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Les tensions Taiwan-Chine dans le miroir de la guerre en Ukraine
un conflit à l'autre?
Les tensions Taiwan-Chine dans le miroir de la guerre en Ukraine
Si Pékin dit comprendre les «préoccupations légitimes de la Russie sur les questions de sécurité», Taipei condamne l’intervention russe. Chinois et Taiwanais rejettent toute comparaison avec la situation ukrainienne.
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Alors que les troupes russes avançaient vers la capitale ukrainienne, Xi Jinping s’est entretenu vendredi au téléphone avec Vladimir Poutine. Le président chinois n’a pas condamné l’invasion russe, mais il s’est contenté de pointer «les récents changements spectaculaires de la situation dans l’est de l’Ukraine [qui] ont suscité une vive inquiétude au sein de la communauté internationale». C’est le premier échange entre les deux dirigeants depuis leur rencontre au début du mois, à l’occasion de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Pékin. Une rencontre qui avait découlé d’un communiqué commun et d’un partenariat «sans limite» entre Pékin et Moscou.
Plus tôt, le régime communiste affirmait comprendre les «préoccupations légitimes de la Russie sur les questions de sécurité». La veille, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, tenait les mêmes propos à son homologue russe, Sergueï Lavrov, lors d’une conversation téléphonique. Fidèle à sa ligne de conduite, Pékin espère toujours une résolution du problème par «le dialogue et la consultation» et continue de décrédibiliser les sanctions occidentales infligées à Moscou, arguant de leur «inefficacité».
Contrairement à Pékin, Taiwan a rapidement rejoint le concert des nations critiquant l’intervention russe. «Nous condamnons fermement l’invasion russe de l’Ukraine, qui viole la souveraineté ukrainienne et érode la paix et la stabilité dans la région et partout dans le monde. […] En tant que membre de la communauté internationale, Taiwan est prêt à participer à tout effort qui profitera à la résolution pacifique de ce différend. Taiwan rejoint également les sanctions économiques internationales contre la Russie», a déclaré la présidente Tsai Ing-wen dans un communiqué publié vendredi. Le numéro 1 mondial des semi-conducteurs TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing), dont le rôle est stratégique dans le développement des nouvelles technologies, avait déjà annoncé que l’entreprise taiwanaise suivrait les nouvelles directives de son gouvernement.
L’île renégate
Depuis le début de la crise, les dirigeants de l’île ont tenu à afficher leur soutien à l’Ukraine, Tsai Ing-wen avait fait part le mois dernier de son empathie envers Kiev. Beaucoup ont osé le parallèle entre la crise ukrainienne et les tensions grandissantes entre la Chine et Taiwan, considéré par Pékin comme une province rebelle. Le président Xi Jinping n’a pas exclu, par le passé, d’avoir recours à la force pour reprendre l’île renégate. «Si l’Ukraine est en danger, le choc résonnera dans le monde entier. Et ces échos se feront entendre en Asie de l’Est, se feront entendre à Taiwan», lançait dimanche le Premier ministre britannique, Boris Johnson. «Taiwan a toujours été une partie inaliénable de la Chine. Il s’agit d’un fait juridique et historique indiscutable», martelait en retour Hua Chunying, porte-parole du ministère des Affaires étrangères de la république populaire, ajoutant que «Taiwan n’est pas l’Ukraine».
Tsai Ing-wen a également tenu à couper court au jeu des comparaisons, soulignant que la situation en Ukraine était «fondamentalement différente» de celle observée entre Taipei et Pékin. «Le détroit de Taiwan fournit une barrière naturelle et Taiwan possède une importance géographique unique», affirme dans son communiqué la dirigeante. «Taiwan reste optimiste. Le gouvernement taiwanais et les groupes de réflexion en particulier ont repoussé le récit «Aujourd’hui l’Ukraine, demain Taiwan». Ils soutiennent que la position stratégique de Taiwan et le rôle indispensable de ses semi-conducteurs dans la chaîne d’approvisionnement mondiale de haute technologie en font un partenaire beaucoup plus critique pour le monde», analyse Wen-Ti Sung, expert de Taiwan à l’université nationale australienne.
Ces derniers mois, le régime communiste a accentué la pression sur Taipei, notamment en multipliant les incursions aériennes dans la zone d’identification de défense aérienne (Adiz) de Taiwan. Jeudi, jour de l’invasion russe en Ukraine, neuf appareils chinois y ont pénétré. En 2021, l’île a enregistré près de 1 000 incursions d’avions de guerre chinois, contre quelque 380 l’année précédente, selon un comptage de l’AFP.
«Géographie stratégique»
Si le régime communiste reste sur une position prudente dans la crise ukrainienne, il observe de près la réaction de Washington, garde-fou des intentions hégémoniques chinoises à Taiwan. «La Chine comprend que la géographie stratégique est différente à Taiwan, tout comme le niveau d’engagement américain en matière de sécurité», avance Wen-Ti Sung. Les Etats-Unis ont signé en 1979 le Taiwan Relations Act qui autorise Washington à fournir des armes à Taiwan mais qui ne garantit pas d’intervention américaine en cas de conflit avec la Chine.
L’attitude de la communauté internationale et la cohésion dans le camp occidental sont également scrutées de près par le parti unique. «Les Etats-Unis et l’Europe ont fait assez pour maintenir l’unité occidentale. S’ils peuvent continuer, cette unité occidentale et cette action collective peuvent constituer un levier supplémentaire contre des acteurs autres que la Russie, à savoir la Chine», poursuit Wen-Ti Sung.