Part I :
http://www.outsider-mag.fr/lionel-malte ... re-partie/Lionel Maltese: « Marseille est une ville désertée pour la pratique sportive » (1ère partie)outsider-mag / 2 weeks ago
Le 5 novembre prochain, Marseille saura si elle sera la ville européenne du sport en 2017. Après avoir été capitale européenne de culture en 2013, la cité phocéenne parviendra-t-elle à créer une politique sportive durable et un engouement populaire ? Pour Lionel Maltese, professeur en marketing et management à Euromed, maître de conférence et organisateur de l’Open 13, c’est très loin d’être gagné. Où l’on parle de Tony Parker, de l’OM et du port des Goudes.
Il y a eu Marseille capitale européenne de la culture en 2013. Il pourrait y avoir Marseille capitale européenne du sport en 2017. Quelles pourraient être les répercussions en cas d’élection ?Ce n’est pas comparable. « Capitale européenne de la culture » est une véritable marque reconnue, avec un impact médiatique, des enjeux économiques très importants. »Capitale européenne du sport », si je vous demande quelle était la dernière ville française à avoir obtenu l’agrément, je ne suis pas sûr que vous me répondrez. C’était Nice, en 2011, et personne ne le sait. Pour connaître la ville de Nice (ndlr: Lionel Maltese a participé à l’organisation du tournoi ATP de tennis de Nice), ça n’a pas eu de caisse de résonance. L’objectif d’une candidature, c’est de faire du marketing au niveau de la destination territoriale. Il y a eu de grosses répercussions sur Marseille capitale européenne de la culture puisque, par exemple, le New York Times a estimé que la ville a été la 2e destination mondiale de l’année. C’est aussi de créer une dynamique culturelle, comme cela a été le cas avec le Mucem (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) et cette infrastructure autour du musée. Cela restera certainement le principal fait d’arme et la partie centrale de Marseille capitale européenne de la culture. Il y a aussi eu des financements, des projets qui ont mobilisé des entreprises, qui ont été portés par les collectivités et la Chambre de Commerce de Marseille. Cela a créé un engouement, et même s’il y a eu des difficultés pour le mettre en marche, il y a eu une dynamique.
Pour Marseille capitale européenne du sport, cela peut aussi créer une dynamique car c’est vrai que la ville n’est pas très reconnue pour sa politique sportive. Par exemple, elle n’a que deux clubs en 1re division: l’Olympique de Marseille et le water-polo ! Pas de club de basket, ni de hand, ni de volley, ni de rugby ! En plus, il y a de gros problèmes d’infrastructures sportives. C’est une ville qui est désertée au niveau de la pratique sportive alors qu’il y a un potentiel en termes de zone d’achalandise et de population. Si cela peut faire bouger les choses, c’est très bien. Mais à mon avis, l’enjeu majeur est d’avoir des infrastructures et je ne suis pas certain que les financements issus de la candidature permettent de créer des lieux pour que les jeunes et les professionnels puissent faire du sport.
« La limite de Marseille, ce sont les infrastructures »
Est-ce que, comme pour Marseille capitale de la culture, d’autres villes pourraient s’agréger à la candidature ?Pour 2013, il y avait eu une candidature commune entre Marseille, Arles et Aix-en-Provence. Il y avait aussi eu une politique de grands travaux, notamment au Vieux-Port. C’est tombé à un moment intéressant. Je ne veux pas dire que tout a été bien fait mais ce qui est intéressant dans une candidature, c’est que cela puisse durer, un peu comme pour les Jeux olympiques. Il ne faut pas que ce soit un coup, on en parle une semaine et après c’est une catastrophe à gérer. Si la candidature de 2017 peut faire bouger les choses, notamment en ce qui concerne les politiques sportives tournées autour de l’éducation, c’est une bonne chose. Maintenant, je ne sais pas trop… Pour le moment, ça fait parler, c’est toujours bien. Mais ça ne dépasse pas la Canebière et les Goudes ! A l’heure actuelle, une petite dynamique discrète se met en route. Des choses qui existent. Par exemple sur l’Open 13, on met en avant les associations sportives qui n’ont pas la même exposition que les joueurs de tennis professionnels: les clubs de basket, de hand, de hockey sur glace, de tennis de table, de baseball pour montrer qu’un tissu associatif existe, que les enfants et les jeunes peuvent pratiquer mais, une nouvelle fois, la limite de Marseille, ce sont ses infrastructures.
