Sports
Jean-Jacques Eydelie, condamné dans l'affaire OM-VA et en procès avec Tapie après des révélations sur le dopage à l'OM, défend toujours son ex-patron.
«Tapie m'a tenu au chaud, il assure même ma survie»
par Blandine HENNION et Etienne LABRUNIE
QUOTIDIEN : lundi 20 février 2006
Après treize ans de silence, Jean-Jacques Eydelie, ancien joueur de l'OM condamné pour corruption active dans l'affaire OM-VA, publie ses confessions (1). Un mois avant leur parution, l'Equipe magazine a créé l'événement en consacrant un article sulfureux à l'ancien joueur, aujourd'hui au RMI. Mis en cause, Bernard Tapie porte plainte contre Eydelie. Tout cela fait couler beaucoup d'encre, même si personne n'avait encore lu l'ouvrage.
Votre livre a été annoncé comme un brûlot, un réquisitoire contre Bernard Tapie. C'est loin d'être le cas....
Il faut bien différencier mon livre de l'article paru dans l'Equipe magazine en janvier. Il ne s'agissait ni de mon livre, ni de mon histoire. On a utilisé mes déclarations pour créer un nouveau scandale et enfoncer Tapie. Tout a été fait dans l'histoire OM-VA pour détruire Tapie. C'est un fait. La justice, les instances du foot, les politiques y sont parvenus. L'unique but de l'affaire était de descendre Tapie dont l'ambition politique dérangeait. Parce que la corruption dans le foot, elle est présente, bien au-delà d'une histoire à 250 000 francs.
Bernard Tapie serait donc la victime ?
Il est victime de lui-même. On a utilisé tous les moyens pour le descendre en 1993. La cible, dès le départ, c'était lui. On voulait sa peau, et on l'a eue. Noël Le Graët et Jean Fournet-Fayard m'avaient même proposé un marché hallucinant : tu nous donnes Tapie et on te permet de rejouer. J'ai refusé, le procédé était scandaleux. A l'inverse, Jean-Pierre Bernès a accepté de lâcher Tapie, je pense que c'est sans doute pour ça qu'il est aujourd'hui agent de joueurs.
Pourquoi avoir tout supporté pour Tapie ?
Par faiblesse. J'ai fait ce qu'on m'a demandé de faire. Le bon soldat qui obéit au patron. J'en suis assez fier. Pour moi, le plus grave, c'est d'accepter de l'argent. Ce que j'avais refusé en 1992, quand je jouais à Nantes.
Cette fidélité à la parole donnée est étrange...
J'ai été naïf, bête. J'ai baissé pavillon et je n'ai pas su dire non à l'argent. Je m'en veux. Dans ces moments-là, tu n'es pas un homme, tu es une merde.
Pourquoi tout déballer maintenant ?
Pour me reconstruire, j'avais besoin de passer à confesse. Je viens d'avoir 40 ans, j'ai cinq enfants magnifiques, je veux pouvoir discuter de tout avec eux. Mon fils joue au foot, ses copains lui posent des questions auxquelles je veux pouvoir répondre. J'ai voulu briser l'omerta. J'ai été détruit, tant physiquement que moralement, et je voyais ma vie se terminer très vite. Mais je ne suis pas seul en jeu, j'ai une famille.
Dans votre livre, vous expliquez que Bernard Tapie a tout fait pour prolonger votre silence...
Il m'a juste tenu au chaud et il me donne un minimum pour assurer ma survie. Il n'avait pas confiance en moi et m'a éloigné, de peur que je craque. Je l'ai rarement rencontré mais j'ai fait ce qu'il m'a demandé de faire, car j'ai toujours cru en lui. Au fond, je pense qu'on se ressemble beaucoup. Je vais vous étonner, mais je souhaite vraiment qu'il se présente à la prochaine présidentielle. Je pense qu'il peut apporter beaucoup au débat politique.
