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La ville de Marseille peut-elle vendre le Vélodrome?
Le Figaro
LA VÉRIFICATION - Benoît Payan, le maire de Marseille, a annoncé mercredi lors d’un échange avec les internautes qu’il souhaitait vendre le Vélodrome, le stade de l’Olympique de Marseille.
LA QUESTION. Trop cher. C’est la conclusion de Benoît Payan, le maire PS de Marseille, sur l’emblématique stade Vélodrome de la cité phocéenne - plus de 67.000 places. Lors d’un échange avec les internautes le 3 février dernier, l’édile s’est positionné: « Je veux vendre [le stade] parce qu’il nous coûte trop d’argent. Je veux le vendre parce que c’est une gabegie financière. » Avant d’en rajouter une couche: « Je le ferai si je trouve un acheteur. Et je me débrouillerai dans les mois, les années qui viennent pour trouver un acheteur. Le stade, c’est ce n’est plus possible. Niet, terminé. Quinze millions d’euros de la poche des Marseillaises et des Marseillais pendant trente ans, terminé. »
L’Olympique de Marseille paie actuellement un loyer d’environ 5,5 millions d’euros par an pour l’exploitation du stade - sans compter la part variable liée à la billetterie, nulle cette saison, en raison de la crise sanitaire liée au Covid-19. Dans son rapport de 2013, la chambre régionale des comptes de PACA estimait que ce loyer devait être réévalué à au moins 8 millions d’euros par an. Jean-Claude Gaudin, maire LR de la ville entre 1995 et 2020, avait toujours refusé de céder le stade. Alors, la ville de Marseille peut-elle vendre le Vélodrome?
VÉRIFIONS. Une commune détient deux types d’actifs : ceux qui relèvent du domaine privé comme les immeubles ou les forêts, et ceux qui relèvent du domaine public, les écoles, collèges ou encore les bâtiments d’intérêt public. Les actifs du domaine public sont dits “inaliénables”. C’est-à-dire qu’il est impossible de les vendre. À l’heure actuelle, le Vélodrome fait toujours partie du domaine public. Pour pouvoir le vendre, la mairie de Marseille va donc devoir le faire changer de statut, et le faire passer dans le domaine privé: « La collectivité territoriale devra, pour céder un bien de son domaine public, le déclasser préalablement, afin de l’incorporer dans son domaine privé », précise L’article L. 3111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques. « C’est une procédure qui se fait lors d’un conseil municipal », précise Me Héloïse Joseph, avocate spécialisée dans les montages infrastructurels publics privés.
Une fois le changement réglé, la ville de Marseille devra rompre son contrat avec Arema - la société qui exploite le stade. Alors même que la ville et l’entreprise ont signé un partenariat public-privé (PPP) en 2014 et qui court jusqu’en… 2045. Ce PPP a notamment permis de financer les travaux de rénovation du Vélodrome.
« Le mécanisme du contrat de PPP est très compliqué, et le mécanisme de sortie du PPP est encore plus compliqué, prévient Me Joseph. Contrairement à ce que disent Benoît Payan et Samia Ghali, on ne peut pas sortir et résilier un contrat, quel qu'il soit, sans motif valable. » Le maire de Marseille et son adjointe - en charge de la stratégie pour les projets structurants - vont devoir prouver soit que la rupture du contrat est « d’intérêt public » soit que la société est « fautive ».
Arema n'est pas en position de faute
« Mais on sait qu’Arema n’est pas en position de faute établie, elle subit plutôt la crise sanitaire et le fait que les événements ne lui permettent pas de tenir les engagements qui étaient prévus et anticipés dans le programme fonctionnel du stade », nous explique Me Joseph.
Ce PPP se base sur l'événementiel en complément du partenariat avec l’Olympique de Marseille et à l’organisation de séminaires, etc. La société Arema perd donc, elle aussi, de l’argent. Pour l’avocate, cette période de crise sanitaire pourrait être « favorable à des négociations pour se délier d’un tel contrat qui n’est pas rentable ».