Marseille a l’OM, l’Open 13, un rendez-vous annuel en Motocross mais c’est à peu près tout. Ça fait maigre pour la 2e ville de France. On a l’impression que Marseille ne déborde pas d’événements sportifs majeurs.Il y en avait mais ils sont partis ! Il y avait le beach volley, le beach soccer, une équipe de hand championne d’Europe. Il existe un fort potentiel en basket puisque Fos-sur-mer essaie de rejoindre Marseille pour entrer dans le giron de la Pro A. Donc il y a l’OM, qui est moins bien au niveau sportif, il y a l’Open 13 qui résiste mais c’est un peu le village gaulois. Pour le reste… Il y a plusieurs raisons. D’abord, le manque d’infrastructures. L’Open 13 se déroule au Palais des Sports, le Motocross aussi mais le lieu est peu propice à une économie: peu de parkings, peu de restauration. Quand on étudie pourquoi les gens viennent ou pas dans un stade, il est clair que l’aspect sportif est important mais quand on n’a pas la chance d’avoir des Zlatan ou des Thiago Silva, pour se déplacer, il faut des services et du confort. Autre exemple: Marseille a des nageurs de haut niveau mais il n’y a pas de piscine capable d’accueillir une grande manifestation alors que le Cercle des Nageurs de Marseille est puissant.
Le manque d’infrastructures ne donne pas envie au public de se déplacer. Pour un organisateur, cette absence crée des problèmes pour financer des manifestations sportives ? En dehors de l’OM qui est soutenu par le groupe Louis-Dreyfus, s’il y a des événements à Marseille, c’est parce que le Conseil Général des Bouches-du-Rhône est puissant économiquement. Il investit et va au-delà de ses fonctions. Il tient beaucoup de manifestations: l’Open 13 (partenaire principal), Marseille-Cassis, les Bosses du 13 en cyclisme. Quand le Conseil Général n’est pas derrière un événement, ça tombe parce qu’il n’y a pas une économie qui peut se créer autour des entreprises locales. De plus, les grandes entreprises locales se sont pas dédiées à la communication. La CMA/CGM, Eurocopter ou encore les grands groupes pétrochimiques ont peu d’intérêts à investir en sponsoring parce qu’ils ont une portée plus internationale. L’Open 13 est un cas à part car les prestations de relations publiques sont de très haut niveau et les dirigeants sont des spécialistes reconnus nationalement pour la commercialisation et la construction de prestations de relations publiques. 80% de son budget tourne autour du marketing relationnel sur le tennis qui est, en plus, un sport assez attractif. Donc mis à part le conseil général qui sauve les meubles, très peu de partenaires locaux soutiennent fortement les événements, contrairement à d’autres villes en Europe, notamment en Allemagne.
« Tony Parker voulait organiser son camp d’été mais Marseille n’a pas répondu favorablement »
Marseille donne l’impression d’être boycotté par les diverses fédérations majeures. Le rugby ne vient plus; le dernier match de l’Equipe de France de football remonte à 2009 et c’est l’Argentine qui avait choisi la ville, pas la FFF; quant au tennis, on a l’impression que la FFT fera toutes les salles de France plutôt que de choisir Marseille pour une rencontre de Coupe Davis.
Pour ce qui est de la Coupe Davis, Marseille a candidaté plusieurs fois mais la ville n’a pas la capacité d’accueil. Mais en effet, il y a bien un petit boycott. Des dirigeants nationaux ne veulent pas travailler avec d’autres dirigeants locaux. Il y a quelques antagonismes mais c’est à la marge. Je pense que c’est d’abord parce que Marseille n’a pas les infrastructures. Le Stade Vélodrome n’est pas forcément bien adapté, il est en construction donc c’est compliqué. Cela dit, par le passé, il y a eu déjà eu des matches de rugby, des matches de Coupe du Monde. Il y a eu les championnats de France de judo mais le Palais des Sports est minuscule. Personnellement, c’est surtout la voile qui me choque. Il n’y a plus d’événements importants alors que Marseille a de grands champions et un pôle voile !
Hormis l’OM, Marseille est guère présent sur la carte du sport français et se fait damer le pion par des villes voisines. C’est problématique. Il y a une désaffection. Je vais prendre un exemple que je connais. Tony Parker voulait organiser son camp d’été à Marseille qui est une ville fortement implantée dans le basket. Il venait avec tous ses sponsors, il lui fallait juste une salle et de quoi faire ses activités et ses matches. Il a beau être un athlète extrêmement reconnu, Marseille n’a pas répondu favorablement. Ensuite, des investissements lourds ont été faits notamment pour le Dakar et le Tour de France qui est passé en 2013. Des choses se font mais ce n’est pas dans la durée. Je ne suis pas certain qu’il existe une politique sportive clairement établie depuis des années. C’est vraiment au coup par coup. La priorité n’est pas donnée au sport en tant qu’enjeu économique, social et sociétal. La ville n’a pas totalement saisi que le sport pourrait aider au développement de sa propre collectivité locale. Peut-être aussi que l’OM est tellement prenant, médiatisé, que finalement tout passe par l’OM. Si l’OM était un club omnisport, ça pourrait le faire; ça a été le cas à un moment donné. Aujourd’hui, il y a une section judo mais personne ne le sait. Contrairement à Nice, Montpellier ou Nantes qui ont envie de faire venir des événements, de financer et d’aider, il n’y a pas grand-chose qui se développe. Certes, on a cette candidature pour 2017 mais j’aurais préféré 100 fois que la ville candidate pour un événement mondial dans une discipline.
