par burzet » 25 Mar 2006, 19:18
L'OM, objet politique épineux, par Michel Samson
LE MONDE | 25.03.06 | 12h18 • Mis à jour le 25.03.06 | 12h19
e procès des dirigeants de l'Olympique de Marseille (OM), en cours depuis quinze jours devant le tribunal correctionnel de Marseille, a quelque chose de fascinant. Avant le réquisitoire, qui doit être prononcé lundi 27 mars, on a déjà appris combien sont grandes l'habilité et la rouerie de ceux qui ont dirigé ce club aussi explosif qu'incontrôlable. Et en tout cas rentable, car, s'il est une chose établie par deux semaines d'audience, c'est que ceux qui s'en occupaient, s'ils n'ont pas toujours brillé en matière de football, savaient parfaitement s'occuper de leurs portefeuilles. Ce procès apparaît comme celui de la gabegie - on augmente un joueur de plusieurs millions de francs au cours d'un repas trop arrosé - et de l'incompétence, avec un président qui ignore tout des règles élémentaires de la comptabilité.
Mais un club aussi mondialisé que l'OM, dont les affaires se traitent sur un marché planétaire et souvent défiscalisé, dépend aussi de supporteurs, puissants et fidèles. Ces passionnés sont d'autant plus gênants qu'ils sont, eux, sédentaires. Dans la galaxie OM, ce sont les seuls acteurs qui restent toujours sur place, quand les autres - dirigeants, joueurs, agents - viennent et vont, reviennent et repartent une fois leurs affaires faites. Ancrés dans leur terroir et leur passion, ces 45 000 abonnés, noyau dur d'un "supporteurisme" beaucoup plus étendu, représentent une force économique incontestable. Pour la seule année 2004, par exemple, leurs clubs organisés ont gagné 420 000 euros sur les 3,2 millions d'euros qu'ils manipulent. Cela leur donne une puissance économique incontestable, mais très relative quand on la compare aux sommes agitées dans le procès de l'OM : là, on paye une commission de 800 000 euros sur un seul coup de fil ; ici, on achète 3 millions de dollars un Argentin de 17 ans qui jouera trente et une minutes en tout et pour tout.
Mais les supporteurs sont aussi une force politique majeure, et c'est là que gît leur vraie puissance. Bernard Tapie, quand il dirigeait le club, dans les années 1990, avait su s'en servir pour s'imposer sur la scène politique locale et nationale. Ces passionnés à forte mémoire savent d'ailleurs rappeler l'épisode aux acteurs politiques qui les négligent : ils se comportent ainsi en groupes de pression avisés. Mais s'ils peuvent être considérés comme une force politique, c'est aussi et surtout parce qu'ils tiennent des discours qui dépassent largement la scène footballistique.
Ils parlent tactique et ballon, mais ils parlent aussi de la ville, qu'ils estiment "rebelle, métisse, pauvre". Les valeurs défendues par tous les groupes de supporteurs, dont aucun ne se réfère directement ou indirectement à l'extrême droite, se déclinent en effet sur trois plans. Politiquement, Marseille serait une ville rétive à l'autorité de l'Etat. Socialement, ce serait une ville populaire, ce qui est censé l'opposer aux villes de clubs aristocratiques, comme Monaco, ou bourgeois, comme Bordeaux, et bien sûr à Paris. Culturellement, ce serait une ville des métissages, ce qui explique la rareté du discours raciste sur les gradins du Vélodrome. Cet ensemble de valeurs s'inscrit sur un fond de victimisme, cette idée napolitaine qui fait qu'on se croit toujours victime de l'arrogance culturelle, politique et économique de l'Etat et de sa capitale.
Ce discours, relayé par la presse locale et de nombreux clercs, est aussi porté par les acteurs politiques, qui se rêvent au coeur du consensus identitaire, aussi imaginaire soit-il. Les élus et responsables politiques de la cité, maire ou président du conseil général par exemple, se montrent donc au stade en majesté, où ils convient les personnalités de passage. Et où ils relaient le discours des supporteurs abonnés aux virages. Mais les acteurs politiques se mêlent aussi des affaires sportives hors de l'enceinte du stade. On a même vu, en avril 2001, le conseil municipal être interrompu par le maire UMP, Jean-Claude Gaudin, afin de pouvoir commenter en direct l'arrivée du nouveau directeur sportif, le dangereux revenant, Bernard Tapie.
Cette soumission à l'ordre footballistique, exacerbée à Marseille mais largement répandue ailleurs, a une raison majeure : les hommes politiques marseillais, qu'ils l'aiment ou qu'ils en ignorent les règles élémentaires, ont peur du football, comme l'avait découvert le président Christophe Bouchet, renvoyé après une fronde des supporteurs relayée par des journalistes locaux. Car l'OM - qu'il faut comprendre comme un ensemble flou incluant la société à objet sportif proprement dite, les équipes pro et amateurs, les supporteurs organisés et une partie de la presse sportive - fait plus pour la renommée de la ville que toutes les opérations de communication officielles.
Les dirigeants politiques tentent donc régulièrement d'utiliser cette puissance d'image pour accroître l'attrait de la ville. Sur le terrain économique, quand ils essaient d'attirer des investisseurs ou la Coupe de l'America, et sur le terrain politique. Une bonne image de leur cité, que l'OM sait rendre joyeuse et consensuelle, est censée rejaillir sur la leur.
Malheureusement, l'OM peut faire aussi beaucoup, et très vite, pour la mauvaise réputation de Marseille. Un accident portant gravement atteinte à son image peut donc, en quelques minutes, détruire toute une politique patiemment organisée et mise en scène. Tout l'art des politiques consiste donc à essayer de profiter de sa puissance et de l'aura du club, tout en évitant les plâtres quand l'image du club se dégrade, par exemple lors d'un procès accablant. C'est évidemment impossible...
L'OM, "ce bien affectif commun, à la renommée extraordinaire", pour reprendre une expression de l'ancien président, Christophe Bouchet, est donc un "objet épineux", principalement pour deux raisons. Les supporteurs sont nombreux, idéologiquement puissants, et... évidemment électeurs. Et l'image de la ville peut être brusquement abîmée par des mésaventures liées à la cupidité ou à l'incapacité des dirigeants olympiens à stabiliser leur club, qu'ils soient des "self made men", issus du cru ou d'ailleurs. L'Olympique de Marseille semble ainsi vouée à rester, encore longtemps, un objet politique épineux.
«Il va y avoir une grosse ambiance, ca c'est un fait, mais on ne peut pas la comparer avec celle d'Old Trafford ou du Vélodrome@josé.mourinho