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L'OM a-t-il entourloupé Marseille au sujet du Vélodrome ?
La nouvelle convention signée, qui acte une hausse de 1,5 million d’euros à payer chaque année par l’OM, semble être un bon coup comptable pour le maire Payan. Mais le deal pourrait tourner à l’avantage du club phocéen, au détriment des Marseillais. Décryptage.
L’Olympique de Marseille (OM), c’est comme le Mucem, le ferry-boat et les calanques, c’est une partie du cœur de Marseille, qui bat les soirs de match. Alors quand, le dernier conseil municipal de l’année le vendredi 15 décembre acte un accord sur le montant du loyer que le club de foot va payer à la ville pour les trois ans à venir, il y avait de l’excitation au sein de l’Hémicycle.
Cette fois, c’est signé : à compter du 1er janvier 2024, l’OM paiera un loyer de 8 millions d’euros par an. Exactement ce que recommande la Chambre régionale des Comptes depuis 2013 pour rééquilibrer un peu ce qui est, pour la ville, un désastre financier.
« J’ai toujours dit que l’OM doit payer un juste loyer dans le plus beau Stade de France, l’un des plus beaux d’Europe, s’est enthousiasmé devant les élus le premier édile de Marseille, Benoît Payan (ex PS), grand fan de foot en général et de l’OM en particulier. On avait dit ce qu’on allait faire et on l’a fait. L’OM a compris qu’il fallait investir dans sa ville ! »
Sauf que derrière l’annonce de hausse du loyer, les conditions du déclenchement de la part variable et la méthode de calcul pourraient tourner à l’avantage financier de l’OM, au détriment des Marseillais.
Le Vélodrome, un désastre financier pour la ville de Marseille
Le maire connaît pourtant le dossier de longue date. Alors dans l’opposition, il avait régulièrement pointé la charge que représentait l’infrastructure dans les comptes de la ville. Le Partenariat public privé (PPP) signé en 2010 entre Marseille (alors dirigée par la droite) et le consortium Arema (Bouygues, BPCE et Caisse des Dépôts), pour rénover entièrement l’enceinte et installer son toit incurvé à l’occasion de l’Euro 2016, avait été mal négocié. La facture s’élevait à 268 millions d’euros.
La moitié (134 millions d’euros) a été payée par Arema. L’autre par les collectivités locales. Et pour financer ce projet, la ville s’est endettée auprès du consortium. Elle lui rembourse chaque année 23,5 millions jusque 2045.
La municipalité perçoit 12 millions versés par Arema pour les activités hors foot (concerts…), et un loyer de la part de l’OM compris entre 5 et 6,5 millions d’euros. Soit un trou de 11,5 millions. Ce sont donc les Marseillais qui y vont de leur poche.
Une partie du loyer est conditionnée à la Coupe d’Europe
La hausse du loyer de l’OM, qui passe de 6,5 millions d’euros à 8 millions, apparaît donc comme une bonne nouvelle permettant de réduire la facture pour la ville, sans toutefois arriver à une opération blanche. Mais en réalité, le montage reste extrêmement complexe. Benoît Payan a d’ailleurs eu du mal à répondre aux questions des élus pendant la séance du conseil.
La première incertitude porte sur la part fixe. Le contrat note que « compte tenu des prévisions de participation du Club à la phase de poules de l’UEFA Champions League pendant la durée de la présente Convention, la part fixe annuelle de la redevance est égale à̀ huit millions d’euros hors taxes pour l’ensemble de ses Rencontres Programmées ».
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Le président de l'OM Pablo Longoria. Crédit: AFP / CLEMENT MAHOUDEAU
Mais si le club présidé par Pablo Longoria, comme cette année, ne participe pas à la Ligue des Champions, sera-t-il tenu de payer son loyer ? « En réalité, la part fixe restera, quoi qu’il arrive, à 8 millions d’euros, rassure Joël Canicave, l’adjoint aux finances de la ville. Mais l’OM tenait beaucoup à ce que la grande coupe d’Europe soit mentionnée quelque part, pour réaffirmer ses ambitions en la matière ». Une éventuelle participation à la plus prestigieuse compétition européenne jouera en réalité sur le déclenchement – ou non – de la part variable du loyer.