« A Marseille, le sport est avant tout perçu comme un enjeu politique »Vous évoquiez la voile. Marseille a manqué l’organisation de la Coupe de l’America au profit de Valencia, Franck Cammas est l’un des tout meilleurs navigateurs au monde et il est d’Aix-en-Provence, il y a aussi le pôle France. Comment se fait-il que la ville ne s’appuie pas sur tous ces talents ?Sans oublier que Denis Masseglia, ancien président de la fédération d’aviron et actuel président du Comité National Olympique du Sport Français, est de Marseille ! Il y a beaucoup de talents dans des sports moins visibles mais il n’y a pas cette dynamique portée par la collectivité pour les soutenir politiquement et également en termes de lobbying. La Coupe de l’America, c’est exactement ça.
Le dossier de presse de la candidature marseillaise pour 2017 affirme qu’un pôle de ressources de hautes technologies du sport de haut niveau sera créé en 2014. Quelle pourrait être sa place à l’échelle nationale mais surtout européenne ?Aucune idée parce que je ne sais pas ce que c’est ! Cela fait de nombreuses années que l’on nous parle d’un pôle sport, d’un centre de compétitivité sur le sport. Beaucoup de choses ont été dites. J’ai des compétences mais je ne suis pas compétent pour parler de ce sujet puisque je ne suis pas dans la technologie. Mais voyez, je suis prof en marketing et management du sport depuis une dizaine d’années sur la région, je suis également organisateur d’événements sportifs, notamment l’Open 13, et je le sais par bouche à oreille. Je ne connais pas le contenu. Ça veut dire qu’il n’y a pas une dynamique qui s’installe avec une liaison forte entre le mouvement olympique et les entreprises. Si la ville veut être leader, il faut créer du lien entre les différents acteurs. Et là, c’est un peu isolé. Mais peut-être que la réponse, c’est que le sport est avant tout perçu ici comme un enjeu politique. Regardez: l’ancien président de l’Olympique de Marseille se présente aux élections !
François Miguel Boudet
@fmboudet
Et part II :
http://www.outsider-mag.fr/lionel-malte ... me-partie/Lionel Maltese: « Le modèle de Vincent Labrune, c’est Porto » (2ème partie)
outsider-mag / 1 week ago
Deuxième volet de l’entrevue avec Lionel Maltese, professeur en marketing et management à Euromed, maître de conférence et organisateur de l’Open 13. Où l’on parle de Pape Diouf, du Stade Vélodrome et de Johnny Hallyday.
Le début de semaine a mis Marseille au centre de l’information nationale avec la candidature de Pape Diouf à la mairie. Forcément, cela rappelle Bernard Tapie. Un ancien président de l’OM, qui a eu des résultat sportifs et économiques, peut-il surfer sur son bilan à la tête du club ?Pour Pape Diouf, je ne pense pas parce que c’est un vrai métier de proximité de candidater à une mairie. C’est quelqu’un de très médiatique car il a été président de l’OM, journaliste, agent de joueurs. Il s’implique aussi dans une école journalisme locale. Il s’est aussi impliqué en politique puisqu’il a soutenu le président Hollande. Mais ce n’est pas parce qu’on est connu que l’on est forcément bon. Il n’a jamais fait ses preuves en tant qu’élu. Il n’a pas d’expérience. Les équipes qui encadrent les élus et les grands candidats à Marseille font du marketing politique, elles sont présentes au quotidien dans les quartiers et ont certaine expertise. Et puis c’est un milieu de réseau important où les associations ont leur mot à dire. Je ne suis pas sûr que Pape Diouf ait autant intégré les réseaux marseillais, notamment les syndicats qui sont puissants localement ou les collectivités puisqu’il n’a jamais eu de fonctions en leur sein. L’Olympique de Marseille est médiatique mais c’est une petite entreprise, il n’y a pas tellement de salariés.
La différence avec Bernard Tapie, c’est qu’à son époque, il était Ministre de la Ville et il avait autour de lui des locaux qui étaient intégrés dans les milieux politiques. Pape Diouf n’est pas une candidature à la Coluche car elle est plutôt sérieuse, mais politiquement, il a en face de lui des gens qui sont là depuis X années, qui connaissent les rouages. Le marketing politique, ce n’est pas en 15 jours que ça se fait.
