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Le juteux business de l'OM
Malgré dix-huit ans de disette en termes de résultats sportifs, l'Olympique de Marseille a su exploiter sa marque comme aucun autre club français. Sa victoire en championnat devrait en décupler les bénéfices.
"Vous en connaissez beaucoup des marques comme l'OM, qui ont cette notoriété sans avoir jamais eu besoin d'acheter une seule page de pub ? Pas moi ! "
Ainsi parle Corinne Gensollen, la directrice des opérations du club de foot marseillais lorsqu'elle évoque sa réussite marketing. Car paradoxalement, bien que l'Olympique de Marseille n'ait pas gagné un titre officiel pendant dix-huit ans, il ne s'est jamais aussi bien porté : des produits dérivés qui se vendent comme des petits pains, un Stade Vélodrome qui fait quasiment le plein à chaque rencontre, des abonnements au maximum de leur capacité... même en période de disette de résultats sportifs, l'OM est restée une redoutable machine à séduire les foules.
Les fans et son histoire, socle de l'OM
Les fondations d'un tel succès, ce sont bien sûr ses fans. Et il y en a un paquet, et pas que des Marseillais. Ils seraient 15 millions en France, " majoritaires dans la moitié des régions, mais répartis quasi uniformément sur tout le territoire ", selon l'étude Scan Club de l'agence Advent (Groupe Bemore). Après Marseille, le plus grand nombre d'aficionados est en banlieue parisienne. L'OM est le deuxième club préféré des Franciliens, après le PSG. " Les jeunes des banlieues se retrouvent dans nos valeurs. Dans les gènes de l'OM, il y a des valeurs multiethniques, antiracistes, de rébellion, de chaleur et d'indépendance ", décrypte C. Gensollen.
La saison dernière, chaque rencontre a réuni en moyenne 52 000 personnes, alors que les matchs de L1 en attirent en général moins de la moitié. Et à l'extérieur, c'est encore l'OM qui déplace le plus les foules. Logiquement, le club phocéen remporte la palme des audiences TV : ses matchs sont les plus diffusés (138 retransmis sur les cinq dernières saisons, vs 130 pour l'OL, 108 pour le PSG), et les cinq meilleures audiences ont été réalisées en présence de l'OM.
Victorieuses ou non, les épopées du club, ont fait grandir sa légende. Les dix titres de champion de France et la victoire européenne restent dans les esprits. Les défaites mémorables, ses patrons mythiques (de Marcel Leclerc à Bernard Tapie), les affaires plus ou moins reluisantes, les clubs de supporters imparables pour faire vibrer le stade, les joueurs quasi inconnus ressortis stars (Drogba, Ribéry, etc.) comme si le passage par l'OM les avait transcendés, ou la mort, l'été dernier, de son actionnaire Robert-Louis Dreyfus... Chaque épisode de la vie du club phocéen est objet de débats, de commentaires, repris, démultipliés et amplifiés dans les médias. " L'OM, c'est un peu le Dallas du foot, une saga quotidienne qui tient tout le monde en haleine ", confirme Jérôme Neveu, Dg de la société de marketing sportif Bemore, qui poursuit : " à l'inverse, Lyon renvoie l'image d'une force tranquille. Malgré ses titres, il n'aura jamais l'étincelle qu'il y a à Marseille. "
Une marque puissante
Ce précieux " adn ", il fallait le faire fructifier. Arrivée en 2005 à la tête du marketing et des opérations du club, Corinne Gensollen s'y attelle avec doigté, en gérant les produits dérivés, le sponsoring et la billetterie. Housse d'ordinateurs, sorties de bain, linge de maison, vêtements, lunettes... Aujourd'hui ce sont plus de 1 500 références de produits siglés OM que propose le club, dispatchés dans un millier de points de vente. Le plus gros succès ? Le maillot, qui s'est vendu l'an dernier à quelque 420 000 exemplaires, au prix de 75 € ! Soit deux fois plus que les maillots lyonnais et parisiens, et autant que celui du Real Madrid. Supporter de l'OM, on le devient dès la naissance puisque la puériculture représente la 2e vente en volume des produits dérivés. Le must ? La tétine siglée OM, à 7 €.
Les clubs de supporters proposent aussi leurs produits dérivés. " Mais en aucun cas ils n'ont le droit d'utiliser notre marque. Nous sommes très intolérants là-dessus et nous faisons un procès systématiquement ", prévient C. Gensollen, qui indique avoir attaqué la marque " Fiers d'être Marseillais " pour parasitage commercial.
