excellente interview de Lilian Thuram:
Thuram : «Si on perd l'humilité...»
La sagesse de Lilian Thuram. (L'Equipe)
Loin des discours convenus qui nient la réalité du formidable bond en avant effectué par l'équipe de France en deux matches de Coupe du monde, Lilian Thuram explique que la cohésion tactique affichée par les Bleus est le résultat d'une exceptionnelle cohésion du groupe. Le héros de la demi-finale de 1998 parle d'une équipe où «les joueurs sont reliés», où «chacun s'oublie pour l'autre» et explique en grande partie cette métamorphose par les échecs de 2002 et 2004, auxquels ont pris part une majorité du groupe. «Les erreurs du passé servent à comprendre qu'il y a une seule route à suivre. (...) Nous footballeurs, avons tous des egos très forts. Arriver à la conscience que l'autre nous rend meilleur, c'est un discours très simple à comprendre mais difficile à faire intégrer.» Il faut l'assimiler encore pendant deux rencontres pour ne rien regretter.
«Lilian Thuram, attendiez-vous l'équipe de France au niveau qu'elle a affiché contre l'Espagne (3-1) puis le Brésil (1-0) ?
Le comportement sur le terrain, cette faculté à se replacer rapidement et à jouer plus en bloc, c'est vraiment une surprise pour moi, oui.
Quelle différence depuis cette discussion tendue entre Zidane et Gallas pendant France - Suisse...
Il y a toujours des discussions pendant les matches. Contre le Brésil aussi, on s'est parlé avec les attaquants. Il faut trouver un juste milieu.
Pourquoi est-ce allé si vite ?
C'est simple à comprendre. Il y avait cette crainte que tout se passe comme en 2002. Sortir de la poule a été une libération dans la tête. On a joué à notre niveau. Quand vous regardez les joueurs qui composent l'équipe...Et avec des joueurs habitués à jouer ensemble, les choses deviennent plus faciles. Pour tout entraîneur, le plus dur est de trouver l'équipe-type.
Tout cela est tout récent. Est-ce fragile ?
Tout est fragile en football. C'est ce qui en fait un sport difficile et beau. Il faut être attentif. Parfois ça se passe bien, et dix minutes après, c'est du n'importe quoi, parce que personne ne respecte son rôle après un but marqué ou un but encaissé.
Comment le groupe a-t-il réagi à la performance de Zidane ?
Sans s'étonner. Qu'a-t-il fait de particulier, Zidane ? Il a joué comme Zidane ! Quand on le voit jouer, on se dit soit que beaucoup d'autres devraient arrêter, soit que lui devrait continuer.
Est-ce que le plus dur commence, avec cette demi-finale contre le Portugal ?
Oui. Quand vous gagnez contre le Brésil, tout le monde vous imagine en finale et malheureusement ça peut conditionner le groupe. Si on perd l'humilité qui a fait notre force jusqu'à aujourd'hui, les choses deviendront très compliquées. Mais je ne pense pas que ça sera le cas. Le groupe est très sain. Ces résultats surprenants viennent de l'humilité de l'équipe.
La qualité du jeu aussi ?
Complètement. Si vous savez que le jeu en bloc est la clef du succès et si vous voyez que tout le monde est prêt à respecter la consigne, vous avez une équipe où les joueurs sont reliés. Dans certaines équipes, les joueurs ne font pas l'effort de se mettre à la disposition des autres. Nous sommes partis pour la Coupe du monde sans savoir ce qui allait se passer, juste soudés pour faire notre chemin. Cette année, il n'y a pas de chanson pour tirer tout le monde comme en 1998. Il y a une phrase. Elle résume exactement tout ça. Mais vous ne la connaîtrez qu'à la fin du film.
Doutiez-vous que ce groupe était sain ? Celui que vous aviez quitté en 2004 ne l'était pas ?
Je n'ai pas pris le temps de savoir. Quand je suis revenu (en août 2005), j'étais là pour faire des matches parce qu'on m'avait appelé. En Martinique (contre le Costa Rica trois mois plus tard), j'ai découvert les joueurs, j'ai fait l'effort, j'appréciais d'être là. Concernant 2004, si vous regardez nos matches, vous constatez une indiscipline. Parfois on jouait, c'était du n'importe quoi. Quand on joue et qu'il n'y a pas d'équipe ni de groupe, on perd son temps. A un certain âge, vous n'avez pas envie de perdre votre temps, tout simplement.
Ce changement, est-ce la victoire de Raymond Domenech ?
Il y a un travail du sélectionneur bien sûr, mais ce sont avant tout des réflexions de joueurs. L'entraîneur peut parler pendant des heures de discipline, ça ne sert à rien si les joueurs ne sont pas réceptifs.
Mais le plupart d'entre eux étaient déjà là en 2004...
Et certains en 2002. Les erreurs du passé servent à comprendre qu'il y a une seule route à suivre. Regardez la Grèce. Tout le monde est surpris qu'elle soit championne d'Europe car elle ne possède pas de grands joueurs, mais c'est une grande équipe car elle composée de joueurs capables de s'oublier pour l'autre. C'est le plus difficile. Nous footballeurs, avons tous des egos très forts. Arriver à la conscience que l'autre nous rend meilleur, c'est un discours très simple à comprendre mais difficile à faire intégrer.
Êtes-vous un leader écouté de ce groupe ?
Le message qu'on envoie, c'est surtout le comportement sur le terrain. Dans les discours, on peut raconter un peu n'importe quoi.
La Coupe du monde serait-elle ratée en cas d'élimination mercredi ?
Personnellement, et même au nom du groupe, nous ne sommes pas revenus ici pour être éliminés en demi-finale, c'est évident.
Ce sera votre deuxième demi-finale de Coupe du monde. Tout le monde se souvient de la première... (France - Croatie, 2-1, doublé de Thuram)
C'était complètement fou. Si quelque chose comme ça arrive encore, il faudra se poser des questions.
Pourtant, on vous a vu près du but adverse à certaines reprises, lors des deux derniers matches, vous sentez-vous des responsabilités offensives ?
Pas du tout. Je monte sur les coups de pied arrêtés, maintenant. Après réflexion, on m'a demandé de le faire. Mais c'est pour faire peur, pas pour marquer, rassurez-vous.
Continuerez-vous votre carrière en équipe de France après le tournoi ?
Pour l'instant je savoure cette Coupe du monde, je prends du plaisir car c'est la dernière. Mais je me dis que pour le bien de tout le monde, il faut que je m'arrête. A cet âge-là quand même... (sourire) »
Alors c'est quoi cette phrase magique?