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Le fair-play financier dans le rouge
Inefficace quand il veut sanctionner certains grands clubs, le fair-play financier touche ses limites. Même s'il a contribué à assainir les finances du football européen.
Attaqué de toutes parts depuis sa mise en oeuvre, en 2010, le fair-play financier (FPF) pourrait être tenté, cette fois-ci, de rendre les armes. Il faut dire que le coup est rude. La décision du TAS (Tribunal arbitral du sport) d'annuler l'exclusion de Manchester City pour deux ans des Coupes européennes (*) est en effet dure à encaisser. Le 14 février, la chambre de jugement de l'instance de contrôle financier des clubs (ICFC) de l'UEFA avait pourtant prouvé qu'Aleksander Ceferin, le président de l'UEFA, ne mentait pas lorsqu'il nous déclarait, en 2017 : « Ceux qui disent que nous n'aurons jamais le courage de sanctionner encore plus durement des grands clubs comme le PSG ou Manchester City ne sont pas sérieux. Ils ne me connaissent pas. Laissez fonctionner nos procédures. »
Le volontarisme du Slovène était réel, mais les « procédures » ont eu raison de lui. Car avant City, c'est le Paris-SG, autre symbole d'investissements massifs avec des contrats de sponsoring controversés, qui est passé entre les gouttes. Renvoyé, le 24 septembre 2018 devant la chambre d'instruction pour « un examen plus approfondi » de son dossier, le club parisien risquait très gros. Mais comme son homologue anglais, il a pu compter sur le TAS pour s'en sortir. Estimant que l'UEFA avait trop tardé à prendre cette décision, ce tribunal indépendant l'avait cassée le 19 mars.
À l'arrivée, les deux « nouveaux riches » du football européen, « dopés », selon leurs détracteurs, aux ressources quasi infinies des Émirats arabes unis (City) et du Qatar (PSG) vont disputer sans souci la fin de cette saison de Ligue des champions (Paris va affronter l'Atalanta en quarts de finale et Manchester City, victorieux du Real, 2-1, lors du huitième aller, va disputer son match retour le 7 août) et remettront ça en 2020-2021. Avant eux, l'AC Milan (racheté par Sport Investment Lux, un groupe d'investisseurs chinois, en avril 2017), exclu de la Ligue Europa en juin 2018, avait été réintégré un mois plus tard par le TAS.
Peu à peu, l'UEFA doit s'habituer à voir ses velléités de contrôle financier anesthésiées dans la foulée par le TAS, qui penche souvent du côté des puissants. « Le TAS n'a plus de légitimité, estime Philippe Piat, le président de la FIFPro, le syndicat mondial des joueurs. Il prend des décisions que l'on ne comprend plus et qui ne vont jamais contre le système. Il ne juge pas en droit, mais en opportunité. Quand des intérêts économiques importants sont en jeu, il est aux abonnés absents. »
En vacances cette semaine, Jean-Michel Aulas, le président de l'OL, nous a fait savoir brièvement « ne pas connaître le dossier de City au TAS ». Mais, au vu de cette nouvelle déconvenue pour l'UEFA, le président lyonnais, qui a souvent dénoncé les avantages des clubs soutenus par des États, se dit « pas très optimiste » pour l'avenir du fair-play financier. Quoi qu'il en soit, pour City les soucis s'arrêtent là puisque l'UEFA confirme « qu'il n'y aura pas de recours devant le Tribunal fédéral suisse » (la suite possible de la procédure) pour tenter de casser la décision du TAS.
Et on estime évidemment, à la Confédération européenne, que le fair-play financier va se relever : « Il s'agit d'un cas particulier qui ne remet pas en cause tout le système de contrôle financier qui a été mis en place. Cette fois-ci, le TAS a suivi Manchester City. Mais, dans une majorité de dossiers, peut-être moins médiatiques, il va dans notre sens. Le fair-play financier va donc continuer sa route. » Avant même la décision du TAS, l'UEFA avait déjà annoncé vouloir amender le fair-play, un processus qui passera par des négociations avec l'ECA, l'association des clubs européens.
Le FPF va continuer avec ses bons côtés, soulignés par Philippe Diallo, le directeur général de l'UCPF, le syndicat historique des clubs : « Le fair-play financier visait à rétablir l'équilibre économique du football européen, selon la formule magique de ne pas dépenser plus qu'on ne gagne, rappelle-t-il. De ce point de vue, il a rempli sa mission. Les clubs perdaient 1,7 milliard d'euros quand il est né (en juin 2010). Désormais, ils affichent un résultat global positif. Ensuite, on a voulu en faire un objet d'équilibre sportif. Sur ce deuxième aspect, il n'a eu aucun effet. Il peut même avoir tendance à figer les positions en empêchant de nouveaux investisseurs d'être rapidement très compétitifs au plus haut niveau. Et quand on regarde sur dix ans la Ligue des champions, on voit que ce sont toujours les mêmes qui y figurent. »
Cette photo figée ne plaît pas à Bernard Caïazzo, le président du conseil de surveillance de Saint-Étienne et de Première Ligue, le syndicat des clubs de l'élite. « Je ne suis pas très favorable au fair-play financier, explique-t-il. Il sert surtout à empêcher les nouveaux entrants de chatouiller les chevilles des clubs bien installés, comme le Real, le Barça, le Bayern ou la Juve, qui évoluent dans un système aristocratique dont il ne faut pas être dupe. J'estime que n'importe quel investisseur peut décider de mettre de l'argent pour concurrencer les uns et les autres. Je suis plus favorable à une DNCG européenne, dans un système proche de celui que l'on a chez nous. Des entreprises peuvent accepter de perdre beaucoup d'argent pendant des années, avant d'en gagner beaucoup ensuite. Amazon est l'exemple. Si on avait appliqué à Amazon le fair-play financier, il n'aurait pas pu continuer à travailler. »
(*) Manchester City avait été exclu des Coupes d'Europe pendant deux saisons et condamné à 30 M€ d'amende le 14 février par l'ICFC pour avoir surévalué des revenus issus des contrats de sponsoring liés au groupe Abu Dhabi United - également détenu par le propriétaire de City - entre 2012 et 2016. Lundi, le TAS, qui estime que « Manchester City n'a pas déguisé ses contrats de sponsoring, mais a échoué à coopérer avec l'UEFA », a annulé l'exclusion du club des compétitions européennes et réduit son amende à 10 M€.