S'imposer au-delà de l'Hexagone
Les récentes victoires en Coupe de la Ligue et en championnat ont fait décupler tous les chiffres. Les boutiques ont été envahies faisant bondir leur chiffre d'affaires de 18 %. La vente on line a augmenté de 40 %. Cet été, l'engouement devrait continuer quand les fans viendront en pèlerinage au Vélodrome. Les maillots de la saison écoulée, qui auraient dû être déjà obsolètes, devraient devenir collectors et continuer de se vendre la saison prochaine. D'ici à 2011, le nombre de magasins en propre devrait doubler. Et, symbole fort de sa puissance, le club va ouvrir sous peu une boutique de 200 m2, aux Halles, en plein coeur de Paris. Un lieu hautement touristique et carrefour des RER de banlieue. En avril dernier, le club s'est aussi positionné sur le marché du " foot loisir ", en ouvrant un " OM foot village ", club de 7 000 m2 installé dans un village marseillais à destination du grand public, où chacun peut pratiquer le football sans être pro ni licencié.
Côté sponsoring, il en coûte de 5 à 10 M€ pour s'afficher sur le maillot bleu et blanc. Et apparemment, ça paye : Direct Énergie (par ailleurs propriété de la famille de R.-L. Dreyfus, actionnaire du club) s'est fendu d'un communiqué estimant avoir gagné, avec ce partenariat, 15 points de notoriété, ce qui représenterait une " valorisation de la visibilité de la marque de plus de 12 M€ en présence média "... Pour Betclic, qui prend le relais sur le maillot des joueurs à partir de la saison prochaine, l'avenir se place donc sous les meilleurs auspices. Et chez Intersport, autre sponsor maillot du club, on se frotte les mains. Au départ, l'équipementier sportif cherchait à gagner en crédibilité sur le football. Résultat : il progresse en mémorisation et en qualité (source Sportimat 2009). Du coup, l'enseigne a resigné avec l'OM pour les deux prochaines années.
La victoire de mai dernier vient à point nommé réalimenter la bonne chronique du club. " Il était temps que ces " gagneurs " deviennent " gagnants ", sous peine de lasser le public ", analyse Jérôme Neveu. Outre l'OM, c'est toute la ville qui en tire les bénéfices. Marseille la pauvre, pointée dans les médias pour ses grèves de poubelles ou de son port, peut à nouveau bomber le torse. " Politiquement, c'est un signe très fort vers l'extérieur, un signe de renouveau et de dynamisme ", estime Gilles Dumas, directeur de l'agence de marketing sportif Sportlab. Mais pour l'OM, le défi est ailleurs. En Europe. Car le club devra réussir à imposer sa marque au-delà de l'Hexagone. Et cette fois, une qualification régulière en Champion's League et les résultats sportifs seront indispensables.
Le club en chiffres
Budget total du club 134,5 M€
Droits TV 70 M€
Sponsoring 28 M€
Billetterie 24,5 M€
Produits dérivés 9 M€
Autres produits licence 3 M€
Un nouveau stade, pour quoi faire ?
Rénové en 1995 et déjà obsolète, le Vélodrome devrait faire peau neuve pour l'Euro 2016. Vinci et Bouygues planchent sur ce nouveau stade qui devrait accueillir 60 000 spectateurs et qui, cette fois, serait couvert. Le maire de Marseille, sous la pression du syndicat FO, ayant refusé de céder la propriété du Vélodrome, le stade sera détenu via un partenariat public-privé entre le groupe choisi et la Ville. Pour le business de l'OM, cette rénovation est essentielle : " Nous souhaitons tripler nos places VIP, améliorer les salles de séminaires, avoir une offre de services complète, et rendre le stade plus confortable pour qu'on puisse y venir en famille ", résume C. Gensollen, de l'OM, qui ajoute : " Le nouveau Vélodrome sera un levier de recettes très important pour le club ".
Les clubs de supporters, piliers du Vélodrome
Les neuf clubs de supporters installés dans les virages du Vélodrome font la pluie et le beau temps dans le stade. Créés pour les premiers dans les années 80, ce sont eux qui décident de l'ambiance du stade, qui sifflent ou portent aux nues leurs joueurs, qui remplissent les travées. Chaque club vend ses propres produits dérivés, gère ses propres buvettes, et distribue ses tracts et fanzines. Ils représentent une force irrésistible, qui peut décider de la grève des applaudissements et des chants. Leur colère a d'ailleurs eu raison en 2004 du président Bouchet, alors même que le club était en bonne place dans le championnat. Cette puissance, ils l'ont héritée de l'ère Tapie, qui leur a octroyé un privilège qu'ils sont les seuls à détenir dans le foot français : le monopole de la revente des places dans les virages du Vélodrome, soit 27 000 au total, dont ils conservent les bénéfices de la revente. Au prix de 115 € l'abonnement, les clubs de supporters possèdent un trésor de guerre de plus de 3 M€.