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LES MÉTHODES MUSCLÉES DE L'OM POUR RÉCUPÉRER LE STADE VÉLODROME
Le club phocéen serait sur le point de récupérer la gestion du stade Vélodrome, jusqu’alors exploité par le consortium Arema. L’épilogue, si cette information est confirmée, d’une bataille musclée entre l’OM et la maison Bouygues. Récit.
La scène se passe dans un petit restaurant sans prétention de Marseille. Bruno Botella, directeur régional de Bouygues Construction pour le Sud-Est, y a été convié quelques jours plus tôt par un coup de téléphone d’Olivier Grimaldi, l’avocat de l’Olympique de Marseille. «Une affaire urgente», a-t-il compris. Mais quand Bruno Botella pénètre dans les lieux, ce n’est pas un repas d’affaires qui l’attend. Le restaurant est vide. Et le langage qu’on y tient, musclé. On lui parle de sa famille, de la gestion du Vélodrome, dont il a la charge. Sans prolonger davantage ce curieux échange, le Bouygues boy s’en va sans prononcer un mot.
Si le club a changé de patron depuis cette drôle de rencontre qui remonte à quelques années, l’ambiance autour du club reste toujours tendue, et les échanges inamicaux dès que l’on parle business. «Il ne m’aime pas», se dédouane l’avocat au sujet de l’homme de Bouygues, sans confirmer la scène, décrite de source sûre. Et d’ajouter avec une étonnante franchise : «A Marseille, on n’obtient rien naturellement, encore moins quand on est à l’OM.» La saison dernière, le club a plutôt brillé sur le terrain, quatrième du Championnat et finaliste de la Ligue Europa. Mais côté finance, ce fut la catastrophe. Le club a affiché un trou de 42 millions d’euros. Une situation que son nouveau propriétaire depuis 2016, le magnat américain de l’immobilier Frank McCourt, et le président du club, Jacques-Henri Eyraud, ne peuvent accepter. Structurellement, les recettes (billetterie, droits télé, sponsoring) ne suffisent pas à équilibrer le budget d’un club aux ambitions européennes.
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Comment gagner plus, alors ? Les dirigeants du club ont la réponse : ils veulent avoir l’exploitation commerciale du Vélodrome (il faut désormais dire Orange Vélodrome, à la suite d’un contrat de «naming» avec l’opérateur). Ce magnifique écrin de 67 000 places, rénové à grands frais entre 2011 et 2014, est pour l’instant géré dans le cadre d’un PPP, un partenariat public-privé entre la ville et Arema. Ce consortium, que préside justement Bruno Botella, réunit Bouygues, la Caisse des dépôts et le fonds Mirova, filiale de Natixis. Mais selon l’OM, Arema ne fait pas le job. Le club estime qu’on peut faire mieux que les 25 millions d’euros de chiffre d’affaires actuels et qu’il y a des synergies à trouver entre les concerts de Paul McCartney et les dribbles de Dimitri Payet.
Ce message, le club ne le fait plus passer dans d’obscures salles de restaurant, mais bruyamment, par la voix de Jacques-Henri Eyraud, alias JHE, qui a multiplié les déclarations de guerre ces derniers mois. Derrière ses lunettes et ses costumes ajustés de start-upper, le patron du club a le verbe volontiers viril. Son angle d’attaque : le peuple de Marseille, «l’OM Nation», a été dépossédé de son joyau. «Nous ne sommes pas là pour assurer la rentabilité d’un fonds de pension», déclarait-il à «La Provence» en mai dernier. Bouygues ? Une entreprise «titulaire d’un contrat de maintenance complètement déséquilibré qui peut se traduire (…) par des prix deux à quatre fois supérieurs à ceux du marché». Rapace, Arema serait aussi, au dire de l’OM, radin, n’effectuant pas les investissements nécessaires pour reconfigurer les loges VIP, améliorer la sono ou la pelouse. Le président de la Fédération française de football, Noël Le Graët, est venu au secours de JHE, se plaignant de la qualité du terrain dans un courrier adressé à la mairie en juin : «Je me permets de solliciter votre intervention pour que la société Arema (….) effectue les investissements nécessaires.» Un coup de pression supplémentaire.
