OM, PSG, Labrune, Dassier… Pape Diouf dit tout
Pape Diouf est un président qui a compté à Marseille. L’ancien journaliste est resté cinq ans à la tête de l’OM (2004-2009) et aura réinstallé le club au sommet de la hiérarchie française. Débarqué en juin 2009 au profit de Jean-Claude Dassier, Diouf, qui sort son autobiographie le 6 mars (« c’est plus qu’un jeu », aux éditions Grasset), a accepté de s’arrêter longuement sur son parcours avant ce clasico entre Marseille et le PSG.
Que représente un clasico pour vous ?
Pour un supporter de l’OM, c’est Le match de l’année, celui qu’il ne veut pas perdre. Les supporters me suppliaient presque quand j’étais président avec des mots touchants : « Tant pis si on ne gagne pas le championnat mais on ne veut pas perdre celui-là ! » ça a la connotation d’un vrai clasico même si les clubs n’ont pas la même taille, ni la même valeur sportive. Mais c’est à la mesure d’un Barça-Real au niveau de l’émotion.
Comment vous comportiez-vous en tant que président à l’approche d’un tel événement ?
Il n’y avait pas besoin d’en rajouter au niveau de la motivation car les joueurs ressentaient cet effet par la présence massive de supporters et de la presse. C’est comme une alerte qui devient vite une réalité. Dès qu’un joueur arrive, il sait qu’il ne doit pas négliger le clasico.
Lesquels vous ont le plus marqué ?
Deux en fait. Le premier c’est l’amoureux du foot qui parle avec le match que nous avons perdu au Parc (3-0, 26 octobre 2002) avec le show Ronaldinho. Si on aime le foot, on ne peut que s’incliner devant un tel talent. Ce soir-là, mortifié que j’étais, je n’en demeurais pas moins admiratif. L’autre, c’est évidemment celui avec les minots à Paris (0-0, 5 mars 2006). Car c’est l’expression de principes forts tenant à la réglementation : On avait le droit de nous donner un certain nombre de places et il n’était pas question d’emmener nos supporters en les laissant sous la tribune du PSG. Cette année, cette situation se renouvelle. Moi, président, j’aurais été attentif… La France du foot nous a pris pour des rigolos et même la Ligue. Pour eux, on ne faisait que brailler mais on est allés au bout. Au delà du résultat, il y avait l’expression d’un principe. Même si je sais que si on avait pris une valise, on aurait été lynchés par certains qui nous soutenaient…
N’est ce pas un moment fédérateur de votre présidence ?
Ça a été une cause fondatrice avec les supporters. Ils avaient compris que nous étions à côté d’eux. Mais c’était un tour de force de ne pas les déplacer alors qu’ils avaient déjà pris leurs places. Les priver de ce moment, c’était très fort. Mais on aurait pu nous taxer d’irresponsables s’il y avait eu des problèmes.
Aujourd’hui, on a l’impression que deux mondes s’affrontent avec le PSG version Qatar et Marseille aux moyens plus limités. Avez-vous ce sentiment ?
Ce ne sont pas les mêmes destinées mais je dois dire que le PSG d’aujourd’hui ne m’est pas très sympathique. Un club qui se trouve en haut de l’affiche doit montrer une part de travail dans son ascension. A cet égard la domination lyonnaise me paraît plus honorable. Jean-Michel Aulas est un homme qui a bâti, a travaillé même si on peut lui reprocher certaines choses. Enfin, la différence est peut-être énorme financièrement mais elle ne doit pas être aussi grande sur le terrain. Même si l’OM a infiniment moins de moyens, l’équipe ne va pas rencontrer 38 fois dans la saison Paris. Si l’OM met en place une politique cohérente, on doit pouvoir être très proche du PSG, on ne doit pas être à 10 points. Marseille a un potentiel, j’avais d’ailleurs laissé des sous dans les caisses, on a été champion de France (en 2010 avec Jean-Claude Dassier)… Mais est-ce que le tryptique -bien vendre, bien acheter et bien maîtriser la masse salariale- a été bien géré ? Je ne sais pas…
Que pensez-vous de l’arrivée de Beckham ?
Je l’aurais compris comme coup marketing sans aucun problème mais Leonardo nous prend pour des demeurés quand il affirme que le choix de Beckham est à 100% sportif. Qu’il dise : « c’est aussi sportif » suffira. Et on peut tout à fait comprendre cette volonté d’internationaliser.