« Diouf ne fera pas une campagne à la la Arnold Schwarzenegger ! »
Il se murmure dans la région que Pape Diouf injecte de l’argent dans les associations locales depuis plus d’un an, ce qui voudrait dire que sa candidature était préparée et qu’il compte justement sur ce tissu social pour obtenir des voix.C’est possible mais un an, c’est ridicule quand vous avez en face des gens qui sont là depuis 40 ans, qui ont des équipes dans les quartiers, qui sont maires de secteurs ou conseillers généraux. C’est beaucoup de proximité. La mairie fait beaucoup de relationnel et il n’y a pas que les associations, même si ça joue clairement sur les votes car c’est un moyen de toucher des communautés.
Après, il y a aussi sa crédibilité économique. Il n’a jamais été chef d’entreprise. Il a été agent de joueurs, c’est un milieu très particulier mais qui n’est pas fournisseur d’emploi. Or l’enjeu premier, c’est l’emploi. Quel est son programme en la matière ? C’est bien beau le sport mais c’est apolitique. C’est un peu comme le développement durable. Quel est son programme économique pour attirer des entreprises ? En matière d’éducation ? Et puis, il appartient à une école de journalisme privée, pour quelqu’un qui se présente dans le public, c’est un peu compliqué.
Ça me semble être une candidature intéressante parce qu’il y a un changement à apporter, cela fait beaucoup d’années qu’on a les mêmes élus et, sur le sport, il n’y a vraiment pas de dynamique, il faut être honnête. Mais que peut apporter Pape Diouf peut apporter en termes de chômage et économiques ? A-t-il cette culture-là, cette formation-là, ces connaissances-là ? Il a certainement une bonne connaissance du milieu sportif et du milieu médiatique mais c’est une toute partie de l’environnement de la ville. Je pense qu’il fera des voix grâce à son aura et ses capacités à communiquer. Tout le monde va le recevoir et ça fera du buzz. Mais je ne pense pas qu’il fera une candidature à la Arnold Schwarzenegger !
C’est une candidature qui risque de faire mal à la gauche.A mon avis, il va faire gagner Jean-Claude Gaudin. Certains gens de gauche vont se dire que Patrick Mennucci, c’était l’adversaire de Samia Ghali, qui était plus dans les quartiers, avec son franc-parler. Pape Diouf vient au milieu et il va prendre des voix. S’il candidate, ce n’est pas pour faire 0.1% des voix. Mais je rappelle que Christophe Bouchet avait candidaté à la tête de la Fédération Française de Football, il s’était retiré mais il aurait perdu largement; il a aussi été battu à la mairie de Tours. Quelle est la crédibilité politique, sociale et économique de Pape Diouf ? On ne connaît pas bien son entourage et son équipe. Ça fait un peu Desesperado de l’annoncer au dernier moment. Personnellement, je le connais en tant que président de l’OM et je ne l’ai jamais trop vu dans les réunions au sein de la chambre de commerce. Sur la partie sportive, il a un avis éclairé sur les joueurs. Je l’ai déjà entendu parler d’Andre Ayew qu’il avait repéré très jeune. C’est un vrai talent de recruteur, de journaliste. Mais est-ce qu’un bon journaliste ferait un bon maire, c’est difficile à dire. Si c’est le cas, il faudrait que pas mal de monde se recycle !
Pape Diouf vient de la société civile. Cela pourrait séduire les électeurs.Certes mais Marseille, ce sont 850.000 personnes et elles ne sont pas toutes à fond derrière l’OM ! A son époque, Bernard Tapie avait l’OM qui lui donnait une aura médiatique mais il avait fait campagne. Pour moi, c’est quelqu’un qui débute. Il était resté discret sur la candidature de François Hollande; depuis quelques temps, on le voit moins dans les media, il est moins présent sur Canal et dans les media africains. En effet, il y a une communauté qui votera pour lui, parce qu’il a cette sympathie, sa fraîcheur. Mais sur le fond, quel est son programme ? Il a certainement des idées à apporter. Si c’est ça, s’il apporte des idées sur le sport, la culture pour le bien-être local, ça peut être intéressant.