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Il y a quelques semaines, l’OM est passé des paroles aux actes en faisant déposer un pli au siège d’Arema : à l’intérieur, un contrat de 20 pages pour transférer au club la gestion commerciale du stade. A la lecture du document, jugé dans son entourage «foutraque», Bruno Botella a failli tomber de sa chaise. Puis, le 1er juin, il a fait savoir officiellement qu’il mettait fin aux négociations engagées depuis des mois. Mais Jacques-Henri Eyraud n’en démord pas : «Quand on regarde nos concurrents étrangers et même français, soit ils sont propriétaires de leur stade, soit ils en ont la gestion exclusive», déclarait-t-il à Capital courant juin.
Qu’en pense Jean-Claude Gaudin, l’inamovible maire (78 ans) de Marseille ? Il soutient le club, pour autant que les finances de la ville ne soient pas affectées et qu’elle récupère la propriété du stade en 2045. La question du loyer versé par le club à la ville fait pourtant polémique. Arrêtée en octobre 2017, l’actuelle convention prévoit un fixe de 5 millions d’euros, plus une part variable en fonction des recettes. Mais Laurent Lhardit, conseiller d’arrondissement PS, demande au juge administratif d’annuler ce bail jugé excessivement favorable au club. L’affaire pourrait être audiencée à la rentrée.
Pour le reste, en coulisse, la ville joue plutôt le jeu de l’«Ohaime», comme le prouve la nomination du directeur adjoint des services, Jean-Pierre Chanal, à la présidence de l’Association OM, une structure qui gérait jusqu’à l’an dernier le centre de formation. Son arrivée illustre l’étrange mélange des genres qui règne dans ce dossier : c’est Jean-Pierre Chanal qui a négocié le loyer de l’OM, ou encore le contrat de naming avec Orange. Quels intérêts défend-il ? Ceux de Marseille ou ceux du club ? Pour éclaircir ce potentiel conflit d’intérêts, la ville a demandé une note à son avocat. «Pas de souci», a répondu ce juriste, qui n’est autre que… Olivier Grimaldi, l’avocat de l’OM.
S’il réussit à mettre la main sur le Vélodrome – selon La Provence, une annonce officielle devrait intervenir jeudi 12 juillet - le club compte pousser son avantage au-delà. Son ambition : étendre son emprise sur le parc Chanot, un espace de 17 hectares autour du stade où sont installés parc d’exposition et salle de congrès. La ville, à l’occasion du renouvellement de la concession d’exploitation du site, voudrait tout remettre à plat, avec un lieu réinventé et 200 millions d’euros de travaux en perspective. Le contrat de l’actuel délégataire, la Safim, arrive à terme en 2019. Heureuse coïncidence, son président, Loïc Fauchon, est devenu administrateur de l’Association OM. C’est aussi un proche de Jean-Pierre Chanal, qui était son patron à la Société des eaux de Marseille, filiale de Veolia dont il est devenu P-DG. Influente figure de Marseille, Fauchon pourrait servir de cheval de Troie au club. Le 14 juin dernier, il présentait la 94e Foire de Marseille à Chanot, en compagnie de JHE. «Notre idée n’est pas de faire des affaires immobilières, mais de créer des espaces culturels en lien avec l’OM», nous assure Jacques-Henri Eyraud. Frank McCourt, en traversant l’Atlantique pour récupérer un club à la dérive, n’a pas oublié son métier : l’homme de Boston a fait fortune dans la promotion immobilière. Et il a de l’appétit.
Olivier-Jourdan Roulot et Xavier Monnier