Information
Un réseau criminel soupçonné d'avoir truqué 680 matches de football, dont des rencontres de Ligue des champions et de qualification pour la Coupe du monde, a été démantelé, a annoncé lundi 4 février l'Office européen de police Europol.
"Il nous semble clair qu'il s'agit de la plus grande enquête de tous les temps sur des matches truqués présumés, a déclaré le directeur d'Europol Rob Wainwright lors d'une conférence de presse à La Haye, soutenant que ses services avaient identifié 425 responsables, joueurs et criminels impliqués dans quinze pays. "L'enquête met en lumière un gros problème d'intégrité dans le football européen", a souligné le patron d'Europol. Le réseau, dirigé à partir de Singapour, aurait rapporté au moins huit millions d'euros.
La plupart des matches truqués ont été joués dans les championnats turcs, allemands et suisses, a précisé Europol, mais d'autres matchs à travers le monde sont concernés. Ainsi deux matches de Ligue des Champions européenne et des matches de qualification pour la Coupe du Monde ont été mis en cause. Europol a notamment montré une rencontre internationale entre l'Argentine et la Bolivie lors de laquelle un arbitre hongrois accorde un penalty plus que litigieux en faveur de l'Argentine.
Les rencontres, dont certaines ont déjà fait l'objet d'enquêtes et de procédures judiciaires, se sont jouées entre 2008 et 2011. Europol a compté 380 matches truqués en Europe et 300 autres en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Un enquêteur allemand, Freidhelm Althans, a expliqué que le réseau employait des "courriers" transportant des enveloppes pouvant contenir jusqu'à 100.000 euros par match, qui servaient à rémunérer joueurs et arbitres. "Nous avons réuni des preuves dans 150 cas", a-t-il précisé. Des complices prenaient ensuite des paris sur internet ou par téléphone avec des bookmakers en Asie, où sont acceptés des paris qui seraient illégaux en Europe.
"Un match truqué pouvait impliquer jusqu'à 50 suspects dans dix pays sur différents continents", a déclaré Freidhelm Althans. "Même deux matches éliminatoires de Coupe du monde en Afrique, et un en Amérique centrale, sont suspects", a-t-il dit. Parmi les autres rencontres examinées figurent deux matches de Ligue des champions, dont l'un s'est joué en Grande-Bretagne, ainsi que des matches éliminatoires de l'Euro et des matches de première division dans plusieurs championnats européens. Les enquêteurs ont refusé de dévoiler le moindre nom de joueur ou de club tant que les investigations ne seront pas achevées.
"PAS UNE SURPRISE" POUR L'UEFA
Contacté par Le Monde, l'UEFA, l'instance dirigeante du football européen, a expliqué que "ce rapport n'est pas une surprise. Trop longtemps, les autorités sportives ont minimisé le problème". "La difficulté, c'est que nous sommes limités par rapport au pouvoir de la police. Par le passé, nous avons eu des preuves circonstantielles que certains matches avaient été truqués mais personne ne voulait parler. La police, elle, a un pouvoir coercitif que nous n'avons pas, indique-t-on de même source. Le football, c'est une chose, mais les sports individuels sont encore plus menacés. Comment prouver qu'un joueur de tennis a fait sortir volontairement une balle de un centimètre du court ou qu'un sprinteur n'a pas couru à fond le 100m".
LE SCANDALE DU "CALCIOPOLI"
L'enquête porte également le Calcio. En 2012, ce dernier avait été frappé par un vaste scandale de corruption dans lequel 22 matches de série A étaient soupçonnés de trucage au cours de la saison 2010-2011. Cristiano Doni, ex-buteur de l'Atalanta Bergame, avait reconnu son implication. En 2006, lors du scandale dit du "Calciopoli", la presse transalpine avait publiée des comptes rendus d'écoute téléphonique judiciaires mettant en cause Luciano Moggi, directeur général de la Juventus Turin. Les écoutes révélaient une conversation au cours de laquelle, il donnait des instructions à Pierluigi Palretto, chargé par la fédération italienne de sélectionner les arbitres pour les rencontres entre 1999 et 2005.
En Allemagne, Robert Hoyzer, arbitre de la Fédération allemande, a reconnu avoir "arrangé" plusieurs matches en 2003 et 2004. Il aurait reçu la somme de 50 000 euros et une télévision à écran plasma pour manipuler quatre matches, en sifflant des penaltys imaginaires et en excluant un joueur qui protestait. Jugé coupable d'escroquerie par le tribunal de grande instance de Berlin, il a été condamné en novembre 2005 à 29 mois de prison. L'enquête a montré que Robert Hoyzer a agi pour le compte de trois frères de nationalité croate qui l'ont payé pour suivre leurs instructions.
Pièce centrale d'un réseau de paris truqués démantelé en 2005, l'arbitre allemand Robert Hoyzer avait été condamné à 17 mois de prison.
L'instigateur de l'affaire Ante Sapina, a lui aussi été convaincu d'escroquerie et condamné à 35 mois de prison. Ses frères Milan et Filip ont reçu des peines avec sursis. L'escroquerie montée par les trois frères, qui ont par la suite accepté de verser une compensation à la loterie régionale berlinoise, leur avait rapporté au moins deux millions d'euros. Robert Hoyzer a ensuite accepté de coopérer avec les autorités. Sur ses indications, le parquet de Berlin affirme avoir enquêté sur 25 personnes, dont quatre arbitres et quatorze joueurs, pour des soupçons d'escroquerie.