nous disent que ça ne va plus à la maison quand on perd. Le chef des supporters d’Acireale a raté son mariage à cause de sa passion. Quand ça se passe bien, il nous invite au restaurant, sinon on reste chez soi. En Sicile, les supporters sont dix fois plus excessifs qu’au nord. » Qui d’autre que Pietro Franza, Sicilien pur souche, peut mieux résumer les valeurs locales : « Le Sicilien en général est très orgueilleux. Fier de sa terre, de sa famille. » Et fier désormais de ces équipes de football.[/info]