Dans l'Equipe d'aujourd'hui...Je vous la livre in extenso. C'est long, mais intéressant, alors un effort siouplait
« VINGTIEME, C’EST ANECDOTIQUE »
JEAN FERNANDEZ, coach de l’OM, relativise le début de saison catastrophique de son équipe, tenue en échec, samedi, par Ajaccio (1-1).
Après cinq journées, Marseille est dernier de la Ligue 1. Cela ne lui était jamais arrivé dans son histoire. Samedi, contre Ajaccio, l’OM a fait match nul à domicile (1-1) et s’est plaint avec férocité de l’arbitrage. Hier après-midi, Jean Fernandez nous a reçus pour faire le point sur la situation de son équipe. Il n’avait toujours pas digéré le penalty accordé aux Corses, la veille. Mais durant plus d’une heure, il afficha son enthousiasme, sa volonté et affirma son optimisme. Même s’il ne cesse d’évoquer un héritage difficile.
« ÊTES-VOUS TOUJOURS en colère contre l’arbitrage du match face à Ajaccio, samedi ?
– Il y a beaucoup de frustration, oui. On ne méritait pas ça. Ce match était capital pour nous. On avait besoin de ces trois points pour rebondir et on a le sentiment d’avoir fait ce qu’il fallait. Quatre jours après La Corogne (5-1), ce n’était pas facile. Moi, je considère que l’on a gagné ce match. C’est l’arbitre qui s’est occupé du reste.
– Lui avez-vous demandé des explications ?
– Oui. Mais il ne me les a pas données. Celui qui me dit qu’il y a penalty après avoir visionné les images, il est malhonnête. Certaines actions laissent la part au doute. Pas là, impossible ! C’est Lucas qui se jette. Il y a faute pour l’OM et carton jaune pour simulation. Au lieu de cela, on nous retire deux points à la 88e minute sur une grossière erreur. Vu notre situation, on ne va pas l’avaler de sitôt.
– Si l’OM avait été plus costaud, il aurait pris le large auparavant…
– On est en reconstruction. L’OM vient de loin et a besoin de temps. Avec ces matches tous les trois jours, on n’en a pas encore eu. L’Intertoto nous a beaucoup usés. On ne peut pas demander aux joueurs d’être au top tous les trois jours. On l’avait été contre La Corogne.
– Contre les Espagnols, l’arbitrage vous avait été bien plus favorable…
– Oui. Mais même si le but de Meïté n’est pas validé, je pense qu’on se
qualifie. Je dis simplement que l’énergie dépensée mardi nous a peut-être empêchés de mettre ce deuxième but samedi.
– Et voilà Marseille dernier du Championnat.
– Si on n’avait pas joué cet Intertoto, on pourrait être très inquiets. Là, c’est différent. On ne pouvait pas imaginer que l’on tomberait sur la Lazio puis La Corogne. La Lazio, c’est de la Coupe d’Europe et La Corogne, c’est de la Ligue des champions. La Corogne est quand même neuvième à l’indice UEFA ! Alors voilà,on se retrouve avec deux points en cinq matches, et ce n’est pas une situation facile à gérer. Mais il y a des raisons objectives.
– La situation est-elle grave, à vos yeux ?
– Non. Elle l’aurait été si on ne s’était pas qualifiés en UEFA. Là, on a perdu des points à cause de l’Intertoto,mais cela a servi à quelque chose. Je revendique cette qualification. L’équipe précédente n’a pas su le faire, avec beaucoup plus de moyens que nous.
– N’est-il pas illusoire de croire que cette situation en Championnat peut ne pas créer de remous au sein du club ?
– Il ne faudrait pas qu’il y en ait. Pas après cinq journées.
– Pouvez-vous cerner, malgré tout, les faiblesses actuelles de l’OM ?
– L’équipe est obligée d’avoir des faiblesses. Sur les douze derniers matches de la saison passée, elle en avait gagné un. Le parcours d’un club qui descend ! Aujourd’hui, on est dans la continuité de ce qui se faisait au printemps. Alors il faut changer les choses ,mais il faut du temps. Est-ce que j’y arriverai ? On peut se poser la question. Mais on ne peut pas demander à un entraîneur de tout changer en deux mois.
– Que faut-il modifier ?