Manque de transparence de l’OM
D’autant plus que la méthode de calcul change dans cette nouvelle convention. L’indicateur n’est plus le chiffre d’affaires mais le Revenu Brut d’Exploitation (RBE), forcément plus faible. Auparavant, il fallait que l’OM réalise un chiffre d’affaires d’au moins 40 millions d’euros pour déclencher la part variable. Elle l’a fait une fois : l’an dernier. Benoît Payan a annoncé le versement « d’environ 150 000 euros » à la ville en conséquence.
Désormais, la part variable est « assise sur le RBE hors taxes définitivement encaissé par l’Olympique de Marseille et/ou ses prestataires sur une Saison Sportive concernée dans le cadre d’accords commerciaux ». Et se déclenchera seulement si l’OM atteint 35 millions d’euros de RBE. Pour rappel, le chiffre d’affaires est toujours plus élevé que le RBE.
Autre problème : l’OM ne déclare jamais ce chiffre. « Il y a un moment où la puissance publique doit arrêter d’être naïve. Le RBE, c’est du déclaratif ! », affirme Mathilde Chaboche, ancienne adjointe à l’urbanisme, aujourd’hui élue du groupe écologiste. Selon ses calculs, pour atteindre 35 millions de RBE, il faut réaliser un chiffre d’affaires de 50 à 55 millions. « Finalement, au lieu d’avoir un seuil à 40 millions d’euros, on a obtenu un seuil à 50 millions au moins. Bien joué ».
Lionel Royer-Perreault, lui aussi élu municipal, maire du 9-10 et député LR, a fait un autre calcul, plus inquiétant encore : « Le revenu brut d’exploitation c’est 30 % du CA, assure-t-il. Et puis de quoi parlons-nous ? Quel est le RBE en 21 et 22 ? ». Pas de réponse du côté de la mairie… « De toute façon, pour réaliser un chiffre comme celui-là, il faut atteindre au moins les quarts de finale de la ligne des champions ou de l’Europa, affirme un ancien cadre dirigeant de l’OM. Et en règle générale, les bénéfices du club ne sont pas gras : un OM-PSG, ça permet de faire 1,5 million brut de bénéfices environ, auxquels il faut retrancher les primes de match des joueurs. Ce n’est pas un club qui roule sur l’or ». Le problème, c’est que les Marseillais ne sont pas riches non plus.
Une mystérieuse enveloppe de travaux à 1,5 million d’euros
Enfin, la question des travaux se pose. La ville s’engage, dans la nouvelle convention, à rembourser la moitié des travaux engagés par l’OM pour le stade, dans une limite maximale de 1,5 million d’euros par an. « La part fixe du loyer passe de 6,5 millions à 8 millions, mais le club a l’autorisation de dégrever le loyer de 1,5 million d’euros de travaux dont l’utilité publique n’est pas prouvée, s’agace Mathilde Chaboche. Et puis le stade a été rénové il y a moins de dix ans, et il serait déjà dégradé ? Il faut exiger d’Arema de prendre en charge ces travaux au nom de la garantie décennale, pas à la ville ! ».
En séance, Benoît Payan a écarté la critique d’un revers de main. « Je peux refuser tous les travaux s’ils me paraissent superfétatoires ! ». Joël Canicave, lui, assure après coup que les travaux envisagés ne sont ni de confort, ni de réparation, qui relève bien de la responsabilité d’Arema selon lui, « mais plutôt des travaux de mise aux normes de sécurité internationales, lorsqu’elles évoluent. Ce sont des travaux qui nous permettent de rester dans la compétition internationale ».
Les relations entre l’OM, le Vélodrome et Marseille continuent donc de soulever bien des interrogations. En attendant de se pencher sur la nouvelle convention, la Chambre régionale des Comptes a de nouveau inspecté les comptes entre le club et la municipalité cet automne.
L’enquête s’est terminée il y a quelques semaines, le rapport provisoire devrait être envoyé aux parties prenantes d’ici trois mois, leur laissant le temps d’y répondre avant publication définitive aux alentours de l’été.
Or, le maire, sibyllin, a lancé une étrange phrase qui sonne comme une menace en direction des élus de droite, dont les multiples questions ont visiblement agacé Benoît Payan : « La Chambre se pose des questions, vous savez : avant, il semble qu’on payait 1 million par an pour les travaux sans le moindre contrôle. Pour l’OM, c’était All-in pendant des années ». Reste à savoir si le discours offensif de Payan ne se retournera pas contre lui.
Challenges