Au coeur du miracle
Mercredi soir, les dernières minutes d’un match fou ont permis à Marseille de battre Lyon (2-1). Récit de l’intérieur.
MARSEILLE –
de notre envoyé spécial
LES HORLOGES du Vélodrome,
plantées dans les virages, égrènent
un décompte inquiétant. Ronald
Zubar, depuis son poste d’arrière, y
jette un oeil. Lyonmène de 1 but et le
temps file comme un amour de jeunesse.
Décourageant. « Quand j’ai
vu qu’il restait quatre minutes, j’ai eu
envie de monter pour amener plus.
Ça faisait ch... » Doute, angoisse.
L’OM voit alors ce huitième de finale
de Coupe de France lui échapper.
Debout, près du banc, Albert Émon,
l’entraîneur, se lamente. « J’étais
tellement déçu pour les joueurs. Ils
avaient fait le match qu’il fallait, je
ne comprenais pas. Vraiment
pas… »
Derrière le but de Cédric Carrasso,
Modeste Mbami s’échauffe avec
Renato Civelli. Quelques instant plus
tôt, le Camerounais avait glissé à
Mickaël Pagis, avant qu’il n’entre en
jeu à la 73e minute : « Micka, tu vas
marquer, j’en suis sûr ! » Toifilou
Maoulida avait laissé sa place à
l’ancien Strasbourgeois sur ces
mots : « Sois fort, donne tout. Bon
courage. » Son destin de sauveur se
dessine sur un centre de Franck
Ribéry. Il reste trois minutes dans le
temps réglementaire, Marseille
revient à niveau sur une volée de
maître Pagis. Les supporters se
retournent vers Jean-Michel Aulas,
président de l’OL, et l’insultent. Un
peu plus loin, le candidat à la reprise
de l’OM, Jack Kachkar ne saisit pas
les subtilités du message méridional
(« enc... ») et applaudit, debout, ce
hurlement de la foule.
Émon, le plus remonté
Pagis raconte : « Je vois Ribéry partir
sur la droite et j’aime bien me mettre
enretrait dans la surface, je peux ainsi
recevoir la balle avec plus de temps
et de latitude. J’analyse mieux la
situation… » Le remplaçant signe
de son talent le retour de l’OM. « Ça
prouve que je ne suis pas mort... Sur
le coup, j’ai pensé à ma femme et à
mes filles. Vraiment, l’émotion m’a
envahi comme rarement. » Un sentiment
identique saisit un stade en
fusion. Samir Nasri, lucide, prévient
ses potes : « On va se calmer un peu,
rester en place pour attendre la prolongation.
» Djibril Cissé le coupe :
« Non, on va marquer un deuxième
but ! » Volonté de casser les résistances,
de pousser totalement cette
porte entrouverte.
Sur le banc, même double langage.
Salomon Olembe, remplacé par
Mamadou Niang : « J’étais à côte de
Hamel (gardien remplaçant) et
Maoulida. C’était de la folie. On était
tous debout. J’ai voulu donner le
temps qui restait aux gars pour leur
dire que c’était fini mais Albert continuait
à crier : “ Il faut marquer ! ” »
Quand tant d’entraîneurs auraient
tempéré les ardeurs, lui exhorte sa
troupe à assommer l’OL. Émon : « Je
pensais qu’on allait marquer. Eux
étaient aussi déçus que nous étions
heureux. Il fallait profiter de cet
avantage, enfoncer l’adversaire. »
Le temps additionnel démarre à
peine, Ribéry explose encore. Il file
vers le but, remporte un duel capital
contre Juninho. « Je sentais qu’on
pouvait y arriver. J’ai voulu tout donner
sur cette action », livre l’international.
« Quand Franck va au duel et
prend la balle sur Juninho, c’est un
condensé de tout ce qu’on vit, note
Zubar. Il y a l’agressivité positive,
l’engagement de cet OM-là et la
volonté de gagner, d’aller au bout de
nos actions. »
Habib Beye récupère ensuite la balle
et centre vers Niang, seul dans la surface.
Coup de boule gagnant (2-1,
90e + 1). « Sur le coup, j’ai eu peur,
avoue Niang, j’ai cru qu’Habib voulait
passer la balle devant le défenseur
et je n’aurais pas pu l’avoir.
Finalement, il la met au-dessus : je
n’ai plus qu’à la prendre… » « Vu sa
position, Habib a un peu raté son
centre non ? » chambre Zubar.
Le peuple marseillais se lève d’un
coup, les joueurs forment une pyramide
du bonheur. Niang est étouffé,
Émon incontrôlable. « Je ne savais
pas où aller, explique Zubar.
Niang : « Sur le coup,
j’ai eu peur »
Je voyais les Lyonnais vraiment très
abattus et j’étais vraiment très
content ! » Nasri : « C’était trop
drôle : Émon est entré sur le terrain
pour nous replacer et il y avait
l’arbitre qui lui disait : “ Vous n’avez
rien à faire là ! Vous devez sortir. ”
Et Albert continuait à donner des
conseils ! » Émon affine : « Dans ces
moments-là, on ne sait plus vraiment
où on est ! C’est la délivrance absolue,
ce sont des joies tellement
importantes ! » Puis malicieux :
« Mais, vous êtes sûr que j’étais sur
le terrain ? »
Les dernières secondes sont vécues
comme des heures. Lorik Cana prend
un coup de coude au visage. Il
résiste. Mbami, son potentiel remplaçant,
souffle. Il n’a pas spécialement
envie d’entrer en jeu. « Je
n’étais plus du tout chaud. Avec
Civelli, on ne s’échauffait plus depuis
longtemps ! » Le coup de sifflet offre
enfin la délivrance. Folie sur le Vélodrome.
Une tension palpable s’invite
dans les couloirs menant aux vestiaires.
Quelques mots s’échappent,
des insultes fusent. « Ça a chambré
un peu », dit un joueur. Notamment
avec Juninho. Puis, il y a la danse de
Kachkar, le futur boss (voir ci-dessous),
et une courte nuit qui
s’avance. Dans les rues jouxtant le
stade, unconcert de klaxons retentit.
« C’était magique », s’enthousiasme
Émon.
Il est 3 heures du matin. Zubar,
entouré de quelques amis, trouve
difficilement le sommeil. Il ajoute un
autre Marseille-Lyon à sa soirée.
«Un match à la Playstation. On
gagne 2-0 avec des buts de Niang et
de Cissé. Une nouvelle victoire, mais
plus facile. »Cette fois, il n’a pas eu à
s’attarder sur les horloges du
Vélodrome…
L'Equipe