par 2DR » 05 Avr 2007, 23:46
« J'ai la solution »
Bruno N'Gotty, l'ancien héros du PSG, brise la loi du silence. Il travaille depuis cinq ans à la fabrication d'un outil qui permettrait de mettre de l'ordre dans la jungle des transferts. Il le propose aujourd'hui aux institutions. Son témoignage est une première dans le genre.
De notre envoyé spécial Christian FRICHET
PARIS. _ C'est une sorte d'événement dans un milieu où la langue de bois est fortement préconisée. Surtout sur un sujet pareil : les transferts, les agents de joueurs, l'économie et les dérives qui en découlent. Bruno N'Gotty, une carrière d'une longévité exceptionnelle, 20 ans sans la moindre affaire, de Lyon à Birmingham en passant par Marseille, Milan, Bolton. De quoi porter un regard autorisé sur des moeurs qui l'ont vite chagriné. Même s'il dit avec un zeste de nostalgie « Avant, ce n'était tout de même pas la même chose, tout le monde était là pour le jeu ». Lui c'est son moteur. Il espère s'arracher encore pendant deux ou trois ans chez des Anglais qui le passionnent comme à ses premiers jours. Mais l'homme qui a offert une Coupe d'Europe au PSG a une autre vie. Un peu secrète. Aujourd'hui, il accepte d'en parler. Depuis cinq ans, il a crée une société, European Sport Certification, qui a l'ambition de contrôler les opérations de transferts. Une sorte de norme ISO, une certification. Socle de l'idée : son indépendance. Pour Bruno N'Gotty, il s'agit de la solution que les institutions du football recherchent - ou font semblant - pour remettre de l'ordre dans la maison. Il ne se passe plus une semaine sans qu'un scandale éclate, sans qu'un juge se retrouve avec un dossier estampillé football. Fort d'une légitimité sans ombre, N'Gotty brise la loi du silence, sans agressivité, mais sans concession non plus, pour l'amour de son jeu.
- Bruno, vous-même, avez-vous un agent ?
- Non, aujourd'hui, je travaille seul. A une époque, quand j'étais à Marseille ou Milan, j'étais avec Alain Migliascio (NDLR. Un des plus gros portefeuilles. Il a géré la carrière de Zidane, notamment). On s'est quittés sans souci particulier. Tout était clair et net avec moi, car j'ai toujours payé moi-même mon agent. Tout ce que je demandais, je l'ai eu. Mais j'ai vite compris que ce n'était pas toujours le cas.
- C'est-à-dire ?
- Il faut assainir le milieu ! Aujourd'hui, il y a de plus en plus d'agents. Un joueur, parfois, en a même trois ou quatre. On ne sait plus du tout où on en est. Impossible de s'y retrouver. Et surtout, le joueur n'est pas toujours entendu. Je n'ai pas envie de semer la zizanie ni d'ouvrir des procès. Il faut regarder devant soi, mais je peux vous dire que des joueurs ont pris des destinations car ils avaient un pistolet sur la tempe. Ils ne voulaient pas aller quelque part, mais ils n'avaient pas le choix.
- Comment avez-vous découvert ça ?
- Mais dans le milieu, tout le monde le sait, en tout cas pour certains clubs. Beaucoup de joueurs m'ont parlé, car je crois pouvoir affirmer que c'est impossible de se fâcher avec moi. Parfois, on sait ce que prenait un agent comme argent et le joueur a l'impression de devenir une marchandise. Au début, le jeune, c'est vrai, a pourtant besoin de conseils, mais beaucoup d'agents ne sont plus là pour ça. Ils servent de porte-valises à plein de gens et même à des dirigeants. C'est tout le système des rétro-commissions.
« Certains gars sont menacés »
- Vous avez tenu ce discours dans le milieu ?
- C'est dur, car beaucoup de gens profitent du système. Et puis, quand on est joueur, ce n'est pas évident de faire deux choses à la fois. Aujourd'hui, il y a une actualité, avec une multitude d'affaires, et l'arrivée d'un gars comme Platini au pouvoir qui nous invitent à parler. ça passe un peu mieux.
- Parler, c'est aussi un peu trahir ?
- Oui, vous avez raison, c'est dur de dire les choses quand on est en plein milieu. Tout le monde le sait, tout le monde le dit, mais 95 % des déclarations restent off. Les gars ont peur, peur même de leur propre agent parfois, peur de perdre de l'argent. Certains sont menacés. Et puis, je ne voudrais pas donner l'impression de cracher dans la soupe alors que j'arrive à la fin de ma carrière. Je prétends seulement que le football peut redevenir aussi un jeu, si on arrive à imposer notre système. J'espère d'ailleurs que d'autres joueurs m'aideront. J'ai des contacts avec des gars emblématiques. Mais il est urgent qu'on arrête de passer notre temps à parler des affaires. Il faut s'amuser de nouveau.
- N'est-il pas déjà trop tard, alors que la technocratie européenne semble déjà s'être emparée de plusieurs conflits ?
- Il n'est jamais trop tard pour bien faire. Il ne faut pas se retourner mais penser au renouveau du football. Encore une fois, je ne veux faire le procès de personne. Les juges s'en chargent, mais je le dis, beaucoup de joueurs ont peur aujourd'hui de tout ce qui se passe. Il est difficile pour eux de se défaire de certaines habitudes.
- En Angleterre, parmi les scandales, celui dévoilé par la BBC il y a quelques mois a dû faire grand bruit... (NDLR. Une enquête journalistique a démontré que des entraîneurs touchaient des rétro-commissions)
- Oui, même si tout le monde savait déjà avant ce qui se passait. Mais tout le monde fermait les yeux. Car tout le monde en profite, mais tout de même, chez les supporters, ça crée une grande émotion. Voilà un danger.
« Je voudrais rencontrer Platini »
- Quelle est votre solution dans ses grandes lignes ?
- établir de la transparence dans les opérations de transferts en les contrôlant avec un organisme indépendant. Nous avons l'outil. On peut, soit le vendre à la FIFA par exemple, soit le faire fonctionner nous-mêmes suivant les directives des gens du football. On est ouverts à tout. Voilà cinq ans qu'on travaille à ça. Il y a un énorme programme informatique derrière. On s'est astreints à des simulations. Pratiquement toutes les affaires qui sont allées devant les tribunaux n'auraient pas échappé à notre contrôle.
- C'est la première que vous vous dévoilez et que vous en parlez. Pourquoi ?
- Pour l'instant, je me suis beaucoup investi sur mes fonds propres. Maintenant, on a l'outil, on a la solution. Alors, je veux qu'on nous dise oui ou non. Que les instances soient claires. D'ailleurs, je voudrais rencontrer Michel Platini.
- Pendant tout ce temps, vous avez traversé des périodes de découragement ?
- Souvent. Pourtant, j'ai le sentiment qu'on peut gagner ce match.
5/04/07