– J’ai un principe : pour gagner la bataille sur le terrain, il faut d’abord gagner celle qui existe en dehors. Il faut bien faire sentir aux joueurs ce qu’est vraiment le haut niveau, la mentalité professionnelle, la mentalité d’entraînement. Je ne dis pas que les joueurs de l’Olympique de Marseille ne sont pas professionnels. Mais ils doivent l’être encore davantage. Pas une fois dans la semaine,non, tous les jours ! Qu’ils se remettent en question, qu’ils viennent bien avant les séances, qu’ils fassent bien les soins, qu’ils pensent football,qu’ils pensent à l’adversaire, à l’organisation dans laquelle on va jouer... Le haut niveau, ce n’est pas :“Je viens à l’entraînement, et quand c’est fini, basta !” (Il tape des deux mains.)
– Est-ce le cas de certains ?
– Il y en a, oui, qui pensent un peu ainsi.
– Et cela vous énerve ?
– Bien sûr que cela m’énerve. Mais attention : cela existe dans tous les clubs. Vous savez, pour moi, cela n’a jamais été facile. On ne m’a jamais donné une équipe où je me suis dis :“Ben, voilà garçon, avec ça, tu vas gagner tous les matches.” Alors j’ai toujours eu cette philosophie : régler d’abord les problèmes en dehors du terrain. Aujourd’hui, à l’OM, je n’en suis pas à régler les problèmes qu’il y a sur le terrain. C’est un état d’esprit à trouver : que tout le monde pense de la même façon, que tout le monde ait envie que Marseille gagne, que cela ne fasse plaisir à personne le jour où l’on n’arrive pas à le faire...
– Est-ce le cas ?
– Je ne dis pas que le joueur s’enfiche. Mais le joueur doit se poser plus de questions. Si le gars fait un super entraînement le matin mais revient l’après-midi après avoir fait un repas gargantuesque, cela ne sert à rien. La plupart ont, quand même,la bonne mentalité.
– Comment faites-vous pour leur faire passer ce message ?
– J’explique. Individuellement, collectivement. J’ai toujours fonctionné ainsi, et cela a toujours marché. Il faut que mon équipe ait une âme. Si mon équipe a une âme, à moi de la conquérir. Tout sera alors bien plus facile. Aujourd’hui, je ne ressens pas cette âme. (Il s’emporte). Mais il faut du temps, il faut du temps ! Les coups de baguette magique n’existent pas. Je crois que mes joueurs sont réceptifs à ce que je dis. L’entraîneur n’est rien sans ses joueurs. Je le sais, et ils savent que je le sais. Moi, mon bonheur, c’est voir mes joueurs heureux. Demain, on me dit que je vais recevoir une prime incroyable, ça ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, c’est le terrain, gagner des matches, gagner des titres, voir mes joueurs heureux.
– Vous demandez du temps. Mais ici, encore plus qu’ailleurs, c’est ce qui existe le moins…
– Vous avez raison. Mais c’est justement le problème de ce club. On doit changer les choses. J’ai des milliers d’exemples à donner. En voilà un : Didier Deschamps à Monaco. La première année, il finit quinzième sur dix-huit. La deuxième année, il finit deuxième et gagne la Coupe de la Ligue. La troisième, il va en finale de la Ligue des champions. Si j’étais arrivé en cours de saison dernière, je vous dis une chose : on ne serait jamais derniers du Championnat ! Les problèmes, je les aurais vus et j’aurais tout fait pour les changer à la trêve. Là, c’est plus dur. Alors oui : tout est une question de stabilité et ce n’est pas la qualité première de ce club. Quand je suis arrivé, on m’a dit : “Il n’y a pas d’argent.” On a poursuivi en enchaînant ainsi : “Le chantier est compliqué. On ne met pas d’objectif, on reconstruit une équipe et il faudra du temps.”
– On, c’est Robert Louis-Dreyfus ?
– Oui, mais aussi Pape Diouf et José Anigo. Certains entraîneurs sont passés ici, ont eu beaucoup, beaucoup d’argent et n’ont rien gagné. Moi, on me dit : “Il n’y a pas d’argent.” Beaucoup auraient reculé. Mais comme l’OM m’a toujours fait rêver, je n’ai pas cherché à savoir quoi que ce soit. On me demande à l’OM, je viens, point ! Je suis marqué à vie par ce club. Je me répète, mais l’an dernier, tu fais un recrutement d’internationaux et tu termines par une victoire en douze matches ! Même avec Sochaux, même avec Metz, cela ne m’est jamais arrivé ! Alors, vous imaginez le chantier que c’est ? Seulement voilà : moi, l’OM, j’y vais tous les jours, même pour rien.