« Le Stade Vélodrome est construit pour une demi-finale de l’Euro, pas pour les besoins de l’OM à l’année »
A propos de l’OM, il existe de vraies divergences entre les deux candidats principaux. Jean-Claude Gaudin veut conserver le statu quo. En revanche, Patrick Mennucci veut changer les choses, notamment en ce qui concerne la vente du Vélodrome. Est-ce réalisable en l’état actuel des choses ?Je ne pense pas. Mais c’est possible. A Paris, il y a une candidate (ndlr: Nathalie Kosciusko-Morizet) qui serait prêt à lâcher le Parc des Princes au PSG. En l’état, je ne crois pas que le Vélodrome puisse être vendu car cela ferait une somme importante. La personne qui voudrait l’acheter devra vraiment avoir les reins solides pour l’exploiter. Il ne faut pas oublier qu’un stade, ce n’est pas que du naming. C’est aussi beaucoup de connaissances de la demande de la population locale qui veut assister à des événements et cela me semble un peu compliqué de trouver le génial passionné qui va acheter un stade et avoir les vraies compétences pour le remplir. A mon avis, ça va se passer entre les deux. Le Stade Vélodrome est construit pour une demi-finale de l’Euro 2016 ou une finale de Ligue des Champions. Mais il n’est construit en fonction des besoins à l’année de l’Olympique de Marseille et en fonction des événements qui pourraient garantir une économie. Il est trop grand et il n’y a pas assez de services derrière, notamment d’accessibilité, de parking, de restauration.
Par ailleurs, je ne suis pas certain que l’entreprise aujourd’hui, la filiale de Bouygues, qui sera l’exploitant a les compétences pour exploiter le stade. Je ne connais pas de commerciaux et des organisateurs locaux chez Bouygues qui soit capable de se faire un réseau local, de connaître la demande. De plus, à ma connaissance, ce ne sont pas non plus des spécialistes en termes d’attractivité de concerts et des grands événements autres que le football. Ma vision des choses, c’est que par défaut, la filiale n’exploitera pas, que l’OM va à nouveau candidater et la jouer à la PSG: actuellement, les meilleurs exploitants, les meilleurs utilisateurs du stade ce sont les clubs. L’OM a peut-être les compétences d’exploiter le stade, de le personnaliser par rapport à ses besoins économiques et également d’être l’entité qui l’exploitera pour des manifestations autres que le football. C’est ce qu’attend l’OM. Le club voulait devenir propriétaire mais la mairie a refusé. Je pense qu’aujourd’hui, c’est soit vous êtes propriétaire comme ce que fait Jean-Michel Aulas – mais qui en partie financé par les collectivités au passage- soit vous êtes exploitant et vous avez un deal en tant que club pour exploiter votre partie et pourquoi pas fonctionner en coalition avec des organisateurs de concerts, des manifestations de rugby… Il faut savoir qu’à la Coupe du Monde de rugby, c’est l’un des dirigeants de l’OM qui était directeur du site. C’est logique que des gens qui connaissent la maison la loue.
En 1998, la rénovation des stades a été catastrophique. Sera-ce différent en 2016 ? Le Vélodrome s’inscrit-il dans la durée ?La première question à se poser c’est si le stade sera rempli. Dans cette perspective, la Juventus avec à sa tête l’actuel directeur général du PSG (ndlr: Jean-Claude Blanc) a fait construire un stade de seulement 41.000 places alors que c’est une marque autrement plus attractive que l’OM. A partir du moment où vous avez un stade de 68.000 places, il faut les remplir. Est-ce que l’OM, et d’autres événements puisque le Vélodrome ne va pas servir uniquement à l’OM, auront assez de pouvoir attractif sur un plan sportif pour remplir les sièges ? Actuellement, Vincent Labrune dit que le stade n’est pas rempli parce qu’il est en construction mais au final, si vous avez une grande équipe, il se remplit, qu’il soit en construction ou pas.
Les services seront-ils améliorés ? Je pense que oui mais pour moi, le Vélodrome est trop grand. Il est adapté à l’Euro ou à la Ligue des Champions. Un stade aussi grand que ça, ça nécessite une puissance de frappe en termes d’événements et de force sportive qui permettent de remplir, surtout que plus il y a de monde, plus il y a de difficultés d’accès auxquelles s’ajoute une problématique de sécurité. Je pense qu’ils ont visé un peu trop haut, un peu comme aux Jeux olympiques. Est-ce qu’on vise plus haut que ce qu’on est capable de faire ? Ce qui me fait peur, c’est que ce qui est attractif dans le football, c’est la Ligue des Champions et c’est très compliqué de savoir si l’OM peut y participer chaque année, sachant que quand il fait 2e une saison, c’est zéro point en phase de groupe la suivante et qu’en même temps, le niveau et les budgets augmentent de plus en plus. Est-ce que le stade n’est pas démesuré par rapport à la marque « Olympique de Marseille » ?