Pensez-vous que Leonardo a manqué de respect quand il a dit que les clubs français ne travaillaient pas bien ?
Il faut se méfier de ce genre de déclaration. Je suis persuadé que 95 % des amateurs de foot devant leur télé étaient pour Sochaux dimanche dernier (3-2). Contre Marseille, ça ne peut pas arriver car il existe toujours une sympathie. C’est ce qui me fait dire que Marseille restera longtemps dans le cœur des Français. Alors est-ce un manque de respect, de l’arrogance ? Je ne sais pas. En tout cas, ses propos avaient heurté car la formation française a toujours été citée en exemple. Quand on est en haut, il faut d’ailleurs parfois modérer son discours…
Revenons à Marseille. Avez vous ressenti comme un manque après votre départ de l’OM ?
J’ai toujours dit et je le dis d’ailleurs dans le livre qui sortira le 6 mars. Quand on vient à la tête d’un club comme l’OM, il faut penser au jour où on partira. J’ai été 5 ans aux commandes dans un endroit où la durée de vie est d’à peine plus de deux ans. Je n’ai donc pas de regrets.
Oui mais partir de cette manière, à ce moment…
On part toujours d’une certaine manière, certains ont des casseroles judiciaires, des mauvais résultats où sont chassés par une fronde populaire. Ce n’est pas mon cas. S’il n’y avait pas eu certains problèmes, je ne serais pas parti.
Quels étaient les problèmes. On parle d’une gestion approximative ?
On a gagné beaucoup d’argent, plus de 40 millions. Le stade vivait avec enthousiasme. Certains souhaitaient simplement me voir partir… Car tout ça est faux. Quand je vais chercher Didier (Deschamps) pour remplacer Gerets, je lui dis d’ailleurs : « tu viens pour qu’on soit champion. »
Etre champion sans vous, ça vous a heurté ?
Non car on aurait dit si l’OM n’avait pas réussi : « il a laissé une coquille vide », ce qui m’eut blessé. Là, on se dit que j’ai laissé un certain héritage. Didier en a d’ailleurs parlé après le premier titre. C’est extraordinaire au contraire cette continuité.
Etes vous fier de votre passage à la tête de l’OM ?
Absolument, Robert m’avait fait comprendre qu’il n’y avait plus d’argent. Je lui ai répondu que si j’étais venu à l’OM pour la politique de la main tendue, ça ne m’intéressait pas. Il pouvait appeler son cuisinier ou son chauffeur… Le président de l’OM ne doit pas tendre la main sans cesse mais savoir mener sur le plan économique la bonne politique. On a su amener des garçons comme Mandanda, Kaboré, Valbuena qui nous a coûté 80000 euros, les frères Ayew -avec l’accord de leur maman- ou Benoît Cheyrou. Et d’autres encore.
Avec certains, comme Ben arfa, ça a moins bien marché toutefois…
Mais on n’a pas perdu d’argent sur Ben Arfa. Quand on le prend, c’était l’avenir du foot français avec Nasri et Benzema. On ne pouvait donc pas nous le reprocher. L’avoir pris à Lyon, ce n’était pas un échec même s’il n’a pas pu se réaliser ici.
Les passes d’armes avec Jean-Michel Aulas ne vous manquent pas ?
C’était une certaine époque… Ce que j’ai toujours apprécié chez Aulas, c’est cette capacité à donner des coups et à en recevoir. Et toujours avec le sourire. Aulas, vous pouvez vous étriper, une fois l’affaire entérinée, il redevient très cordial. C’est l’un des rares que j’ai connu comme ça contrairement à Pierre Blayau (ancien président du PSG), pas exemple, qui montait sur ses ergots. J’aimais bien Aulas, il y avait au fond une considération réciproque, j’en suis convaincu. Je lui rends hommage.
Les liens avec Jean-Claude Dassier, votre successeur, ont été plus distendus…
Son passage est météorique, ça ma fait sourire de le voir se retourner contre l’homme qui l’avait mis en place et dans des termes très durs. Pour le moins, il a manqué de courtoisie dans sa manière de me considérer. Ce n’est pas de ma faute si on lui parlait de moi partout où il allait. Mais avec le sourire, on dira qu’il a été une bonne mascotte pour l’OM.
Il a gagné quand même des titres.
Oui donc c’est une mascotte.
Et Vincent Labrune ?
