FRANCK RIBÉRY attend avec impatience le déplacement de Marseille à Lyon mercredi, et pense à l’équipe de France.
C’est un nouveau Franck Ribéry qui s’est livré en fin de semaine dans la salle de réunions de la Commanderie. Toujours respectueux de ses origines et des supporters de l’OM, il a pris conscience de ses possibilités et évoque ce qu’il pourrait apporter à l’équipe de France, à l’horizon de la Coupe du monde. Il annonce aussi vouloir rester à Marseille la saison prochaine, mais attend un renforcement de l’effectif de l’OM.
« FRANCK RIBÉRY, cela faisait bien longtemps que vous n’aviez pas marqué deux buts ?
– Effectivement, je n’avais plus marqué depuis le match contre Nantes. C’est vrai que ce premier but de Toifilou nous a libérés et a permis de libérer aussi des espaces. Après, le match était joué, surtout quand les Havrais se sont livrés à fond. Il était important pour nous de nous qualifier.
– Peut-on considérer la Coupe de France comme un objectif du club ?
– Bien sûr. On aimerait bien avoir encore un bon tirage et jouer à Marseille pour aller le plus loin possible. Parce que la Coupe, ici, c’est important. Cette fois, nous avons marqué quatre buts, nous nous sommes fait plaisir, nous avons fait plaisir à nos supporters mais Lyon, mercredi, c’est un tout autre match.
– Quels sont vos rapports avec Marseille ?
– Je suis très content d’être ici, c’est un grand club, une ville où je me sens comme chez moi. Tous les gens m’ont adopté comme si j’étais un Marseillais et, pour moi, c’est très important d’avoir un bon rapport avec les supporters. Ici, les gens adorent le foot, ce sont des passionnés, ils sont connaisseurs. Depuis pas mal d’années, ils attendent quelque chose d’autre parce que cela fait un moment que le club n’a pas gagné de titre. Quand je rencontre des supporters, je sens que, dans leur cœur, c’est l’OM à fond. Et, quand ils viennent au stade, nous, les joueurs, devons donner le maximum sur le terrain, leur offrir du plaisir, parce que ce n’est pas toujours facile pour eux. Beaucoup de supporters font l’effort de prendre un abonnement alors qu’ils ne gagnent pas bien leur vie. Et c’est d’autant plus important pour nous d’essayer de rattraper toutes ces années où le club n’a pas gagné un titre.
– Peu de joueurs évoquent cet investissement financier des supporters…
– Je sais que certains d’entre eux travaillent juste pour aller voir jouer l’OM, c’est pour cela que, lorsque je descends dans la rue, je prends du temps pour discuter, signer des autographes ou faire des photos. À la Commanderie, ils sont là, à la porte, à attendre les joueurs de 9 heures du matin jusqu’à parfois 13 heures. Quel que soit le temps, ils sont toujours là. Pour moi, c’est très important de passer du temps avec eux. Cette sensibilité, elle vient de ce que j’ai vécu. Chez moi, je ne suis pas le Franck Ribéry qui joue à l’OM, je suis toujours le même. Ce n’est pas parce que, maintenant, on parle beaucoup de moi que je vais changer. Je sais que la vie, ça va vite dans un sens ou dans un autre, donc il faut rester simple et les pieds sur terre.
– Parce que vous auriez aussi pu être un supporter qui attend les joueurs à la porte du centre d’entraînement ?
– Avant d’être pro, moi aussi, j’étais supporter, et il y avait des joueurs qui me faisaient rêver. J’ai eu l’occasion de rencontrer Jean-Pierre Papin, qui est de Boulogne-sur-Mer, comme moi, et cela m’a fait très plaisir. Et j’aimais bien aussi Chris Waddle, parce qu’il était techniquement à l’aise et qu’il offrait un sacré spectacle aux gens.
– Donc, des Marseillais…
– Oui, j’aimais bien Marseille. Mais c’est loin de Boulogne-sur-Mer, et je n’avais pas les moyens d’y aller. De temps en temps, j’allais voir jouer Lens parce que ce n’était pas loin de chez moi, et puis, les gens du Nord préfèrent Lens à Lille. C’est à cause du stade Bollaert, là-bas aussi le public est chaleureux, ils adorent le foot.
– À quel âge avez-vous senti que vous aviez quelque chose de plus que les autres ?
– À onze ans, quand je jouais dans l’équipe des Aiglons (un club du quartier du Chemin-Vert, à Boulogne-sur-Mer), et, après, je suis rentré dans le centre de formation de Lille. J’étais à l’aise techniquement, je dribblais facilement trois ou quatre joueurs. Dans le dribble, il y a le plaisir que l’on donne au public, mais il faut aussi que ce soit efficace.
