par The Thing » 17 Jan 2006, 12:15
Article des Cahiers du football sur le sujet.
ENCENS UNIQUE
Jamel Attal - lundi 16 janvier 2006
France Football ajoute une belle pièce à sa collection de publi-reportages à la gloire des grands hommes du foot français. Cette fois, c'est l'homme de l'année qui en a bénéficié : Jean-Michel Aulas, proche de la canonisation.
La réussite économique donne tous les droits. Celui, par exemple, de ne plus vivre qu'au milieu des flatteurs. Celui, aussi, d'avoir raison en toute chose, votre sagesse étant considérée comme universelle. Couplée à la réussite sportive, elle donne à Jean-Michel Aulas un droit d'accès illimité à la presse sportive pour y étaler ses idées avec l'assurance de ne pas y être contrarié.
Le sens du poil
C'est ainsi que l'homme fort du Rhône a été gratifié d'un remarquable publi-reportage dans le numéro de France Football du 10 janvier, le sourire crispé du nouveau gourou du football hexagonal s'inscrivant en clair-obscur au-dessus d'un titre explicite : "Le patron". Le fond est noir, d'un noir de cirage. Le "dossier" est en réalité une hagiographie menée par le sujet lui-même, puisque sur ses huit pages, seuls l'éditorial et l'introduction ont été écrits par les rédacteurs du journal. Le reste n'est constitué que de la bonne parole du président, à laquelle s'ajoute une colonne "Tous fans de lui" (sic) pour recueillir des avis dithyrambiques sur l'homme. Était-il donc impossible de recueillir une seule opinion défavorable, ou bien faut-il comprendre que le parti pris éditorial l'interdisait formellement?
Nous n'aurons bientôt plus besoin de parodier les journalistes sportifs si ceux-ci s'en chargent eux-mêmes avec tant de zèle. Voilà un journal à l'avant-garde de la modernité, qui a résolument abandonné l'idée désuète que son rôle consisterait à apporter un minimum de contradiction ou à s'interdire de présenter une réalité univoque. Non seulement le personnage lui-même fait l'objet d'une admiration sans borne, mais ses prises de position ne suscitent pas la moindre contradiction.
Mieux encore, figurez-vous que – selon l'éditorialiste Denis Chaumier qui l'affirme dans un texte d'une minceur confondante – Jean-Michel Aulas n'est rien moins que "la voie de la France"! "Personne n'est obligé d'épouser tous ses combats", nous concède cependant le directeur adjoint de la rédaction, histoire peut-être de se souvenir qu'il n'écrit pas dans un journal nord-coréen. JMA peut toutefois dormir tranquille au milieu de la mer huileuse du consensus : France Foot lui fait allégeance dans un exercice d'aplatissement à montrer dans toutes les écoles de journalisme (1).
Dans le texte
La servilité du journal semble presque inconsciente (on peut le comprendre, c'est ainsi qu'on la vit le mieux), au point que le dossier s'ouvre sur un titre qui donne au président lyonnais du "Monsieur Aulas". On imagine bien les intervieweurs à la fin de l'entretien, en tenues de majordome, demander à "Monsieur" s'il désire autre chose après toute cette soupe servie, ou s'il estime que ses bottes brillent assez.
La brosse à reluire n'a pas chômé, en effet, avec des questions d'une grande liberté de ton : "N'avez-vous pas un peu moins d'ennemis, du moins déclarés, depuis que vous êtes utile à tout le monde?" "Pouvez-vous aider la collectivité?" "Vous voyez-vous comme un super-syndicaliste du foot?" "N'est-ce pas fatiguant d'être toujours celui qui monte au front?" "La persévérance chez vous n'est-elle pas finalement le secret de votre réussite?" Dans cette tendance à considérer l'œuvre de JMA comme d'utilité publique (c'est l'angle manifeste de l'interview), nos reporters poussent la candeur jusqu'à lui demander s'il pourrait ambitionner de présider la Ligue ou la Fédération. Outre ce contresens sur sa vocation et ses motivations, soulignons qu'il n'a en outre aucun besoin de présider la Ligue quand celle-ci applique déjà aussi largement son programme.
Heureusement, un humour involontaire traverse les propos aulassiens, avec quelques perles comme "La pêche, c'est une grande école d'humilité" (venant juste après "je n'y vais pas assez souvent", ce que l'on pouvait déduire). On rigole toutefois un peu moins quand le porte-voix du G14 glisse au détour d'une réponse : " (…) les clubs, qui sont propriétaires des joueurs". Le mot est lâché et le fond de la pensée révélée : l'employeur est "propriétaire" de son employé. De droit divin?