Malgré toutes les sollicitations, elles refusent de vendre le terrain attenant à La Commanderie
Surplombant les terrains du centre d'entraînement Robert Louis-Dreyfus, le monastère de La Serviane possède tous les terrains mitoyens de La Commanderie.
Dans une vie, passer du statut de locataire à celui de propriétaire, ça fait toujours tout drôle. Même quand on est "l'une des plus belles équipes de foot d'Europe" , comme le salue l'adjoint aux sports Richard Miron. Ce léger vertige, ce sentiment d'un cap franchi, l'Olympique de Marseille le ressentira donc cette année, en signant, 21 ans après l'inauguration, par ses joueurs pros, des terrains municipaux de la Commanderie (rebaptisée centre d'entraînement Robert Louis-Dreyfus en 2009), l'acte d'achat de cette parcelle de 9,8 ha située traverse de La Martine, aux Trois-Lucs. La Ville de Marseille, actuel bailleur de l'OM pour un loyer dont le montant est "confidentiel" , prévient le club, en décidera la vente lors du conseil municipal de mars prochain.
Pour l'heure, France Domaines affine l'évaluation du foncier, "mais le chiffre de 6,5 M€ a déjà été évoqué" , glisse un proche du dossier. "Ils nous paieront le juste prix" , assure le sénateur maire UMP Jean-Claude Gaudin, qui suit l'affaire de très près. "Le prix et le calendrier de l'opération sont encore en discussion" , précise de son côté la communication de l'OM.
Voilà plus d'un an que ce dossier "long, complexe" était en discussion entre la Ville et le club. "Devenir propriétaire, y explique-t-on, c'est une façon pour nous, comme pour d'autres grands clubs, de donner du poids à nos actifs auprès des banques, lors de la négociation de prêts futurs. Les contrats de joueurs ne suffisent pas, car ils sont, par définition, très aléatoires." Or, sans portefeuille immobilier, l'OM avait ainsi dû, ces dernières années, financer sur ses fonds propres, et sans pouvoir étaler la dette ni souscrire de prêt, la création d'un bâtiment sportif et le centre de formation, pour 7 M € . Pourquoi ne pas avoir racheté la Commanderie plutôt ? "Justement parce qu'on n'était peut-être pas autant installés sur le site" , commente-t-on au club.
Dans ces collines verdoyantes, l'OM aimerait même davantage y enfoncer ses crampons. Depuis des années, il lorgne avec intérêt la parcelle mitoyenne au centre d'entraînement, afin d'y développer ses infrastructures : un terrain honneur et une tribune pour les matches de ses équipes réserves et de jeunes, avouait-il en février 2011 dans La Provence. Oui mais voilà. Si l'on peut s'entendre avec la Ville, et même, en y mettant les formes, convaincre des banquiers, il en va tout autrement avec... les religieuses. Les Filles du coeur de Jésus, installées depuis la fin du XIXe siècle au couvent de la Serviane, en surplomb de la Commanderie, possèdent tout le foncier non-bâti alentour. Une sublime propriété de plusieurs dizaines d'hectares encore bucoliques - celle de la famille Deluil-Martiny - qui doit faire rêver pas mal de promoteurs immobiliers. Et là où l'OM voyait son petit stade, pousse le potager qui permet à ces soeurs cloîtrées de vivre dans une certaine autarcie... "On leur a écrit, concède le club, on y va doucement."
Doucement, certes... mais pas vraiment sûrement. Jean-Claude Gaudin en sait quelque chose, lui qui a personnellement mouillé le maillot pour plaider la cause de l'OM auprès des religieuses : "Je les ai moi-même rencontrées il y a quelques années, rappelle le sénateur maire de Marseille. Mais que voulez-vous, elles se sentent déjà assez dérangées par le bruit qui monte de la Commanderie, ces joueurs avec les voitures modestes que vous savez", insiste-t-il, malicieux.
À sa demande, pourtant, le maire avait obtenu un coup de main de Mgr Panafieu et Pontier, archevêque de Marseille ! En vain. Le Figaro rapportait même avec humour que lors du voyage de Nicolas Sarkozy, auquel s'était joint le maire, à l'automne 2010, l'OM s'était trouvé un messager de poids auprès de Benoît XVI... "Mais en vérité je n'avais pas pu lui en parler", s'amuse Jean-Claude Gaudin qui aurait "aimé faire ainsi plaisir à l'OM" et convaincre les soeurs de "faire un geste pour la Ville". Mais sourdes à la ferveur des supporters et au management, retirées du monde, les Filles du coeur de Jésus, qui ont consacré leur vie à la contemplation et à la prière, se sont montrées... inflexibles. À travers la petite grille du parloir de la Serviane, une timide jeune soeur nous le confirme : "Nos terres ne sont pas à vendre, c'est tout ce que l'on peut dire". Présidente du CIQ des Trois-Lucs, Annick Vergez respecte cette position : "Je suis pour la propriété privée, les soeurs ont le droit de défendre leur calme". Du reste, elle met en avant "les très difficiles conditions d'accès" à la Commanderie, par une traverse de La Martine étroite et sinueuse, ou par le peu pratique bd des Libérateurs.
"L'élargissement de la traverse de La Martine est absolument nécessaire au désenclavement du quartier", appuie le maire de secteur centriste Robert Assante, pour qui "imaginer accueillir ici dans un stade 3 à 4 000 personnes sans parking est une folie". "L'extension se fera peut-être un jour, mais je laisse mon successeur régler cette histoire", conclut Jean-Claude Gaudin. En langage sportif, cela s'appelle... faire une passe à l'aile.
La provence