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Le coup de force de Mélenchon qui pousse la gauche au bord de la dépression
COULISSES. Au bord de la rupture, le Nouveau Front populaire se déchire à ciel ouvert sur le choix d'un Premier ministre. À huis clos, tout a vacillé ce week-end.
Ils ne s'attendaient pas à le voir débarquer en personne. Ce samedi, en toute fin de soirée, les dirigeants du Nouveau Front populaire se retrouvent de façon inopinée pour tenter de trouver un compromis sur « le » sujet qui grippe tout : le choix d'un Premier ministre. Soudain, surprise, Manuel Bompard arrive escorté de Jean-Luc Mélenchon, jusqu'alors en retrait des discussions.
Le patron des Insoumis, de sources concordantes, a alors tenté une de ces manoeuvres d'intimidation dont il est passé maître. « Il est venu lui-même ! Vers 23 heures et pendant plus d'une heure, il a hurlé sur Olivier Faure, qui n'a pas bronché », rapporte un proche du patron du PS. Motif de sa fureur : le refus des socialistes, réunis quelques heures plus tôt en conseil national, de donner leur feu vert à la candidature d'Huguette Bello, présidente de la région Réunion et proche du leader de LFI dont le nom avait été soufflé par le PCF pour sortir de l'impasse. Autre coup de théâtre du soir, les écolos, dont les partenaires peinent décidément à comprendre le jeu, se rallient de même source à la piste Bello, après l'avoir mollement soutenue. Lâchant le PS en rase campagne.
Trois nouveaux noms proposés par Olivier Faure
Prenant les Insoumis à leur propre jeu, Olivier Faure met alors sur la table trois nouveaux noms. Accusé de bloquer le jeu pour pousser sa propre candidature pour Matignon, le premier secrétaire propose des candidates au profil très politique, toutes susceptibles de faire consensus de par leur expérience : la maire de Lille et ancienne ministre Martine Aubry, la maire de Nantes Johanna Rolland et, enfin, l'ancienne ministre de l'Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem.
Toutes trois aussitôt rejetées par les Insoumis. Avec cette réponse très sèche s'agissant de cette dernière, compagne à la ville de Boris Vallaud, chef des députés PS et ex-conseiller de François Hollande : « On a déjà le secrétaire général adjoint de l'Élysée, ça va bien comme ça ! » Stupeur autour de la table, où figuraient également les leaders du PCF et des écologistes, Fabien Roussel et Marine Tondelier.
D'où l'idée d'avancer sur des candidatures issues de la société civile, pour amadouer les Insoumis, ou mettre à jour ce dont le PS les suspecte de plus en plus fortement : « Ils ne veulent pas gouverner », soupirent, dépités, des stratèges socialistes, dont certains se demandent s'il ne va pas falloir rompre in fine les négociations. Ce que LFI a fait unilatéralement ce lundi en suspendant les tractations jusqu'à jeudi au moins, afin de tester l'union de la gauche sur sa capacité à faire bloc pour arracher des postes stratégiques à l'Assemblée nationale. Au sein du PS, Boris Vallaud a fait acte de candidature pour le « perchoir », qui serait également convoité par la cheffe des députés écolos, Cyrielle Chatelain. Mais peu croient au NFP que la gauche raflera la mise, suspectant un accord tacite entre la droite et la macronie pour lui barrer la route.
Tubiana, c'est non pour LFI
Ce lundi, d'un commun accord, le PS, le PCF et les écolos ont opéré une nouvelle tentative en suggérant le nom de la coprésidente de la convention citoyenne sur le climat et ambassadrice de la COP21 de 2015, l'économiste Laurence Tubiana. Même refus immédiat de LFI, qui se déchaîne sur les réseaux sociaux pour dénoncer une candidature supposément « macroniste » au motif que Tubiana a été approchée par le président pour entrer au gouvernement, ce qu'elle a pourtant décliné, et l'accusant d'avoir paraphé il y a peu une tribune appelant à un gouvernement d'union nationale avec la macronie. Une piste « pas sérieuse », a tancé Manuel Bompard, accusant en creux ses partenaires de lancer une perche à Renaissance. « Cette proposition conduirait à faire rentrer par la fenêtre les macronistes qui ont été chassés lors des législatives », cinglent encore les Insoumis.
Depuis lors, c'est la foire d'empoigne. Sophia Chikirou crée la sidération en traitant sur X (ex-Twitter) les amis de François Hollande de « punaises de lit » dont il conviendrait de se « débarrasser » - en infraction manifeste de l'accord du NFP qui proscrit toute brutalisation du débat public -, l'ex-LFI François Ruffin joue les Casques bleus en appelant au cessez-le-feu face à des négociations qui virent à la farce.
Le hollandisme c'est comme les punaises de lit : tu as employé les grands moyens pour t'en débarrasser, tu y as cru quelques temps et tu as repris une vie saine (à gauche) mais en quelques semaines, ça gratte à nouveau et ça sort de partout...
En petit comité, au sein du PS, on est bien décidé à ce stade à ne rien lâcher et à tenter jusqu'au bout de trouver une solution pour rassembler le NFP, LFI inclus. Ce lundi, d'autres personnalités issues de la société civile étaient citées, sans que l'on sache s'il s'agissait de pistes véritablement envisagées : Cécile Duflot, ancienne ministre devenue directrice générale de l'ONG Oxfam France, ou les économistes Esther Duflo et Julia Cagé.
« Les Insoumis font leur cinéma. Mais sans nous, ils ne sont rien », gronde une source proche du PS, qui résume parfaitement la quadrature du cercle dans laquelle le Nouveau Front populaire est enfermé : « Le PS ne peut pas accepter une candidature LFI et LFI une candidature PS, car ça acterait un leadership. » L'union fait la force, dit l'adage. Ou pas.
Par Nathalie Schuck
Sebdo Le Point