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Ce que mijote Karim Bouamrane, le maire de Saint-Ouen en piste pour Matignon
L’élu socialiste, qui se distingue à gauche par son parcours, sa ligne politique et sa méthode, sait que son profil colle au portrait-robot dressé par le chef de l’État. Cela suffira-t-il ?
C'était en juin 2014. Une éternité, presque une autre époque. C'était bien avant que Karim Bouamrane ne fasse la une du New York Times et que le quotidien allemand Die Welt l'affuble du surnom d'« Obama de la Seine ». Bien avant, surtout, qu'il acquière une soudaine notoriété en France et que son nom soit même cité, ces temps-ci, pour Matignon. Cette année-là, il y a du beau monde à Saint-Ouen-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), où est organisée la traditionnelle Fête de la Rose. Jean-Christophe Cambadélis, qui vient d'être élu Premier secrétaire du PS, est à la recherche de nouveaux talents. Parmi la foule d'élus et de militants, il repère Karim Bouamrane. Une amitié se crée.
« Lorsque je l'ai rencontré, il portait déjà un discours singulier et incarnait une gauche de terrain, laïque, sérieuse et décomplexée sur les questions régaliennes », retrace « Camba », qui aidera cet élu municipal prometteur à se faire un réseau et à se placer dans les instances nationales du parti à la rose, dont il sera nommé porte-parole en 2016. Il lui doit au moins cela. Le reste, il est allé le chercher seul. Rien ne lui a été donné.
Qui pouvait croire que Karim Bouamrane, issu d'une famille modeste d'origine marocaine et ayant grandi dans un logement insalubre d'une cité HLM de Saint-Ouen, devienne maire en 2020 de cette ville de plus de 50 000 habitants ? « Je m'appelle Karim Bouamrane, fils de Sadia et Allal Bouamrane, et je suis le nouveau maire de Saint-Ouen », déclare-t-il laconiquement, en juillet, lors du premier conseil municipal après son élection. Il n'a pas besoin d'en dire davantage. Et ne le veut pas non plus.
J'ai toujours refusé de tomber dans les clichés misérabilistesKarim Bouamrane
Une certaine pudeur et un refus d'être essentialisé l'y incitent. « J'ai toujours refusé de tomber dans les clichés misérabilistes, explique-t-il au Point. J'ai eu la chance d'avoir une enfance heureuse grâce à des parents et une famille aimante. » Lui qui se dit « très attaché à son ciment républicain » préfère que l'on parle de sa politique plutôt que de sa personne ; de ce qu'il fait plutôt que de ce qu'il est.
Sa ligne politique, justement, le distingue très nettement de La France insoumise. Il croit à l'émancipation par le travail, respecte nos institutions et travaille au quotidien avec la police, qu'il n'accuse pas de « tuer », pour assurer la sécurité des Audoniens. « Il considère que personne n'est assigné à résidence, que l'injustice n'est pas une fatalité et que le développement économique n'est pas une insulte. Réussir sa vie en sortant des quartiers [comme Karim Bouamrane l'a fait, en partant s'installer quelques années aux États-Unis pour y travailler dans le domaine de l'informatique, avant de revenir en France, NDLR], ce n'est pas un gros mot. Pour LFI, un homme comme lui ne devrait pas exister. Il remet totalement en cause leur récit victimaire », résume Driss Aït Youssef, l'un de ses amis d'enfance. N'allez pas lui dire, en revanche, qu'il est libéral... « Je considère que le libéralisme, c'est le bonheur privatisé et le socialisme, le bonheur partagé », répond l'intéressé.
La méthode Bouamrane : « Faire des compromis sans jamais se compromettre »
Ses modèles, qui l'ont déterminé à s'engager en politique, sont Tommie Smith, Gisèle Halimi, Oum Kalthoum, Socrates, Simone de Beauvoir et Marx - un clin d'oeil à ses vingt années d'engagement au PCF. Il s'en inspire pour faire de sa ville une « start-up nation du 93 » - une expression qu'Emmanuel Macron avait employée en 2021. Elle accueillera en septembre le siège français de Tesla, de Nexity et, en 2028, le siège de la DGSI... À cela s'ajoutent notamment le projet de CHU, l'installation d'université Paris Cité et la rénovation du stade Bauer, où les habitants de Saint-Ouen vibrent pour le mythique club local, le Red Star Football Club - il arrive d'ailleurs à Karim Bouamrane d'aller y voir des matchs avec François Hollande, qu'il connaît bien.
Conscient que les classes moyennes et populaires sont les premières à subir l'insécurité, le maire a mis le paquet sur le sujet. « Il y avait quatre policiers municipaux en 2020 ; nous en avons aujourd'hui 28. Nous sommes passés de 180 à plus de 400 caméras de vidéo protection et nous assumons de dire qu'elles sont efficaces », détaille son adjoint à la sécurité, Jean-François Clerc.
L'élu de 51 ans se distingue donc par son parcours, par sa ligne politique mais aussi par sa méthode. « Karim discute avec tout le monde et, surtout, il écoute beaucoup, il a une capacité de travail phénoménale et il ne lâche jamais rien. Il sait faire des compromis sans jamais se compromettre », glisse le sénateur socialiste Adel Ziane, qui a mené beaucoup de campagnes - « et en a perdu beaucoup », sourit-il - avec Karim Bouamrane.