Quand il a reproché à Dassier d’avoir creusé des déficits, ce n’était pas très juste vis à vis de Dassier car ce dernier ne pouvait pas acheter un stylo sans en référer à sa sagacité. Tout a été acté par le président du conseil de surveillance qu’il a été. On ne peut pas reprocher à Dassier d’avoir dépensé inconsidérément. Maintenant il (Labrune) est à la place qu’il voulait. Ce qui m’étonne, c’est qu’il dise qu’il veut être un président à l’anglaise. Mais il faut méconnaître Marseille et l’OM pour dire ça. Etre président de l’OM sans se faire voir et entendre, c’est vraiment une gageure (sourire)…
En reprenant le club, va-t-il au bout de ses ambitions ?
Je ne suis pas dans ce genre de réflexion. Quand nous avons combattu et à la loyale de ma part… Je ne me cachais pas derrière des faux fuyants du genre, « l’entourage de Robert a dit ». Je n’avais pas de masque. Quand les armes sont déposées, c’est fini. L’OM est plus grand que nous tous et quand on est supporter, on ne dit pas des choses qui peuvent mettre l’OM en situation de conflit.
Ça a été tendu entre vous ?
Oui ça l’a été.
Vous vous parlez de nouveau ?
On s’est reparlé par la suite mais je ne suis pas très hypocrite… D’ailleurs, je suis toujours au stade sauf qu’à la place de la courtoisie qui eut été, de la part du club, de m’inviter au vu de ce que j’ai fait à l’OM, j’ai pris mon abonnement. La première année, j’ai même pris quatre abonnements dont je n’avais pas nécessairement besoin pour bénéficier d’une place de parking…
Vous auriez pu demander une place de parking ?
Jamais de ma vie. Moi à l’OM, quand il avait été question de se séparer de Josip Skoblar et de Jean-Philippe Durand, j’ai opposé mon veto. Niet. Skoblar, c’est l’homme qui a marqué 44 buts en une saison (1970-1971) et nourri la légende du club. Durand, c’est un champion d’Europe. Ceux qui ont fait le club mérite égard et respect.
Quel est votre rapport à ce club aujourd’hui ?
Je suis redevenu un supporter de base. Je souris quand le club gagne. Ma fille, qui avait 6 ans à l’époque, m’avait dit en me voyant trépigner devant un match : « Tu te disputes avec les gens de l’OM et aujourd’hui tu es encore supporter ! »
Vous l’avez toujours été ?
Je suis arrivé à 18 ans, j’avais deux clubs dans ma vie, l’OM et Saint-Etienne car il y avait Salif Keita qui restera peut-être à mes yeux comme le plus grand joueur africain. Quand les deux clubs jouaient, j’étais très embêté (sourire)… Je voulais que l’OM gagne et que Keita soit bon ! Et je suis aujourd’hui sans doute le seul président de l’OM depuis les années 70 à venir au stade. J’ai ma place pas très loin d’Honoré Lemaire, vice-président dans les années 70. Je l’avais d’ailleurs inscrit sur les invités permanents pour les matches de l’OM en Coupe d’Europe. Il m’avait demandé et je lui avais répondu : « Si vous ne pouvez pas venir, personne ne le peut. » C’est pour ça que ça me fait sourire quand je vois les présidents brandir le poing quand ils gagnent mais ne plus jamais revenir ensuite… Ce sont des gens qui passent… Vous savez, je suis arrivé à Marseille un samedi et le mercredi, j’allais voir un match amical contre le Dukla Prague, je crois. Il y avait moins de 1000 personnes. Et j’ai vu quasiment tous les matches de l’OM à l’extérieur et à domicile jusqu’à mon départ du club grâce à mes différents métiers. Je ne vais plus l’extérieur aujourd’hui mais je ne rate pas les rencontres à domicile.
José Anigo avait dit : « Si Pape part, je pars ». Il est resté. Ça vous fait quelque chose ?
Sur le coup, on se dit toujours qu’on a travaillé en bonne intelligence avec lui et Julien (Fournier, ancien secrétaire général de l’OM actuellement à Nice), qu’il y avait une sorte de profession de foi entre nous, alors oui quand les choses ne se passent pas comme on l’avait dit, ça gêne … Mais très rapidement, je me dis que les motivations individuelles sont différentes suivant les personnes et il avait certainement ses raisons propres pour rester.
Vous en avez discuté ?
