Information
Jacques-Henri Eyraud s’est-il montré négligent lors de la signature du contrat avec IQONIQ, l’un des sponsors maillot depuis février 2020 du club qu’il préside ? Au regard de la loi française c’est bien possible, car l’entreprise utilise l’image du club phocéen pour la promotion d’une Initial Coin Offering (ICO), une levée de fonds utilisant les cryptomonnaies. Cette opération consiste à proposer aux investisseurs (particuliers ou non) d’acquérir des jetons numériques développés par IQONIQ (des “IQQ”) avec des cryptomonnaies bitcoin ou ether. Les IQQ sont censés offrir des récompenses aux utilisateurs (maillots, billets de matches, etc.) et un rendement mensuel à hauteur de 10% des revenus de l’entreprise.
Le problème, c’est que la réglementation est très claire à l’égard des ICO depuis l’adoption de la loi Pacte en 2019 : “Toute opération de parrainage (le sponsoring entre dans ce cadre, ndlr) ou de mécénat est interdite lorsqu'elle a pour objet ou pour effet la publicité, directe ou indirecte, en faveur d'une offre au public de jetons”. Une exception est possible si l’entreprise est titulaire d’un visa délivré par l’Autorité des marchés financiers (AMF), l’organisme public chargé de protéger les investisseurs. Mais, selon nos informations, IQONIQ n’a jamais déposé de dossier en ce sens.
Selon le cabinet ORWL, spécialisé dans le droit des technologies de rupture, “le caractère promotionnel du parrainage concernant l’ICO est avéré par la mise en avant des clubs parrainés sur le site de l'émission de jetons, les divers avantages offerts aux acquéreurs de jetons IQQ en lien avec les clubs parrainés (gagner des maillots, des tickets et du merchandising à l’image des clubs sponsors) et la mise en avant dont les clubs parrainés font l’objet dans les documents de présentation de l’ICO”.
La société installée à Monaco risque une amende de 100.000 euros, tout comme l’OM. Par ailleurs, ils pourraient également être en infraction avec le régime d’intermédiation en biens divers car IQONIQ met en avant un rendement financier pour son jeton. Sur le plan pénal, l'exercice illégal de cette activité est passible d’une peine de cinq ans d'emprisonnement et d’une amende de 18.000 euros pouvant être quintuplée pour les personnes morales. Ils s'exposent de surcroît à une amende de l'AMF pouvant aller jusqu'à 100 millions d'euros.
Interrogé, l'OM déclare ne pas être au courant de cette vente de jetons. “Nous n’avons aucune information”, déclare Grégoire Kopp, le directeur de la communication olympien. “Contractuellement, ils ne peuvent associer l’OM qu’à une plateforme de fan engagement, pas autre chose”, insiste-t-il. Pourtant, le portail de la vente de jetons d’IQONIQ met en scène les joueurs olympiens et les documents destinés aux investisseurs renseignent le club comme un partenaire. Le patron de la société Kazim Atilla déclare à Capital que son entreprise ne fait aucune promotion en France. Or, son nom s’affiche sur le maillot de l’un des clubs les plus populaires de l’Hexagone. Ce contrat lui permet d'attirer les investisseurs potentiels.
Kazim Atilla ajoute également que “la vente de jetons est privée” et qu’elle ne tombe pas dans le cadre la loi sur les ICO. C’est contestable car un salarié d’IQONIQ diffuse publiquement sur le compte Telegram de la société (plus de 14.000 membres) des liens vers le site de la vente avec des codes de parrainage que n’importe qui peut utiliser.
Selon l’AMF, une vente devient publique lorsqu’elle est portée à la connaissance d’au moins 150 personnes. Selon nos constatations, il a été possible d’acheter des jetons avec une adresse et des documents d’identité français. Interrogé sur ce point, Kazim Atilla déclare qu’ils vont “faire quelque chose pour que les citoyens français n’achètent pas nos jetons”.
Sur son site, l’OM se félicite d’être le “tout premier club de football français à faire ses pas sur l’application”. Cette application n’est toujours pas disponible. En revanche, la vente de jetons est accessible depuis juin. Après l’OM, IQONIQ s’est associée avec l’AS Monaco, l’AS Roma, le Milan AC, la Real Sociedad, le Zenit Saint-Pétersbourg et même la Liga espagnole. “Les clubs n’ont pas forcément de structure juridique pour mener les vérifications nécessaires lors de la signature d’un nouveau sponsor”, souligne un expert en droits sportifs dont l’affaire est arrivée jusqu’aux oreilles. “Ils se font confiance les uns les autres, à partir du moment où l’un d’eux signe avec une entreprise, les suivants ne se posent pas de questions”, souffle-t-il.
Selon nos informations, les clubs commençaient ces derniers jours à s’inquiéter de la solvabilité d’IQONIQ, voyant le nombre de nouvelles équipes sponsorisées. Le Zenit Saint-Pétersbourg a discrètement retiré le logo de la société qui apparaît sur sa pelouse lors des rencontres à domicile. Une source proche du dossier assure que de nombreux clubs n’ont encore été payés. Elle ajoute que l’ensemble des contrats signés sont évalués à 11 millions d’euros, dont 800.000 euros pour l’OM. IQONIQ déclare être soutenue à hauteur de 100 millions d’euros par Lux Media Investments, une société présentée comme luxembourgeoise avec peu de références sur Internet et sans adresse postale apparente.
En suivant les transactions Bitcoin et Ethereum sur leurs blockchains respectives, Capital a constaté que la vente de jetons d’IQONIQ avait récolté à ce jour un peu plus d’un million d’euros auprès de 1200 personnes. Seul le propriétaire des adresses cryptographiques peut accéder à ces fonds.