– Même bénévolement ?
– (Enthousiaste.) Mais bien sûr ! J’ai le privilège d’exercer ma passion. Quand on gagne bien sa vie, c’est facile de dire que ce n’est pas l’argent qui fait avancer. Mais moi, c’est le foot. Quand je quitte l’entraînement, je ne vais pas au resto, je ne vais pas au ciné, je pense foot et je pense OM. Pour vivre ce que j’ai vécu mardi, contre La Corogne, je ne veux pas être payé. Non, je paye, je paye ! Ce sont des émotions que tu ne peux ressentir nulle part ailleurs.
– N’avez-vous pas, malgré tout, des regrets ? Vous n’avez pas choisi tous vos joueurs…
– J’ai suggéré les profils et j’estime que, par rapport aux moyens, Pape Diouf et José Anigo ont bien travaillé. Mais on part de tellement loin qu’il faut encore bosser.
– Vous parlez souvent de problèmes défensifs. Mais c’est dans ce secteur que vous avez le moins recruté…
– On peut éventuellement me le reprocher. Je m’étais dit qu’il y avait mieux à faire, collectivement, dans ce domaine. La priorité, c’était un attaquant. On a pris Niang. Après, les opportunités ne se sont pas présentées. Je n’ai pas pu, en plus, travailler avec mes gars. Je ne dis pas que mes défenseurs sont de mauvais défenseurs. Ce sont des bons. Mais pour avoir de l’ambition, on a besoin d’avoir un grand défenseur.
– Un garçon comme Frédéric Déhu est très décevant…
– Tout le monde est tributaire du collectif. Les joueurs doivent être jugés sur le long terme, comme les entraîneurs. En tout cas, le chantier est compliqué, je le redis.
– Que peut ambitionner l’OM ?
– Tout peut aller très vite. Rien ne dit qu’on ne jouera pas l’Europe en fin de saison. Encore une fois, beaucoup d’entraîneurs sont passés par là, ont eu beaucoup de moyens et n’ont rien gagné. Moi, j’ai déjà (tout le monde se met à sourire)…Ça vous fait rire, hein ?
– C’est votre sourire qui nous fait rire.
– (Il rit franchement et enchaîne.)
Donc, on a gagné l’Intertoto. Et c’était pas la Coupe à Toto ! On a joué la Lazio, La Corogne… Pour continuer à répondre à votre question, on part de tellement loin que je ne crois pas que l’on puisse gagner le Championnat.
– Que vaut cette équipe ?
– Elle peut finir cinquième.
– Au mieux ?
– Elle peut finir cinquième. Après, tout est possible. Et s’il y a de la stabilité, alors je vous donne rendez-vous la saison suivante.
– Votre limogeage a déjà été évoqué, ici et là. Cela a dû vous marquer ?
– Non. Il a été dit : “Si Fernandez ne bat pas La Corogne ” – comme si, d’ailleurs, c’était moi qui gagnais les matches –“et s’il ne bat pas Ajaccio, il est viré”. Comment peut-on me juger après quatre matches de Championnat ? Je ne suis pas meilleur que les autres. Mais je ne suis pas plus con. J’hérite de ce qui a été fait avant moi. Et celui qui viendra après moi héritera de ce que j’aurai fait. Seulement moi, dans tous les clubs où je suis passé, ceux qui sont arrivés derrière moi (il s’emballe et se met presque à crier), et ça vous pouvez le vérifier, ont tous eu un travail de qualité !
– Vous vous retranchez derrière le travail de Philippe Troussier, là…
– Non, non. C’est lié à une situation globale du club.
– Le nom de Jean Tigana a même été évoqué pour vous succéder. Il est au stade quasiment à chaque match. Cela ne vous agace-t-il pas ?
– Non. Seule la réussite de l’OM m’intéresse. Je suis prêt à travailler 24 heures sur 24, à ne pas toucher un centime... Si je dois partir demain pour que l’OM réussisse, je le ferai. Ce sera toujours mon club. Mais aujourd’hui, le problème n’est pas Jean Fernandez. C’est plus complexe. Si dans six mois, un an, cela ne fonctionne pas, alors croyez-moi : je partirai ! Certains sont venus ici en signant quatre ou cinq ans. Combien j’ai signé, moi, à votre avis ?
