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On pardonne tout à Ben Arfa
Génie inconstant et insouciant, Hatem Ben Arfa se permet toutes les fantaisies à l'OM. Le club marseillais, justement, tente de gérer son joyau, en souplesse. Au risque de faire grincer des dents dans le reste de l'effectif, au sein duquel le traitement de faveur, accordé notamment par l'entraîneur Eric Gerets, au dribbleur insondable, agace parfois.
L'attitude d'Hatem Ben Arfa fait jaser à l'OM.
Vendredi à La Commanderie, Eric Gerets observe la scène, impassible. Hatem Ben Arfa se tord de douleur après un dribble raté. Ses coéquipiers accourent, inquiets. Puis repartent, hilares. "Il est blessé?", demande le staff. "A la tête", réplique Lorik Cana. Quelques instants plus tard, douché et habillé, le capitaine marseillais se marre en se remémorant la scène: "Fallait le voir. On croyait qu'il était touché à la jambe. Et non, il s'était cogné le crâne. Il était allongé les mains sur la tête, à regarder dans le vide. J'ai dit qu'il fallait l'opérer du cerveau!"
Ça ne manque jamais: quand on évoque le cas Ben Arfa avec un joueur, un petit sourire s'esquisse, comme si des flashs burlesques défilaient en instantané. Tête à claques un brin bêta pour les uns, génie facétieux et incompris pour les autres, l'ondoyant gaucher ne laisse pas indifférent. A Marseille, il est à la fois une individualité hors norme et le reflet de la collectivité. Car à 21 ans seulement, l'imprévisible Ben Arfa illustre les soubresauts de l'OM cette saison. Brillant par moments, désespérant à d'autres. "On est capable d'être excellent et, d'un coup, on verse dans la bêtise, reconnaît Laurent Bonnard. C'est vrai pour Hatem comme pour nous."
Socrate et Abd Al Malik
Mais plus pour Hatem, dont les faits et gestes sont décryptés depuis la série docu A la Clairefontaine, qu'il irradiait de son culot juvénile. Les faits justement: s'il manque de constance et passe à côté des grands rendez-vous, Ben Arfa affiche des statistiques probantes avec l'OM dont il est le meilleur buteur (6) et le joueur le mieux noté dans la presse. Pour moins que ça, Nasri ou Valbuena ont été adulés. Mais entre Ben Arfa et Marseille, il y a une distance originelle que sa bouderie lors du dernier OM-PSG n'a pas contribué à resserrer. Des doutes liés à une mauvaise réputation que l'écho de ses frictions avec Cissé ou M'Bami a accentuée. "J'apprends beaucoup. Le contexte, la ville, les supporters, me font énormément évoluer", assure-t-il quand on lui demande s'il a trouvé à l'OM ce qu'il espérait en quittant Lyon.
A Gerland, où il n'était qu'un talent parmi d'autres, il insupportait les cadres car il ne respectait pas les consignes. A Marseille, où il est davantage couvé par ses dirigeants, il soigne un peu son individualisme. Tente de peaufiner son jeu sans ballon en avalant des montages sur DVD. Et continue à travailler sur lui-même. "Mais il est sur une autre planète", entend-on régulièrement. Ingérable? Surtout lunatique et décalé. Ses coéquipiers lui ont trouvé un surnom: Socrate. "Parce qu'il nous a dit qu'il lisait des bouquins de philosophie", décrypte Cana, qui chambre: "Je crois qu'il ne sait même pas qui est Socrate. A moins qu'il ne confonde avec l'ancien international brésilien..."
Le dribbleur ne cherche pas à se fabriquer une image peu crédible d'intello. Il aiguise juste sa curiosité, assure son entourage. Récemment, il a voulu visiter l'expo Van Gogh/Monticelli au centre de la Vieille Charité, projet contrecarré par l'effervescence créée par sa présence. Le slameur Abd Al Malik, dont il a été proche avant que leurs rapports ne se distendent, confie: "Hatem a un vrai désir d'en savoir plus sur la philosophie, la littérature. Il a une intelligence naturelle. On gagnerait à le connaître davantage." Difficile néanmoins de percer la carapace. Dans le milieu, on ne lui connaît que des affinités avec Jérémy Ménez et Mathieu Bodmer. Michel Ouazine, voisin et ami de ses parents, s'occupe de sa structure HBA 18 (avocat, expert-comptable, préparateur physique) et l'épaule au quotidien à Cassis. C'est lui qui l'avait aidé à se reprendre en main il y a un an et demi, alors que sa carrière ne décollait pas à l'OL. A s'ouvrir au monde et à mieux maîtriser ses pulsions.
Gerets ferme les yeux
Cela n'empêche pas les rechutes. "Il est impulsif parce qu'il est entier, juge encore Abd Al Malik. Et pour quelqu'un d'entier, ce n'est pas évident d'évoluer dans un environnement médiatique. Il parle avec son coeur, donc il commet des maladresses. Mais il reconnaît ses erreurs." Pour s'être mis à la faute lors d'OM-PSG, Ben Arfa a écopé d'une amende de plusieurs dizaines de milliers d'euros. Efficace? "Quoi qu'en disent les dirigeants, le groupe a très mal vécu cet épisode, assure un proche de l'OM. On lui a passé ce qu'on n'a pas passé à Ziani l'an passé (une altercation avec l'entraîneur). Gerets le protège plus que les autres, cela le fragilise vis-à- vis de ses joueurs."
L'entraîneur belge lui pardonne des paroles déplacées à l'entraînement. Le laisse quitter une séance parce qu'il a "le genou qui pique". L'épargne lors du débriefing musclé après la défaite contre Lorient samedi dernier (2-3), alors qu'il a été aussi médiocre que les autres. Une gestion plus souple, qu'on imagine pensée pour ce tempérament à part, capable de faire basculer un match sur une inspiration. "Il ne faut pas qu'il soit avantagé, mais quand on comprend la façon de fonctionner d'Hatem, on ne peut pas l'accabler, estime Cana. Il n'est ni méchant ni mesquin, mais simplement insouciant. Il est sympa, déconneur et c'est un des plus grands talents que j'ai vu, mais il doit encore se structurer. C'est pour cela qu'on a tous été vers lui après l'incident contre Paris. Beaucoup de joueurs n'auraient pas eu une seconde chance. Lui si. Il en a conscience. Mais ça passe une fois, pas deux."
Les dirigeants marseillais croisent les doigts pour éviter la récidive. Ben Arfa est l'investissement phare (13 millions d'euros), un gros salaire et une plus-value potentielle à terme. Approché par le Real Madrid, le jeune international se sait encore trop immature pour voir plus loin que Marseille. Il pense à Lille, dimanche soir. Et a promis à ses proches un grand match à Liverpool, mercredi en Ligue des Champions.
Le Journal du Dimanche