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POURQUOI
LE CAC 40
BOUDE LA L 1
Alors qu'un fonds américain est en passe d'acheter Bordeaux pour 100 M€, aucune société française cotée à cet indice référence ne projette d’entrer dans l’actionnariat des clubs français. PASCAL GLO
Vendredi, le fonds américain General American Capital Partners (GACP) est entré en négociations exclusives avec M6 pour le rachat des Girondins de Bordeaux, qui devrait se conclure d'ici quelques semaines contre la somme de 100 millions d'euros (voir L'Équipe d'hier). À vendre depuis plusieurs mois, le club aquitain n'a pas suscité l'intérêt des entreprises cotées au CAC 40. Pas plus que Saint-Étienne, convoité il y a quelques semaines par la société américaine Peak6, ni aucun autre club de foot français à vendre. Le CAC 40, fleuron de la Bourse de Paris, se méfie de la Ligue 1 où on ne l’a pas vu dans le capital d’un club depuis Peugeot à Sochaux en 2012 et où seuls Orange à l’OM et Veolia à l’OL sont sponsors majeurs. « Je suis seulement consultant, surtout pas actionnaire », se défendait même Franck Riboud, PDG de Danone en 2010 à propos d’Évian-TG. Ce n’est pas notre métier. » « On peut comprendre le sponsoring pour développer la notoriété et l’activité, mais ce n’est pas notre métier d’investir dans un club », confirme-t-on chez Engie.
PARCE QU’ELLE EST TROP IMPRÉVISIBLE
Jean-Luc Lagardère a échoué avec le Matra Racing dans les années 1980, Peugeot s’est retiré de Sochaux, Pinault fait du mécénat à Rennes… Pas très engageants ces clubs français et leurs pertes financières chroniques pour un CAC 40 en quête de taux de rentabilité, alors que les Qatariens investissent pour de la diplomatie sportive ou les Chinois pour importer le savoir-faire européen. « Parmi les critères d’établissement d’un cours de Bourse, il y a la profitabilité et la prévisibilité, explique Christophe Chenut, ancien directeur général de L’Équipe et président du Stade de Reims, proche de François-Henri Pinault. Quand vous n’avez aucun des deux, ça ne vous incite pas à y aller. La gestion d’un cours de Bourse nécessite de donner beaucoup de visibilité, d’assurance. Il faut être capable d’annoncer des prévisions et de les tenir. C’est tout l’inverse de ce qu’est le sport. »
PARCE QU’ELLE EST TROP CHÈRE
En 2016, Engie a arrêté son partenariat avec le PSG « pour des raisons budgétaires » avant d’accompagner les filles de l’OL en finale de la Coupe d’Europe. Explications du groupe énergétique français : « Le football reste le vecteur sportif le plus efficace pour la notoriété. » Trois ans plus tôt, dans Objectif News, Airbus expliquait : « Le sponsoring est beaucoup plus onéreux dans le foot. » Par rapport au rugby, c’est sûr. Mais l’an dernier dans L’Équipe, Jean-Claude Biver, président de la division montres de LVMH, relativisait : « C’est beaucoup moins cher que la publicité ! Le foot est le meilleur investissement que l’on ait jamais fait au niveau des retombées, de la visibilité et de la notoriété. » « Il a un tel impact, confirme un autre dirigeant du CAC 40, qu’on ne raisonne pas en budget, on regarde plutôt sa portée. »
PARCE QU’ELLE EST TROP… FOOT
« On vit dans un pays où le sport n’a pas sa place, analysait récemment Olivier Sadran, propriétaire et président du Toulouse FC depuis 2001 (1). Nos élites, la structure de leurs études, nos écoles qui les forment, rejettent le sport au dernier rang. Une posture complètement à l’opposé de l’éducation anglo-saxonne et de l’esprit américain. » Christophe Chenut nuance : « Les dirigeants d’entreprise ont généralement fait leurs études dans de grandes écoles ou universités où la pratique du sport est un moment clé. Mais ils sont plutôt orientés vers des sports tels que le rugby. » C’était le cas de Claude Bébéar ou Serge Kampf, fondateurs d’Axa et Capgemini. Louis Gallois (PSA) aussi est fondu d’Ovalie tout comme Patrick Pouyanné (Total) qui, pragmatique, a opté pour… le foot, plus fédérateur et plus mondialisé.
L’image du foot, ses scandales, ses sommes indécentes, ses joueurs distants… On peut comprendre les réticences des grandes entreprises françaises. Et encore, les footballeurs n’ont plus le monopole des affaires d’agressions sexuelles, de virées nocturnes ou de paris truqués. En 2010, après avoir décliné les propositions du PSG et de la FFF, le directeur de la communication commerciale de Renault, Hervé Gros, assurait dans le Figaro : « Le rugby ne pâtit pas du côté inaccessible en matière d’image du football. C’est encore un sport qui véhicule des valeurs de proximité et de simplicité »… Des valeurs que le Crédit agricole, sponsor des Bleus depuis 2000, trouve auprès du foot amateur dans les régions depuis 1974. « C’est un sport universel qui s’adresse à toutes catégories sociales, assure Véronique Faujour, directrice de la communication et du marketing. Nous sommes très à l’aise avec le football, nous partageons les mêmes valeurs qui structurent et font progresser dans la vie : ancrage dans les territoires, lien social, respect, courage, rigueur ou dépassement de soi. »
PARCE QUE ACHETER UN CLUB EST TROP CLIVANT
Cinq sociétés du CAC 40 ont préféré sponsoriser plutôt qu’acheter un club. « Leur côté clivant est l’un des freins pour une entreprise d’assise nationale, observe-t-on chez Engie, ancien partenaire de la FFF. Signer avec un club, c’est dire non aux autres et ne pas pouvoir faire affaire dans leurs villes. Pour une entreprise de service aux collectivités, c’est délicat. » « On ne souhaite pas être la banque d’une seule ville, confirme Véronique Faujour. Un partenariat avec un club est plutôt compatible à l’échelle d’une caisse régionale. C’est parfois le cas. Au niveau national, le partenariat avec la FFF fait sens car nos maillages géographiques se ressemblent. »
En Allemagne pourtant, les sociétés du DAX (top 30 de la Bourse de Francfort) sont davantage au soutien dans un pays bien plus décentralisé où les grands groupes sont installés à Wolfsburg (Volkswagen), Leverkusen (Bayer) ou en Bavière (Adidas, Allianz) et ont tissé un lien de proximité avec les clubs. Comme Airbus à Blagnac avec… le Stade Toulousain.
ET TROP FRANÇAISE
Malgré des appels du pied de la ville et d’Olivier Sadran président du TFC en 2012, Airbus a toujours préféré le rugby. L’avionneur a surtout choisi un club à la hauteur de ses ambitions internationales. Et c’est peut-être ce qui sépare le plus le CAC 40 de la L 1 : le rayonnement. Le prestigieux OM vendu pour 45 M€ en 2016, c’était bon marché, mais… « Le terrain de jeu de ces sociétés, c’est le monde, pas la France, observe Chenut. Celui des clubs français, qui n’ont gagné que deux Coupes d’Europe, est plutôt national. Seul le PSG a une vraie résonance internationale. Mais les clubs français courent avec un boulet au pied, le niveau de charges sociales, d’imposition et de droits TV (2) ».
(1) « Secrets de Présidents », Hugo Sport.
(2) Les droits TV de la L1 vont cependant passer de 726,5 M€ par an de 2016 à 2020 à 1,153 milliard d'euros par an pour la période 2020-2024.
L'Equipe