On parle bien de l'homme avec qui vous êtes en procès...
Il se défend. Pour lui tout est bon. Les micros se tendent et il m'insulte, me traite de «petite frappe», etc. C'est sa méthode. Il impressionne encore beaucoup de monde. Moi un peu moins, car je le connais.
Depuis douze ans, votre vie ressemble à une fuite hallucinante. De quoi aviez-vous peur ?
Les écoutes, les cambriolages, les micros, les menaces, la surveillance : tout ça, je l'ai vécu. C'est ce qui m'a poussé à déménager constamment. Et puis il y avait la peur d'affronter les autres, de ce qu'ils pourraient dire. J'étais en cavale...
«En cavale» ? Mais vous avez été jugé et condamné pour l'affaire OM-VA...
Je savais que j'étais toujours dans le mensonge, et je vivais dans la peur des représailles.
Quel type de représailles ?
J'avais peur de prendre une balle. Le foot draine beaucoup d'argent, et là où il y a de l'argent, le milieu n'est jamais très loin. Il est même très présent. Il n'y a qu'à voir tous ces agents qui grenouillent autour du foot et qui viennent de je ne sais où. Soit on occulte le problème, et à ce moment-là on accepte que la mafia gère directement l'OM, soit on s'y attaque véritablement. Quand je parle d'avoir eu peur de prendre une balle, ce n'est pas du flan. Des joueurs de l'OM ont eu des pistolets dans la bouche...
Qui ? Pourquoi ?
Des joueurs qui voulaient renégocier des contrats. Il s'est passé des choses beaucoup plus graves que mon histoire. On parle de mafia, là, plus du tout de foot.
Le tableau que vous dressez du monde du football est apocalyptique, entre dopage, corruption, milieu...
Je n'invente rien. Les arrangements et combines que je rapporte dans le livre ont toujours existé. Tout le monde sait que de nombreux matchs ont été achetés avant et après OM-VA. Tous les exemples cités sont connus. On se sert de moi, le «corrupteur», pour tout déballer et vendre du papier. Sur la tentative de corruption à Nantes en 1990 quand l'OM a proposé une prime aux Nantais en cas de victoire contre Bordeaux , l'entraîneur, Blazevic, a été condamné.
Vous prêtez aussi le flanc à la rumeur en suggérant d'autres faits de corruption...
Je cite le fameux match que le PSG a laissé filer contre Bordeaux pour que l'OM perde le titre, en 1999. Tout le monde sait que des joueurs parisiens avaient reçu 50 000 et 100 000 francs. Personne ne le dit, pourquoi ? Je cite aussi la rumeur d'achat de joueurs de Milan par l'OM (lors de la finale de la Coupe d'Europe des clubs champions, en 1993, ndlr), mais c'est pour rappeler que Jean-Pierre Papin s'est exprimé là-dessus. Pourquoi ses propos n'ont-ils pas été entendus ? Beaucoup de choses ont été dites par d'autres que moi et personne n'a trouvé utile de pousser plus loin les investigations.
En revanche, vous n'épargnez pas Didier Deschamps, qui porte lui aussi plainte contre votre livre...
Je trouve justement qu'il a été épargné par le milieu, qui le dénigre pourtant. Il est responsable de pas mal de choses me concernant. Pourquoi n'a-t-il pas accepté de dialoguer avec moi ? Je ne vois pas où est son but, à part protéger coûte que coûte Bernard Tapie. Deschamps, c'est une icône dans le monde du foot : champion du monde et champion d'Europe. Lui pourrait faire changer les choses, s'il parlait... Si les anciens ne font pas le ménage, qui le fera ? La bande à Platini aussi est aigrie. Ils en savent beaucoup sur les magouilles, le dopage... A quoi sert Michel Platini aujourd'hui, à part à dire qu'il faut des arbitres derrière les buts ? Je voudrais qu'il dénonce publiquement les dérives du foot.