Ça sent le cadeau empoisonné…Pour l’instant oui. Il y aura un effet « nouveau stade », comme à Nice, pour les premiers matches. Mais si vous perdez sept ou huit fois d’affilée, vous allez voir ! Et il va y avoir deux entités qui vont essayer ensemble de commercialiser les loges: le club et Bouygues. Ils vont être en compétition puisqu’ils essaieront de « taper » les mêmes entreprises alors qu’il faut tirer dans le même sens. Le mieux pour l’OM, c’est de devenir exploitant dans un premier temps puis de personnaliser son potentiel d’offres, de s’en servir comme plateforme pour modifier son modèle économique. Or, les loges ne sont pas offertes et il ne faut pas croire qu’il y a tellement d’entreprises qui vont venir. L’OM n’a pas eu la main sur cette personnalisation. Le stade, c’est la réponse au cahier des charges de l’UEFA. Mais est-ce que le cahier des charges de l’UEFA est le même que celui de l’OM ? La réponse est non. Aujourd’hui, le Vélodrome est adapté à un Euro ou à un concert de Johnny Hallyday. Le problème, c’est qu’il ne fait plus de concert et que l’Euro n’aura lieu qu’une fois.
« Quand je vois que des maillots du PSG vendus dans les grandes surfaces de la région, je me dis qu’il y a un problème »
Ça rappelle le destin du Stade de France, ce n’est guère rassurant.Le Stade de France a été l’erreur de Michel Platini. La Coupe du Monde 1998 a été un immense succès sportif grâce à l’Equipe de France mais au niveau des stades, ça a été une catastrophe. Le Vélodrome a eu une durée de vie de 10 ans et il a été détruit. Cela a été un investissement qui a eu un coût et qui a été un mauvais choix. Maintenant, on change d’avis alors que ce sont les mêmes personnes qui ont pris les décisions ! Le Stade de France n’est pas rentable parce qu’il n’est pas adapté aux besoins. Tout simplement parce qu’en France, même à Marseille, il n’y a pas la culture de la consommation qu’on peut trouver en Angleterre ou aux Etats-Unis. Récemment, il y a eu le Superbowl. A Seattle, 700.000 personnes sont allés voir la victoire des Seahawks ! 700.000 personnes ! C’est quasiment l’ensemble de la population de Marseille ! En France, on n’aura jamais ça. Certes, il y a un engouement populaire mais y a-t-il un engouement de consommation ? Est-ce que les gens viennent voir et consommer ? C’est ça l’intérêt d’un stade. Les gens achètent des places, de la restauration, ils veulent se connecter au wifi. L’OM tient essentiellement sur les droits télé, sa capacité à avoir de bonnes relations avec de grandes entreprises par l’intermédiaire du groupe Louis-Dreyfus. La marque OM est assez réputée et il y a pas mal de supporters puisque c’est le premier club français en termes de palmarès. Mais moi qui suis pur Marseillais et abonné, quand je vois des maillots du PSG en vente dans les grands surfaces de la région, je me dis qu’il y a un problème. Il y a des gens de la région qui regarde le PSG parce qu’il y a de grands joueurs, exactement comme en 1993 où des Parisiens regardaient l’OM parce qu’il y avait Chris Waddle, Abedi Pelé ou Rudi Völler. Malheureusement pour l’OM, cela devient difficile parce qu’il n’a pas des investisseurs que d’autres ont.
Il y a deux freins. Le premier, la non-reprise de l’exploitation et c’est le gros problème du groupe Louis-Dreyfus qui n’a pas pu avoir que celle du centre de formation qui n’est pas très rentable pour l’instant. Le second, c’est que le stade n’est pas adapté au potentiel actuel de la marque. Cela me fait penser à 1983, quand Yannick Noah a gagné Roland-Garros, il y a eu une « enflammade » et on a construit des courts de tennis partout. En 1984, les courts étaient remplis. Mais en 1988, les courts ne l’étaient plus.
Comment expliquer ce manque d’assiduité ?Notre culture sportive est faible. Nos jeunes ont peu intégré le sport à leur éducation, les cours de sport sont limités. En Provence, le tennis est le sport n°1 en termes de licenciés et c’est la région où le nombre de terrains par habitant est le plus faible de France ! C’est pareil pour les stades de foot et les piscines. Il faut des lieux pour pratiquer. Cela dit, il y a en France une multitude de pratiques qui sont liés grâce à la superbe qualité naturelle du pays: des sports d’hiver, des sports d’eau, des sports de loisir que l’on peut pratiquer tous les jours. En Angleterre, vous vous pelez toute la journée, il n’y a pas grand-chose à faire. A Kansas, vous allez voir du football, du football US et c’est à peu près tout parce qu’il n’y a rien d’autre à faire. A Marseille, il y a de la culture, de l’astronomie et des tas d’autres choses, ce qui fait que le sport est concurrencé par d’autres loisirs et n’est pas intégré à la vie de tous les jours.
