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L'Europe peine à se passer du gaz russe
La dépendance a diminué, mais l'UE augmente ses volumes de GNL venu de Russie, transporté par navires.
Près de deux ans et demi après le début de la guerre en Ukraine, l'Union européenne peine encore à se détourner des énergies fossiles russes, et particulièrement du gaz naturel liquéfié (GNL) exporté par Moscou. Des quantités importantes continuent d'affluer dans l'Union, et risquent de compliquer l'objectif européen de sortir totalement de sa dépendance énergétique envers la Russie d'ici à 2027. En raison même du poids de la Russie dans ses achats gaziers, l'UE n'a pas décrété d'embargo ni pris de sanctions majeures sur cet hydrocarbure.
Si les importations de gaz russe en Europe ont drastiquement chuté depuis l'invasion, pour passer de 40 % des importations à environ 15 %, une récente étude de l'Institut pour l'économie de l'énergie et l'analyse financière (IEEFA) montre que, a contrario, les achats de GNL russe acheminé par bateau vers les trois principaux ports européens ont augmenté de 7 % au premier semestre 2024. En France, ces livraisons ont même doublé par rapport à la même période l'année précédente, passant de 2 à 4,4 milliards de m 3 pour une valeur de plus de 600 millions d'euros. Un volume qui représente environ 12 % de la consommation du pays en 2023.
Alors que sa demande de gaz diminue depuis 2020, le pays continue de développer ses infrastructures et d'accroître la capacité́ de ses terminaux d'importation de GNL. De 12 milliards de m 3 importés en 2008, la France est passée à 30 milliards. La majorité du GNL débarqué dans les ports français ne rejoint cependant pas le réseau intérieur mais est destinée à être réexportée : les transferts vers la Belgique ont par exemple augmenté de 10 % ces six derniers mois.
Selon une liste de navires méthaniers obtenue par l'agence de presse américaine AP, la majeure partie de ces importations russes est réalisée par TotalEnergies, qui se dit légalement tenu d'honorer ses contrats, signés avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Ces importations d'origine russe représentent 27 % du volume total d'importation de GNL par la France en 2024. La Belgique et l'Espagne sont respectivement première et deuxième importatrices de GNL russe en Europe.
Comment expliquer cette hausse, alors que l'UE se montre intraitable sur ses objectifs de sortie des énergies fossiles russes ? Plusieurs options sont évoquées : « On peut penser à une activité économique accrue et un besoin du marché qui pourraient expliquer une demande plus élevée en GNL », avance Giovanni Sgaravatti, analyste de recherche sur l'énergie et le climat au centre de réflexion Bruegel. L'expert évoque aussi les « événements récents en Ukraine ». Kiev, lié à un contrat avec Gazprom, continue de laisser transiter du gaz russe à destination de l'Europe centrale, via son réseau de gazoducs. Ce contrat arrive à échéance à la fin de l'année, mais les Ukrainiens, invoquant les attaques à répétition de Moscou sur son système énergétique, a menacé de l'interrompre avant. L'Autriche et la Slovaquie sont les principaux importateurs restants de gaz russe par gazoduc en Europe. Une interruption anticipée de ce flux terrestre pourrait favoriser une hausse de l'approvisionnement en GNL.
Récemment, les ministres des Vingt-Sept se sont accordés pour valider le quatorzième paquet de sanctions élaboré par l'Union, qui interdit notamment l'utilisation de ports et infrastructures européens pour transborder des cargaisons de gaz d'origine russe. Mais leur impact reste encore à prouver. Pour l'ONG ukrainienne Razom We Stand, qui appelle à un embargo total et permanent sur les combustibles fossiles russes, l'UE doit aller plus loin. « Ces sanctions sont loin d'être suffisantes. Pour avoir un réel impact, il faut que l'achat de GNL soit interdit au niveau national. La France, l'Espagne et la Belgique sont les plus gros importateurs. S'ils devaient mettre en place une interdiction, cela permettrait d'accélérer les choses au niveau de l'UE », martèle Svitlana Romanko, fondatrice et directrice exécutive de l'organisation.
Pour réduire sa dépendance au gaz russe, la Commission européenne a conclu en 2022 des accords gaziers des fournisseurs tiers, notamment avec l'Azerbaïdjan, pour diversifier son approvisionnement. En retour, Bakou a, à son tour, conclu un accord avec la Russie pour augmenter ses importations. Dans le même temps, la Roumanie et la Hongrie ont conclu des accords avec la Turquie, pays qui dépend entièrement des importations de gaz pour répondre à sa demande.
« Je pense que l'indépendance énergétique de l'UE envers la Russie est totalement faisable », assure néanmoins Giovanni Sgaravatti. « La baisse de demande en gaz est consistante depuis plusieurs années maintenant. Certains pays, de l'Est particulièrement, auront peut-être plus de réticences, car ils ont moins accès aux marchés internationaux. Mais ils finiront par le faire. »
Selon les données compilées par Bruegel, la Norvège, au deuxième trimestre de cette année, est le principal fournisseur de l'UE, à hauteur du tiers de ses importations, devant les États-Unis (pour environ 15 %, à égalité avec la Russie). Suivent l'Algérie, le Royaume-Uni et l'Azerbaïdjan, le Qatar venant derrière.
Le Figaro