C'est en échangeant régulièrement avec des maires, partout en France, qu'il parvient, en 2023, à mettre en place un congé menstruel pour l'ensemble des agentes municipales de sa ville. Une première pour une collectivité en France. Au coeur de la préparation des Jeux olympiques et paralympiques, il a également travaillé avec tous les acteurs locaux et des élus brésiliens, dont le maire de Rio de Janeiro ; sa ville a accueilli les athlètes brésiliens.
Karim Bouamrane se dit sans doute qu'il peut relever le défi de Matignon mais, dans ce contexte difficile, il posera ses conditionsDriss Aït Youssef
Tous ces éléments et ces commentaires laudateurs font-ils de lui le « mouton à cinq pattes » que recherche Emmanuel Macron ? Est-il la solution à l'insoluble équation pour le poste de Premier ministre ? Revenons au portrait-robot dressé par le chef de l'État : il cherche, selon ce qu'il a fait savoir cet été, une femme ou un homme qui soit consensuel, capable de parler à la gauche, à la droite et au bloc central tout en offrant un « parfum de cohabitation ».
Il est respecté à droite et entretient de bonnes relations avec David Lisnard, maire de Cannes et président de l'Association des maires de France. Avec Valérie Pécresse aussi, dont le siège du conseil régional n'est qu'à cinq minutes à pied de la mairie de Saint-Ouen. « Ils s'entendent très bien et la région met les moyens pour accompagner sa politique, confirme l'entourage de Pécresse. On soutient les maires comme Karim Bouamrane ou Mathieu Hanotin [maire PS de Saint-Denis, NDLR], qui sont fermes sur les questions de sécurité. »
L'Élysée plutôt que Matignon ?
Aurait-il néanmoins le soutien - ou au moins la bienveillance - d'un Laurent Wauquiez, président du groupe Droite républicaine à l'Assemblée nationale, ou d'un Bruno Retailleau ? « Il n'a pas d'échanges avec eux. Il pourrait très bien se faire censurer. Ses déclarations dans La Voix du Nord ont surpris », rapporte un cadre LR. « Je suis socialiste, j'ai soutenu le Nouveau Front populaire (NFP) et donc je soutiens Lucie Castets », déclarait-il le 22 août au quotidien régional. Il semblait ainsi s'exclure du jeu et prenait le risque de braquer la droite, qui a annoncé qu'elle censurerait un gouvernement Castets si celui-ci comportait des ministres LFI.
Que le président de la République ait fait savoir qu'il excluait de nommer la candidate du NFP, arguant qu'elle serait vraisemblablement censurée dans la foulée - change toutefois la donne. Emmanuel Macron, qui devrait profiter des consultations à l'Élysée pour balayer définitivement l'hypothèse Castets - l'entourage de Karim Bouamrane ne pense pas que le coup tactique de Mélenchon, qui s'est dit ouvert à un soutien sans participation de LFI, puisse changer la donne - peut être tenté de chercher un autre Premier ministre, au centre gauche.
© Élodie Grégoire pour Le PointLe nom de Bernard Cazeneuve est évoqué mais il n'aurait pas le soutien de la direction du PS et risquerait d'être censuré. Il n'est pas sûr, néanmoins, que Bouamrane ait davantage sa faveur... Il n'entretient pas spécialement de bonnes relations avec Olivier Faure, qui l'a mollement soutenu dans sa conquête de la mairie de Saint-Ouen - et ce dernier a déjà annoncé à plusieurs reprises qu'il n'accepterait pas d'autre nom que celui de Lucie Castets.
« L'hypothèse Matignon reste crédible, veut croire Driss Aït Youssef, son ami d'enfance. Karim a le profil pour prendre des responsabilités nationales et il a toujours su travailler en bonne intelligence avec tout le monde. Il se dit sans doute qu'il peut relever le défi mais, dans ce contexte difficile, il posera ses conditions. » Une figure du PS, opposée en interne à Faure, lui conseille par exemple de faire un deal avec Macron sur la proportionnelle, estimant que cela « inverserait le rapport de force entre LFI et le PS ».
« Je ne suis pas un phénomène »
Pour l'heure, l'intéressé fait mine de prendre beaucoup de recul sur ces tractations et de s'en tenir éloigné. Que des personnalités comme Jean-Louis Borloo ou Gaspard Gantzer, qui dit n'avoir « jamais rencontré de personnalité aussi charismatique », le voient même à l'Élysée plutôt qu'à Matignon l'amuse. Cette soudaine « hype », assure-t-il, ne le bouscule pas.
Il refuse d'ailleurs de l'appeler ainsi. « Je ne suis pas un phénomène. Je suis un homme politique, riche de son expérience locale et nationale, qui peut être transposée dans un projet collectif global », assure-t-il, dévoilant, en creux, ses ambitions. Elles ne se limitent peut-être pas à l'hôtel de la rue de Varenne. Ce qu'il a patiemment construit, en trente ans d'engagement politique, peut lui permettre de viser plus haut, veut-on croire dans son entourage. Karim Bouamrane dit des Jeux qu'ils sont un « accélérateur de particules ». Ils seront peut-être, aussi, un accélérateur de sa carrière politique...
Le Point