Pour attirer du monde dans un stade en France, il faut de la star internationale. Je le vois à l’Open 13. S’il n’y a pas Federer ou Nadal, vous ne remplissez pas. Une fois, on avait fait gratuit le mardi. Il y avait Monfils, Gasquet, Llodra et Paire qui ont joué. Eh bien on n’a pas rempli ! Ça veut dire que ça ne fonctionne pas. La première fois que j’ai travaillé. Boris Becker joue à Marseille et remplit aux deux-tiers alors qu’il était n°1 mondial et que c’était une star énorme. La semaine suivante, le même jour, dans un autre pays, il vient et le stade est complet. Marseille a cette passion pour le sport, pour le foot, le tennis. Il y a pas mal de pratiquants mais pas une dynamique menée par les politiques pour créer du lien entre les entités. Chacun fait son truc de son côté. Jean-François Caujolle fait l’Open 13 dans son coin, l’OM aussi. Regardez Montpellier. Montpellier a du mal à remplir la Mosson mais la ville est petite. Il y a un tournoi ATP, une bonne équipe de rugby, une super équipe de handball, un club de foot champion de France il y a deux ans. C’est une ville six fois plus petite que Marseille. Marseille est un pôle universitaire important avec 35 000 étudiants qui n’ont rien à se mettre sous la dent.
Montpellier a bénéficié d’une politique globale sous l’impulsion de Georges Frêche.Georges Frêche a eu une véritable politique sportive comme l’a Christian Estrosi. On les aime ou on ne les aime pas mais ils ont considéré que le sport était un levier stimulant pour pas mal de choses. A Nice, Estrosi a pris des risques. Il a fait sortir un stade de l’eau, il y a un tournoi ATP, le Tour de France est passé, il y a le Paris-Nice, il y a eu les Jeux de la Francophonie qui pour moi étaient une erreur ainsi qu’une candidature aux Jeux olympiques d’hiver. Après, la question c’est de savoir s’ils n’ont pas vu trop grand. L’Arena ne fonctionne pas à Montpellier mais le club de rugby est bien installé: ils ont trouvé un investisseur, Mohed Altrad, et un équilibre économique. Je ne dis pas que ça fonctionne, ils ont des difficultés mais à Marseille, à part l’Open 13 qui résiste, l’OM ce n’est pas mieux qu’avant.
On a l’impression que le problème en France, c’est que le stade n’est pas un outil. Par exemple, Le Mans a des soucis avec ses nouvelles installations. Le Mans, c’est un cas particulier. C’est une ville très événementielle avec les 24 heures, qui a une équipe de basket de Pro A. C’est un atout d’avoir un club mais c’était leur premier stade, il n’a pas coûté cher, il est petit et ils sont parvenus à attirer des événements par rapport à la location qui n’est pas très chère. Ils ont eu le Stade Français et des concerts. Cela dit, la zone de chalandise est très limitée.
Marseille a un potentiel. Il y a presque 1 million d’habitants, des jeunes. Il y a des choses à faire. Cependant, il faut faire une enceinte raccordée avec des services, où on peut se garer et où on peut se rendre en transports en commun. C’est la grosse difficulté de la ville. J’en reviens toujours aux infrastructures mais c’est échec sur échec. Le Vélodrome de 98 vient d’être refait, la patinoire mieux vaut ne pas en parler, le Dôme attire moins de monde pour les concerts, le Palais des Sports est très vétuste. Pour l’Open 13, ce sont des rafistolages pour que l’ATP valide et c’est 850.000€ chaque année. Ces éléments-là n’ont pas été compris par ceux qui ont décidé. Compte tenu des enjeux, il faut que les politiques se renseignent auprès des professionnels avant de se lancer dans la construction d’infrastructures qui risquent d’être rapidement obsolètes. Je regrette que pour le stade, il n’y ait pas eu des accointances avec des vraies compétences. Par exemple pour les routes, ce sont des entreprises compétentes qui les font, pas la mairie. La mairie ne peut pas tout faire.
« Adaptons nos infrastructures à la population et créons ces lieux de vie ! »
Du coup, est-ce qu’il ne vaut pas mieux tout déléguer ? Je ne dis pas qu’il faut tout privatiser. Les collectivités peuvent toujours garder la main sur le lieu qui est un lieu de vie. Le lieu de vie n’existe pas à cause du problème culturel et à cause du fait que l’on n’a pas réfléchi à l’infrastructure qui s’intégrait à lui. Jean-Michel Aulas n’a pas créé un stade de foot mais un parc d’attraction, c’est différent. Si le PSG continue d’acheter des joueurs, le Parc des Princes va devenir un écrin. Mais c’est parce qu’ils ont cette force sportive qu’ils peuvent remplir le stade.
