« AUBOUTD’UNESAISONéprouvante,
vous parvenez à prendre
du recul et à vous dire, par
exemple, que vous avez réussi
votre grand retour en France ?
– Oui. Jen’oublie pas que ce que nous
voulions le plus, en début de saison,
c’était ce cinquième titre. Les défaites
actuelles importent peu. Cela a été
dur. C’est vraiment difficile de gagner
un titre. Dans une interview, Patrice
Bergues disait l’autre jour qu’il ne se
rendait pas compte à quel point il était
difficile d’être en tête tout le temps,
d’être attendu partout. Il se greffe la
Ligue des champions là-dessus, la
Coupe de France, et tous les trois jours
vous êtes l’équipe à battre.
– Mais sur un plan plus personnel…
– On va être champions de France
avec plus de 80 points, on amontré en
quart de finale de la Ligue des champions,
face au Milan, que nous étions
au niveau des quatre ou cinq meilleures
équipes d’Europe, et nous
sommes allés en quart de finale de la
Coupe de France. J’aime bien la régularité,
la constance. J’ai pris beaucoup
de plaisir à entraîner cette équipe-là,
avec ce staff-là. Il y a tellement de
types dans ce milieu qui font la
gueule… Ici, le groupe a cette qualité
dene pas se prendre au sérieux tout en
étant très professionnel. Les gars sont
capables de garder sans cesse l’esprit
du jeu, c’est pour cela qu’ils célèbrent
leur titre de cette manière, qu’ils
savent s’amuser. Avec la célébration
du titre, j’ai découvert une équipe de
gamins ! Les nouveaux joueurs se
sont vraiment bien coulés dans le
moule. Un gars comme Tiago, par son
esprit et sa technique, est une mine
d’or. Alors, oui, j’ai pris beaucoup de
plaisir. Et j’espère que j’ai apporté certaines
choses, sur le plan tactique ou
sur le plan mental...
« J’ai pris beaucoup
de plaisir à entraîner
cette équipe-là… »
– Mais vous ne parlez pas vraiment
de vos sentiments…
– Mes sentiments… Regardez les
joueurs. Ils ne sont pas blasés, ils sont
heureux de vivre ensemble, ce n’est
pas la nouvelle génération d’autistes
qui ne parlent plus, le casque ou le
portable sur les oreilles. Avec eux, j’ai
passé desmoments privilégiés. Je vais
vous raconter une anecdote. Le jour
du match à Paris (le titre était alors
acquis), dans notre salle de repas, Cris
avait préparé un paperboard pour
m’imiter dans la causerie ! Il reprenait
mes gestes : visiblement, je me frotte
les mains avant de parler ! Tout le
monde riait aux éclats. Il n’y avait
aucunmanque de respect, c’était tout
en finesse. Il reprenait ma théorie des
étapes en dessinant des marches sur
le tableau et il disait, avec son accent :
“Maintenant, Paris. Après, SaintÉtienne.
Ça, c’est derby, il faut
gagner ! Après, Saint-Tropez ! Bon, le
match, ce soir : pas prendre de but,
toujours une chance !” On étaitmorts
de rire. Après, il a parlé de mes principesde
jeu, le pressing, le bloc, le porteur.
C’était vraiment drôle. Et quand
on ironise, c’est qu’on a compris.
– L’été dernier, vous parliez
beaucoup de Liverpool. On
diraitquela référencea disparu.
Lyon vous a aidé à faire votre
deuil de Liverpool ?
– L’été dernier, c’était pour moi la
référence la plus récente. Et je n’avais
pas de deuil à faire. J’ai passé six ans
dans un club qui était complètement
différent quand je suis arrivé et dans
lequel j’ai changé beaucoup de
choses. J’y ai remporté six trophées.
– C’était important de montrer
que vous pouviez à nouveau
réussir ailleurs ?
– Oui, bien sûr. Bien sûr que je pouvais
réussir ailleurs. Même s’il n’était
pas évident d’arriver après quelqu’un
qui venait de gagner trois titres de
champion.
– Au début, il vous a fallu
séduire les joueurs ?
– Séduire, non. Convaincre, oui. Mais
j’avais assez de temps et d’arguments
pour ça. C’est important que les
joueurs ressentent l’honnêteté et le
respect. Je suis heureux d’avoir toujours
dit que l’on gagnerait en équipe,
et qu’on l’ait fait. Je suis très content
de voir, par exemple, que Robert
Duverne rejoigne l’équipe de France
pour la Coupe dumonde. Moi, a priori,
je ne suis pas adepte des préparateurs
physiques, je pense que c’est du ressort
de l’entraîneur, mais cela fonctionne
très bien ici, les joueurs adhèrent
complètement à ce qu’il fait.
– Avec cet effectif-là, il a fallu
gérer les ego ?
– Disons que par moments j’ai senti
que des gars lâchaient un peu. C’est
comme les jongleurs chinois avec
leurs assiettes : pour qu’elles tiennent
en équilibre, il faut redonner un petit
coup pour les faire tourner. Il est évident
qu’on ne gère pas Wiltord
comme Fred, qui vient d’arriver. Et
puis… – c’est un conseil aux jeunes
entraîneurs–quand tu commences, tu
penses au message que tu donnes et à
la manière dont tu vas le donner.Mais
quand tu as plus d’expérience et que
tu as un staff autour de toi, tu es surtout
préoccupé par la manière dont il
est reçu. Il ne s’agit pas de s’occuper
d’états d’âme, juste de faire plus
attention aux autres.