Pour s’en défaire, il faudrait donc faire appliquer les clauses de résiliation, éventuellement les renégocier, processus qui pourrait s’avérer long et surtout coûteux pour une ville qui présente un bilan comptable estimé « catastrophique ». Ces clauses « peuvent se chiffrer à plusieurs millions voire dizaines de millions d’euros ». Surtout, la négociation de la résiliation avec Arema pourrait prendre « au moins une année » selon Me Joseph. Arema et l’OM ont signé un contrat de sous-délégation de l’exploitation commerciale du stade en décembre 2018, il n’en reste pas moins que la ville de Marseille est toujours liée à Arema.
Une fois le problème du contrat réglé, et le déclassement du Vélodrome voté en conseil municipal, la ville de Marseille doit faire appel aux Domaines pour estimer le montant du bien: « Il faut prendre en compte la valeur d’un bien vendu dans ce quartier-là, mais aussi de l’ensemble des investissements réalisés, et les aménagements. » Et c’est à nouveau au conseil municipal d’accepter - ou pas - les différentes offres qui pourraient être faites en fonction de l’estimation des Domaines: « Aucune décision ne peut être prise sans que le conseil municipal ne se prononce sur l’avenir du stade Vélodrome », martèle Me Joseph.
Et l’OM dans tout ça? La ville de Marseille va devoir apporter des garanties au club si le stade venait à être revendu à un acteur extérieur: « L’OM est aussi en convention avec la ville de Marseille. Il faudra la résilier. Mais surtout, la ville doit garantir à l’OM que ses conditions d'accueil seront, a minima, les mêmes que celles qui étaient prévues dans la convention. » Entendez par là que si le nouveau propriétaire du stade espère tripler le loyer que le club devra payer, la ville de Marseille devra l’en empêcher.
Reste à trouver un acheteur. Samia Ghali a rappelé dimanche au micro d’Europe 1 que si le Vélodrome devait être vendu « il le sera au propriétaire de l’Olympique de Marseille ». Selon Pierre Rondeau, économiste du sport, le club aurait tout intérêt à se positionner: « En devenant pleinement propriétaire du stade, l’OM pourrait optimiser les recettes en l’exploitant intégralement et pas seulement lors des rencontres footballistiques: c’est-à-dire qu’il tirerait aussi des revenus de concerts, ou de séminaires… »
Me Joseph se montre un peu moins enthousiaste: « Il faut être certain que les recettes vont couvrir les charges d’exploitation et de maintenance qui sont énormes sur un tel stade. Il a été calculé que pour un stade comme celui-là, il faudrait a minima 12 événements - hors match de football - pour le rentabiliser, et on sait que c’est compliqué d’en avoir autant. » L’OM présentait un déficit d’environ 100 millions d’euros lors de son dernier passage devant la DNCG en juillet 2020. Difficile d’envisager voir le club se lancer dans un tel investissement. Pour rappel, les travaux de rénovations lancés en 2014, avaient coûté à eux seuls, plus de 500 millions d’euros selon un rapport de la Cour des comptes de 2017.
EN CONCLUSION. En théorie, oui, la ville de Marseille peut vendre le Vélodrome, c’est même la seule qui en a les prérogatives. En pratique, c’est beaucoup plus compliqué que ça. Avant même de trouver un acheteur, la ville va devoir suivre un processus qui peut durer plusieurs mois - au moins trois - voire plusieurs années. Et surtout, devoir débourser jusqu’à plusieurs millions d’euros en clause de résiliation.
Le jeu politique peut aussi s’en mêler, Benoît Payan ne dispose pas d’une large majorité face à la liste de la républicaine Martine Vassal (42 sièges contre 39). Lors de la campagne électorale pour les municipales, cette dernière s’était dite « totalement opposée à [une] vente du stade Vélodrome ».