Prenez les stades américains comme le Madison Square Garden. Cette année, les Knicks sont nullissimes mais il est toujours rempli parce qu’il est adapté, une économie s’est créée. Marseille a cette problématique-là. Pour moi, un club comme l’OM doit s’associer avec un tourneur de concerts, ça devrait fonctionner ensemble. Mais il y a trop de parties prenantes: la mairie, de temps en temps une agence qui bosse derrière. Or, on est dans l’ère de la personnalisation, de la réactivité en marketing. Malheureusement, on fait des choses qui ne sont pas adaptées au parc que l’on possède.
Il y a quelques temps, L’Equipe Magazine avait sorti un sujet « Marseille ville olympique ». Dans le projet imaginé, figurait la construction d’un stade à l’Estaque. Une telle chose est faisable ou cela relève du pur fantasme ? Pour l’OM, cela aurait-il pu faire une solution crédible ?C’est compliqué parce qu’il y a la culture d’avoir le stade à l’intérieur de la ville et le centre-ville de Marseille est un peu particulier. Déjà, il faudrait engager le sport de manière constructive pour toutes les parties prenantes de la ville. On a des entreprises particulières, des pouvoirs d’achat particuliers, un pôle universitaires avec pas mal de jeunes. Adaptons nos infrastructures à la population et créons ces lieux de vie ! Il faut réfléchir à la spécificité marketing de la ville. Il faut arrêter de dire qu’il n’y a pas de pouvoir d’achat, il existe mais il est particulier. Il faut travailler avec des gens qui connaissent leur offre. L’Olympique de Marseille sait ce qu’il vend. Le président Labrune sait très bien qu’il ne va pas pouvoir se payer Neymar et Messi l’année prochaine. Le directeur de l’Open 13 sait très bien que Rafael Nadal ne pourra pas venir. C’est comme si vous aviez une grande et belle maison mais que vous n’aviez aucun meuble à l’intérieur. La difficulté est là. C’est une question de compétence. Vouloir faire des ressources trop grosses par rapport aux compétences qu’on a, ça peut devenir compliqué. Pour le stade Vélodrome, il va falloir voir le prix du loyer qui va en être donné. Au début c’était 6 puis 7 et maintenant 8M€ par an. Pour l’Olympique de Marseille, ce n’est pas si rentable que ça.
A propos du fonctionnement de l’OM, le modèle de Vincent Labrune, c’est le Borussia Dortmund. Celui de RLD, c’était le Bayern. La force des Allemands, c’est de savoir diversifier leurs revenus. Le fonctionnement des clubs paraît beaucoup plus stable.
En Allemagne, tout est équilibré en termes de revenus (en droits télé, sponsoring, billetterie, merchandising). Les partenariats rapportent plus que les droits télé alors qu’en France, c’est le contraire. Les Allemands n’ont jamais voulu dépendre des droits télé, des transferts ou d’une collectivité. Ils ont eu la possibilité de penser à leur zone de chalandise et de réfléchir par rapport à ce qu’il voulaient apporter aux fans. Je pense que le modèle de Vincent Labrune, ce n’est pas du tout le Borussia Dortmund ou le Bayern, c’est Porto. Le modèle du Bayern, c’est une base de fans très connue qui attire les entreprises, qui est médiatique, avec une politique fondée sur une qualité de recrutement et de formation qui est exceptionnelle. Les clubs allemands ont la possession de leurs stades et ils peuvent en dégager une économie. Le bruit que font les supporters de Dortmund est peut-être comparable à celui que font ceux de l’OM mais l’économie des stades, avec des fans qui sont des vrais consommateurs de la marque et des vrais attachés marketing à la marque, l’OM ne l’a pas. Ce n’est donc pas le même équilibre économique. L’OM dépend fortement des droits télé et de sa capacité à revendre des joueurs comme Drogba, Ribéry, Nasri. En ce moment, le joyau c’est Thauvin et le but, c’est qu’il aille à la Coupe du Monde pour le revendre 4 ou 5 fois plus. Il y a d’autres forces à Dortmund qu’acheter des jeunes pour les revendre plus tard. Il existe une économie du stade et une attractivité pour les entreprises. Cette attractivité existe à Marseille avec Turkish Arlines et Intersport mais ce n’est pas aussi important que pour les clubs allemands. Les grandes entreprises allemandes, dans la chimie ou dans les voitures par exemple, sont implantées dans différents clubs et les soutiennent parce que cela fait partie de leur engagement, même s’ils n’ont pas des retours importants. Vous ne verrez jamais la CGA/CGM qui est la plus grande entreprise locale être le partenaire principal de l’OM, ce n’est pas possible.
François Miguel Boudet
@fmboudet