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Comment les clubs empruntent pour financer leurs transferts
À l'approche du mercato hivernal (du 1er au 31 janvier), les clubs qui envisagent d'emprunter pour acheter peuvent trouver de l'argent à condition de présenter assez de garanties et de payer des intérêts confortables.
« Nous prévoyons de travailler avec de nombreux clubs de haut niveau en Europe pour faciliter les transferts lors du mercato de janvier. » Le Britannique Jason Traub a cofondé en 2014, avec l'Australien Stephen Duval, 23 Capital, un fonds d'investissement très actif dans une nouvelle activité fort rentable : le financement des transferts de haut vol.
Les transferts de Griezmann et Joao Felix financés par 23 Capital ?
Celui d'Antoine Griezmann de l'Atlético de Madrid au FC Barcelone l'été dernier pour 120 M€ ? Selon le journal espagnol El Confidencial, 23 Capital a avancé au Barça l'intégralité des fonds, dont 35 M€ prêtés pour six mois « à un taux bien supérieur à la moyenne du marché ». De même source, le fonds basé à Londres - il vient d'ouvrir une antenne à Barcelone - a aussi réglé pour l'Atlético la clause libératoire de 126 M€ de Joao Felix, l'attaquant portugais de Benfica qui a remplacé le Français. Le dernier gros coup d'une histoire qui en est déjà riche.
Manque de liquidités
Appuyé depuis 2017 sur le fonds Quantum Partners du multimilliardaire George Soros, 23 Capital a réussi sa première opération avec le transfert de Bernardo Silva de Benfica à Monaco en janvier 2015. Comme révélé par les Football Leaks l'année suivante, les 15,75 M€ du transfert ont été payés en trois fois par l'ASM, non pas à Benfica mais à 23 Capital, qui avait racheté la créance au club portugais contre une rémunération estimée par le Guardian à 1,30 M€, 9 % environ du transfert.
Les clubs sont amenés à payer de gros intérêts à ce type d'intermédiaire en raison de l'inflation des transferts et de leur manque de liquidités, leur plus gros actif - les joueurs - étant par définition immobilisé. Mais la solidité économique des clubs les plus riches, sur fond de droits télé en forte hausse et de revenus commerciaux à l'avenant, leur ouvre assez facilement des lignes de crédit. Et quand il faut trouver l'argent très vite - une huitaine de jours dans le cas du transfert de Griezmann - une structure comme 23 Capital, attirée, comme d'autres, par la nouvelle rentabilité du football business, est bien plus réactive qu'une banque traditionnelle.
« Depuis notre fondation en 2014, nous avons fourni plus de 2 milliards de dollars en prêts directs à ces secteurs [le sport mais aussi la musique et le divertissement] et 23 Capital est l'un des principaux prêteurs transfrontaliers européens à l'industrie du football », nous a expliqué Jason Traub par mail. Son fonds - il préfère comparer son activité à celui d'une banque - peut-il peser sur la politique sportive des clubs, comme le risque en existait avec la tierce propriété des joueurs, interdite par la FIFA en 2015 ? La réponse est catégorique : « Aucun des accords que nous concluons avec les clubs ne nous donne la possibilité d'influencer leur indépendance en matière d'emploi, de transfert ou de tout autre sujet [concernant les joueurs], pas plus qu'ils ne nous donnent le droit d'être intéressés au futur transfert des joueurs, qui sont les deux principes clés de la tierce propriété définis par la FIFA. »
Extrême prudence des financiers français
23 Capital est unique en son genre. Selon nos informations, aucun autre financier en Europe ne prête aux clubs juste pour qu'ils achètent des joueurs. La société a refusé de nous dire si elle finançait ces transferts « secs » en France : « Nous avons réalisé de nombreuses transactions dans divers pays en Europe, mais nous ne pouvons pas divulguer de détails pour des raisons de confidentialité. »
Nicolas Blanc, fondateur de Sport Value, un expert en solutions financières dans le domaine du sport, travaille souvent avec 23 Capital, mais pas dans ce cas précis : « Les emprunts réalisés uniquement pour financer des transferts trahissent une vision court-termiste des clubs et le risque est trop élevé pour les prêteurs, sauf s'il s'agit de grands clubs qui, a priori, ne feront pas défaut, comme ceux avec lesquels 23 Capital travaille. » Aucun financement pour les autres clubs alors ? « Si, mais à condition que le transfert à financer fasse partie d'un projet plus global, structurant pour le club. »
25 M€ en deux tranches pour Saint-Étienne en 2018
C'était l'esprit d'une ligne de crédit obtenue par l'AS Saint-Étienne en 2018 et dont L'Équipe avait révélé l'existence : 25 M€ versés en deux tranches par un financier anglais. L'argent a permis aux Verts d'acheter Rémy Cabella et Wahbi Khazri, de prolonger Mathieu Debuchy et Yann M'vila en augmentant la masse salariale... et de se qualifier pour la Ligue Europa 2019-2020 (4e de L1).