– Le club a annoncé deux ans, ce qui est le minimum requis par les règlements.
– Eh bien, en fait, ce n’est qu’un an ! Un seul ! (Il s’emballe à nouveau). Moi, je ne veux pas, et en aucun cas, commencer à parler argent si cela ne marche pas ! Entraîner l’Olympique de Marseille, même si c’est difficile, est un privilège. Si on n’est pas content de moi au bout d’un an, je ne vais pas commencer à dire : “Oh, les copains, moi, j’ai trois ans de contrat !” Non, je partirai. Et en disant merci. Mais qu’on me laisse un petit peu de temps.
– Quand on connaît le fonctionnement du football, et encore plus celui de l’OM, n’a-t-on pas peur, malgré tout, d’un limogeage en cas d’échecs répétés en septembre ?
– Mais il faut arrêter avec cette instabilité! Je me connais. Sans aucune prétention, si one donne un peu de temps, je ne vois pas pourquoi je ne gagnerais pas quelque chose. Et pas l’Intertoto, hein… (Il sourit.)
– Pensez-vous souffrir d’un déficit d’image ? On parle de vous comme quelqu’un de gentil. Mais on vous reproche, parfois, votre manque de charisme…
– Certains me voient peut-être ainsi. Je sors d’un milieu très simple. Je suis un réfugié . En 1962, j’ai quitté mon pays, l’Algérie. On m’a donné des valeurs, on m’a toujours dit d’être courtois, gentil, discret et je ne vais pas changer maintenant. Au niveau de lacommunication, j’ai peut-être un effort à faire. Si on considère que je manque de charisme, bon, peut-être. Mais je n’ai jamais eu de problème dans un vestiaire. J’ai beaucoup d’ambition, et beaucoup d’ambition pour l’OM.
Être vingtième du Championnat, c’est anecdotique. Qu’on me laisse du temps. Je vais donner un esprit à cette équipe, je vais trouver un équilibre et après, on fera des résultats raisonnables. Qui peut dire qu’on ne gagnera pas une Coupe ? (Il lève les yeux vers le ciel.)
– Dieu ?…
– Ah, moi, je vais tous les jours à Notre-Dame-de-la-Garde.
– Vous plaisantez ?
– J’y vais souvent. Je mets des cierges, je fais des prières. (Il rit.) Franchement, je suis croyant, oui.
– Vous aviez été très marqué par votre limogeage, en 1992. Avez-vous à l’esprit un tout petit sentiment de revanche ?
– Non. Je ne suis pas rancunier. Je vais être en colère deux, trois jours. Mais c’est tout. J’aime le football, j’aime les gens du football, je vis avec eux. C’est tout ce qui m’intéresse.
– Entre l’OM d’il y a quinze ans et celui d’aujourd’hui, le club a t il progressé ou régressé ?
– Il a progressé. Au niveau des structures, cela n’a plus rien à voir.
– Vous avez des structures, mais plus de joueurs.
– À l’époque de Bernard Tapie, l’OM était l’OL d’aujourd’hui. On n’avait que des internationaux. Quand il y avait des matches de l’équipe de France, je prenais un avion pour y aller et le soir, je ramenais sept, huit, voire neuf joueurs à Marseille !
– Il y a quelques semaines, Arsène Wenger, que vous avez connu à Cannes, nous a dit : “Jeannot, il a le coeur bleu et blanc.” D’où vous vient cette passion pour l’OM ?
– Déjà, c’est ici que j’ai vraiment débuté en tant que joueur professionnel. Ça m’a marqué. J’ai vécu ici pendant cinq ans et ce club m’a pris les tripes. Je suis un passionné dans une ville de passionnés. Même si j’ai commencé à entraîner à Cannes, c’est encore ici que j’ai connu le très haut niveau, en tant qu’adjoint puis comme entraîneur principal. Ce sont les deux plus belles années de ma carrière. (Il rit.) Il faut se rappeler qu’à l’époque, tu gagnais tout. Perdre un match, tu ne savais pas
ce que c’était !
– La situation de l’OM doit quand même vous rendre malheureux.
– Oui, je culpabilise, forcément, et je souffre. Mais tout en étant heureux d’avoir ramené l’Europe à Marseille. Je ne vais pas baisser les bras. Il y aura des périodes difficiles. Mais j’ai confiance. »
HÉLÈNE FOXONET
et SÉBASTIEN TARRAGO