– Cela vous a irrité que l’on dise
parfois que l’équipe était moins
spectaculaire que la saison dernière
?
– Vous avez vu notre attaque (*) ?
Dans une saison, on ne peut pas toujours
être spectaculaire. Et quand on
n’est pas spectaculaire, il faut être
efficace. C’est ce que nous avons su
faire à Troyes (2-1), notamment. Un
entraîneur a sa philosophie, sa vision
et il essaie de les communiquer aux
joueurs. Par exemple, j’aime bien la
maîtrise des rythmes, sachant que
dans un match on est le plus souvent
en situation d’attaque placée. C’est
pour cela que j’ai aimé notre match
contre Saint-Étienne (4-0), notre qualité
de jeu court contre une équipe
repliée dans sa moitié de terrain.
– Avant la dernière journée
faceauMans, samedi, àGerland,
vous restez dans la célébration
ou vous êtes déjà tourné vers la
saison prochaine ?
– Je reste complètement dans la célébration
du titre ! Je trouve même que
ce titre n’a pas été suffisamment célébré
partout… Vous savez, on a toujours
joué pour gagner, sauf contre
Bordeaux (0-0), chez nous. On avait
des blessés, on avait été perturbés par
le report de notre match à Monaco et
c’estun des rares matches oùon a joué
le résultat, la sûreté plutôt que
l’audace. Mais c’est parce qu’en maintenant
Bordeaux à neuf points, on
avait 50 % du titre à ce moment-là.
Quand on joue pour ne pas perdre, on
fait peur à son équipe, on transmet un
sentiment d’insécurité : il faut jouer
pour gagner. Onl’a fait, et alors, oui, je
suis content que tout se matérialise,
samedi, avec la remise du trophée, la
fête et la présentation au balcon de
l’hôtel de ville.
– Après votre opération, des
doutes avaient été évoqués
autour de votre énergie à gérer
une saison pareille…
– Oui. Tout le monde m’a dit de ne
pas venir. Mais je suis fier de ce que
l’on a fait. Fier, par exemple, d’avoir
remporté sept de nos huit premiers
matches de Ligue des champions,
avec un nul à Bernabeu (1-1).
– Mais les dirigeants lyonnais
vous avaient posé la question de
votre état de santé avant de
vous engager ?
– Oui. Et je le répète, je suis fier de ce
que nous avons réussi avec le staff et
avec le président qui cherche toujours
à vous pousser à donner lemeilleur de
vous-même pour réussir.
« Le recrutement ?
Peut-être qu’on
me demandera
mon avis… »
– C’est difficile, de travailler
avec Jean-Michel Aulas ?
– Oui, parfois. C’est complètement
différent de ce que j’ai eu l’habitude
de vivre. C’est compliqué. En fait, par
moments, c’est très, très facile et par
moments, c’est moins facile. C’est
vraiment uneméthode detravail différente.
Mais la méthode marche. Ce
que je n’aime pas (il hésite)… Ce que
je n’aime pas, ce sont ses réactions
dans la presse. Quand il déclare qu’il
regrette mes choix à Lille, je ressens
une forme d’abandon, alors que nous
sommes champions de France avec
plus de 80 points. C’est comme un
chef d’entreprise qui ne soutient pas
ses cadres. C’est comme avec les
joueurs. Je préfère qu’il gueule dans le
vestiaire mais qu’il les défende publiquement.
Ils gagnent beaucoup
d’argent, mais on ne peut pas leur
reprocher de jouer pour ça…
– Le recrutement, qui n’est pas
exclusivement le domaine de
l’entraîneur à Lyon, loin delà, ne
peut-il pas être un autre point
d’achoppement ?
– (Évasif.) Que l’on garde nos bons
joueurs, d’abord. Après, il faudra faire
les changements par touches, avec
deux ou trois joueurs…
– Mais vous n’allez pas être
décideur comme à Liverpool. À
Lyon, ça ne fonctionne pas
comme ça ?
– Il faut laisser ça à ceux qui ont
l’habitude de le faire. ÀLyon, c’est surtout
Bernard (Lacombe) et le président
qui s’occupent de ça. Mais bon, peutêtre
qu’on me demandera mon avis…
– Vous avez soumis une liste ?
– Non, j’ai seulement évoqué les secteurs
qu’il faudra renforcer. J’ai données
des idées. On verra bien.
– Comment voyez-vous la
suite ?
– Je ne sais pas…Je n’ai pas trop perdu
cette année, et je trouve certaines
critiques trop dures. Je me dis que le
jour où j’aurai une période difficile…
(Il montre les joueurs, pendant
l’entraînement.) La suite, c’est eux qui
l’écriront. La suite, c’est aller chercher
un sixième titre.Mais qu’on ne vienne
pas me dire qu’il faut gagner la Ligue
des champions. On ne peut pas planifier
quelque chose comme ça. »
VINCENT DULUC