Attention, ce genre d'opération peut être risqué en cas d'échec sportif. Ce qui est arrivé à Lens, incapable, après sa relégation en 2011, d'honorer ses dettes et racheté par son prêteur (Crédit Agricole Nord de France).
Le cas lensois et d'autres mauvais souvenirs expliquent l'extrême prudence des financiers français. À de rares exceptions près, les clubs tricolores doivent franchir les frontières pour trouver de l'argent. Les prêteurs sont australiens (banque Macquarie), espagnols (banque Santander), allemands (Deutsche Bank, IBB), anglo-saxons (les fonds 23 Capital, Stern & Co, Score Capital ; les spécialistes du rachat de créance comme London Forfaiting Company). « Les banques françaises ont gardé une vision sulfureuse des flux d'argent et des acteurs de l'univers du sport qui est pourtant éloignée de la vérité car les clubs sont maintenant soumis à de nombreux contrôles », observe Nicolas Blanc. Le business se fait sans elles.
Plusieurs rachats de créances sur transfert en France
Depuis sa création en 2013, Sport Value a obtenu près de 500 M€ de crédit au profit des clubs auprès de son réseau d'organismes financiers à l'international. En 2019, une huitaine de clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 en ont bénéficié. Dans tous les cas dans le cadre de rachats de créances sur des transferts. Cette opération très répandue dans d'autres secteurs de l'économie et strictement encadrée en France (loi Dailly de 1981) s'est « démocratisée » dans le football avec la pratique du paiement échelonné des transferts.
Lorsqu'un club A vend un joueur à un club B selon ce principe, il a deux solutions : soit attendre les échéances de versement (10 M€ tous les ans pendant quatre ans pour un transfert de 40 M€ par exemple), soit se tourner vers un financier qui lui verse la totalité et se fait lui-même rembourser par le club B. Il en coûte bien sûr une commission au club vendeur. Autre pratique : pour se protéger contre un défaut de paiement, le club vendeur peut souscrire une police d'assurance-crédit. Les clubs empruntent aussi pour améliorer le confort de leur stade, embaucher des commerciaux ou augmenter les salaires du staff.
Un logiciel sur mesure pour évaluer les risques
« Le taux des financements a tendance à baisser, il est fonction du risque, du montant et de la durée, exactement comme pour votre emprunt immobilier à la banque, détaille Nicolas Blanc. Mais ce qui rend les choses compliquées et demande une expertise en analyse de risques grâce à un logiciel créé sur mesure comme le nôtre, c'est l'absence de visibilité sur les capacités de remboursement de certains clubs à échéance de trois ou quatre ans. Vous ne prêtez pas aussi facilement ou pas aux mêmes conditions au Real Madrid et à un promu en Ligue 1 susceptible de redescendre. » Une dure loi économique avec laquelle les clubs désireux d'emprunter pour se renforcer au mercato hivernal devront composer.