– Quand vous retournez à Boulogne-sur-Mer, vous mesurez le chemin parcouru ?
– J’ai grandi dans une cité et, quand je repense à mon parcours, parfois, je n’y crois pas, je me dis que je rêve. J’ai des potes qui avaient aussi plein de qualités mais qui n’ont pas eu la chance avec eux. Moi, j’en ai eu parce que je suis tombé sur les bonnes personnes, cela m’a permis de réussir. Aussi parce que je n’ai rien lâché.
– Qui ont été les bonnes personnes ?
– Il y a eu, à Boulogne-sur-Mer, Jacky Collinet, mon entraîneur en National, qui m’aimait beaucoup. C’est lui qui m’a lancé. Ensuite, je suis parti à Alès, c’était difficile. Il y avait beaucoup de problèmes financiers, mais il y avait de bons joueurs et un bon entraîneur, René Marsiglia. Avec lui et Jacky Collinet, j’ai toujours gardé le contact. Après, j’ai eu la chance de faire la connaissance de Philippe Goursat, le manager de Brest, par l’intermédiaire de Jacky Collinet. Il me voulait, et je suis allé à Brest. C’est la saison où j’ai vraiment éclaté.
– Vous marchez beaucoup à l’affectif ?
– J’ai eu quelques déceptions dans les relations. Je me suis trompé mais, pour apprendre, il faut en passer par là, et j’ai fini par mettre les bonnes personnes de mon côté.
– Dans vos clubs précédents, en France, vous étiez un peu chouchouté. Maintenant, vous êtes à l’OM, dans une autre dimension…
– Si je suis aujourd’hui à Marseille, c’est que je l’ai mérité.
– Avez-vous toujours besoin de conseils ?
– Toujours, ceux de mes partenaires, de Jean Fernandez, qui m’aime beaucoup, il veut que je donne encore plus.
– Qu’est-ce qui vous a donné cette force de toujours avancer ?
– J’ai quitté mes parents assez jeune et, avec ma femme, on a grandi seuls, on a appris la vie et on essaye de faire notre petit chemin. Je suis entré à treize ans au centre de formation de Lille. J’étais bien entouré par M. Dusé et sa femme, ils étaient comme nos parents, cela m’a aidé à ne pas m’égarer.
– Vous avez grandi dans une cité. Comment avez-vous vécu les émeutes de novembre dernier ?
– Ce n’est pas facile de vivre dans les cités, il y a des Arabes et des Blacks, et, pour eux, trouver du travail, il faut être clair, c’est plus difficile. Quand on s’appelle Mohammed plutôt que Jean-Luc… J’en connais beaucoup qui ont fait des démarches pour trouver du travail, comme ma belle-sœur, qui est d’origine algérienne. Elle a fait des études mais elle ne trouve pas de boulot à l’ANPE. Je comprends cette colère parce que la vie est difficile. Lorsque je suis revenu d’Alès, où il n’y avait plus d’argent, j’ai travaillé avec mon père. Il est terrassier et, franchement, ce qu’il fait je ne pourrais pas. J’avais dix-neuf ans, le soir, je rentrais à 7 heures, j’étais au lit. C’est pourquoi je prends en charge ma famille et celle de ma femme.
– Vous êtes-vous découvert de nouveaux amis, ou des anciens se sont-ils rappelé qu’ils vous connaissaient ?
– Oui, cela arrive, mais je fais la part des choses.
– Vous avez le sang chaud, on l’a encore vu mercredi dernier contre Lens (1-1), lors de votre altercation avec Itandje.
– Je suis quelqu’un de tranquille, gentil. L’histoire avec Itandje, il n’avait pas le droit de faire ce qu’il a fait, garder le ballon, mais en même temps, s’il nous l’avait rendu, on aurait pu en profiter pour marquer et, de son point de vue, il avait raison aussi. Mais, quand il y a une histoire entre deux joueurs, les autres arrivent et ça dégénère. Parce qu’après, avec Itandje, on en a discuté tranquillement.
– À Saint-Étienne, vous aviez eu un problème avec Feindouno…
– Oui, mais là, on n’était restés que tous les deux ! On avait discuté tranquillement en rentrant aux vestiaires à la mi-temps. Parfois, dans le jeu, il y a de l’ambiance, c’est chaud, et on n’est plus vraiment nous-mêmes.