Non, je n’avais pas de raison de le faire. Ça ne servait à rien mais je suis resté en contact avec Julien et je suis ravi de voir qu’il est un directeur compétent à Nice.
Quand vous vous retournez sur votre vie, êtes-vous surpris ?
Le petit noir qui était venu dans le pays des blancs dans les années 70 était à mille lieux de penser ce qui lui arriverait, qu’il vivrait du football, de sa passion. J’ai été successivement journaliste, agent et dirigeant. Je suis plus qu’heureux de mon parcours et je serais très ingrat de demander plus à la nature. Elle m’a beaucoup donné. Il y a des gens aussi qualifiés, aussi méritants mais qui n’ont pas atteint leurs objectifs. Je ne suis jamais le type qui se plaint. « Encore plus » : c’est banni de mon vocabulaire. Ce qui m’a toujours passionné, c’est la réussite, plus que le fait matériel, financier.
Que faites vous aujourd’hui ?
J’ai été approché ici ou là. Mais après l’OM, c’était très compliqué de faire autre chose. Avec Jean-Pierre Foucault, on s’est associé avec Franck Papazian pour créer une école de journalisme car ça me passionne. Je dis souvent que c’est le seul vrai métier que j’ai fait, le reste était des occupations professionnelles. Je donne des cours en matière de déontologie et d’éthique. La seule chose que j’avais posée comme préalable, c’était d’être crédible auprès des parents et des étudiants. Nous le sommes. Je fais aussi de la télévision avec Canal et beaucoup de conférences en Europe, en Suisse, en Belgique sur des thèmes divers et variés.
Vous avez des journées chargées ?
Non, disons maîtrisées. Avant je vivais à 100000 volts par jour en tant que président de l’OM, aujourd’hui à 10000. Et ma grosse satisfaction, c’est que je ne peux pas faire un pas à Marseille sans que les supporters ne m’interpellent, ne me demandent quand je reviens. Que ce soit à la gare, à l’aéroport, dans la rue. Et pas seulement à Marseille, à Paris aussi car beaucoup ici sont des supporters marseillais.
Vous vous imaginez revenir ?
Non. Car je ne veux pas recommencer le travail que j’ai fait pendant 5 ans. Il n’y aurait que deux manières pour moi de revenir à l’OM : un gros investisseur viendrait pour donner une nouvelle dimension de type qatarienne à l’OM. Là, ça peut être tentant pour faire entrer le club dans une dimension interplanétaire mais je n’y crois pas trop car les gens viennent avec leurs hommes. L’autre, c’est celle que je ne souhaite absolument pas, mais vraiment pas. C’est si le club tombe complètement à terre et que personne ne veut s’engager. Il y a donc très très peu de chances que je revienne.
Vous vous souvenez comment vous avez pris en main le club ?
Je n’étais pas preneur au début. Robert m’avait demandé avant même que Christophe Bouchet ne soit là mais j’avais refusé. Je ne voulais pas car ma société d’agent marchait bien et je ne me voyais pas lâcher les garçons. Mais Bouchet a été insistant et au bout de deux mois, il m’a bougé dans mes certitudes et a réussi à me convaincre que l’OM était une étape nécessaire. J’ai vécu deux mois extrêmement pénibles d’indécision car mes vrais amis étaient eux-mêmes partagés. Je ne l’ai donc pas souhaité comme d’autres, il m’a fallu aller jusqu’à Dakar et c’est là-bas que j’ai pris ma décision. Robert m’a téléphoné pour me dire : « Je suis vraiment heureux que vous veniez. »
Un mot justement sur Robert Louis-Dreyfus ?
Ce que je retiens, c’est qu’il n’y a jamais eu de nuages entre lui et moi quand on était tous les deux. C’est seulement quand d’autres ont interféré entre nous donc la dernière année… Il suffisait qu’on se rencontre pour ça se dissipe. Et Margarita a montré que c’était une femme de caractère. Si j’ai conservé un vrai respect pour ce qui est de la direction de l’OM, c’est grâce à elle. Elle a été d’une extrême présence et a fait toujours ce qu’elle disait me concernant. C’est une femme de très grande valeur et elle l’a démontré aussi en se séparant de certaines membres de la tête du groupe et cela ne l’a pas empêché d’obtenir le prix de la capitaliste de l’année. Son travail a été récompensé.
Herve Penot (Twitter: @hpenot_lequipe)