– Vous êtes quand même impulsif…
– Oui, je suis quelqu’un qui s’énerve vite. J’essaye de m’améliorer, mais c’est toujours pareil ! Maintenant, tout le monde le sait, les joueurs, les arbitres, mais c’est peut-être ce qui fait aussi ma force, je me bats sur le terrain, je cours partout.
– Pour vous résumer, peut-on dire que vous êtes turbulent, mais avec un bon fond ?
– Oui, je suis turbulent, j’aime bien chambrer, je suis là pour mettre de l’ambiance dans l’équipe, mais il n’y a pas que moi ici !
– Sur le terrain, pensez-vous à une action ou à un but de rêve ?
– Un retourné, comme Jean-Pierre Papin savait les faire, une “papinade” !
– Est-ce que, d’après vous, l’OM a, cette saison, le potentiel pour aller en Ligue des champions ?
– On a des joueurs de qualité mais pas l’effectif pour jouer sur tous les tableaux. Marseille doit tous les ans jouer la Ligue des champions, et cela nécessite un effectif plus important.
– Si vous constatez, à la fin de la saison, que le recrutement ne correspond pas à vos attentes, cela peut-il vous inciter à partir ?
– Je sais que Jean Fernandez et les dirigeants sont conscients de la nécessité de se renforcer. Ils vont tout doucement reconstruire le club. Je discute beaucoup avec Jean Fernandez, on se connaît bien maintenant, et je sais qu’ils veulent que l’OM progresse, il faut leur laisser le temps de travailler.
– Quelle est votre réaction quand on déclare d’abord, à votre propos, que vous êtes intransférable, puis transférable en cas d’offre faramineuse ?
– C’est bien, ça prouve que je suis important, le club compte sur moi et veut que je reste. Moi aussi.
– Vous allez donc faire deux saisons de suite dans le même club, ce qui ne vous est jamais arrivé.
– Oui, parce que j’ai trouvé le club qu’il me fallait. Il me fallait un peu de stabilité. Ici, il y a tout pour que je puisse m’épanouir.
– Et après, vous pensez à la trajectoire de Didier Drogba ?
– Oui, j’y pense. Quand j’étais à Alès, j’ai fait un essai à Guingamp, où il se trouvait alors. Je me suis entraîné avec lui, mais cela ne s’est pas fait. Il a connu aussi des moments difficiles au Mans et à Guingamp, où parfois il ne jouait pas beaucoup. Et après il a éclaté, cela peut aller vite dans le foot. Là, il a choisi un grand club, il marque des buts mais il est resté le même, toujours simple.
– L’année 2006 va être une année importante pour vous. Vous allez jouer une grande compétition en sélection, la phase finale du Championnat d’Europe Espoirs ou celle de la Coupe du monde…
– C’est bien que les gens parlent de moi pour l’équipe de France A. Tous les joueurs en rêvent. Je vais tout faire pour aller à la Coupe de monde. Et, si je dois partir avec les Espoirs, c’est important aussi de remporter cette compétition.
– Comment vivez-vous le fait que de plus en plus de gens, dans le milieu du foot, estiment que vous avez votre place à la Coupe du monde ?
– Il y en a effectivement de plus en plus, cela fait plaisir. J’ai vu que d’anciens joueurs, comme Laurent Blanc, disent que j’ai les qualités pour y aller.
– Vous vous y voyez ?
– Si Raymond Domenech m’appelle, j’y vais direct ! Je me vois bien en équipe de France avec de grands joueurs comme Zidane, Thierry Henry. Je me vois dedans. Si on me prend, je sais pourquoi, pour ma vitesse, parce que je peux jouer des deux côtés, à gauche et à droite.
– Vous paraissez assez confiant…
– Oui ! Je vais tout faire pour réussir, mais ce ne serait pas une déception d’aller avec les Espoirs.
– Mercredi, c’est Lyon à Gerland. Quelle est votre vision de l’OL ?
– C’est un groupe qui se connaît bien. Lyon a fait de grandes choses en Championnat et en Ligue des champions. La stabilité, c’est ce qui fait sa force.
– Que pouvez-vous espérer à Lyon avec une équipe remaniée du fait des départs à la CAN ?
– De toute façon, il faut y aller ! On va avoir la fierté de se dire qu’on est Marseille. On respecte toutes les équipes, mais on va à Lyon pour faire quelque chose. J’aime bien ces matches, il va y avoir une bonne ambiance.
– Cela peut être aussi un match important pour vous…
– Tous les matches sont importants, mais c’est vrai que l’on fait plus attention à ce genre de rencontre.
– Par exemple, en vue de l’équipe de France…
– Voilà, donc il faut mettre le feu ! »
L'Equipe