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Les puits de carbone terrestres se sont effondrés en 2023
Les forêts et les sols ont seulement absorbé entre 1,5 milliard et 2,6 milliards de tonnes de CO2 en 2023, loin derrière les 9,5 milliards de 2022, notamment en raison de la sécheresse en Amazonie et du fait des incendies au Canada et en Sibérie.
C’est une nouvelle alarmante sur le front du climat. Les puits de carbone terrestres, composés des forêts et des sols, ont massivement chuté en 2023. Ils n’ont que très peu capté de CO2, sous l’effet de gigantesques incendies et de sécheresses longues et répétées. De quoi provoquer un emballement du climat si un tel déclin se poursuivait. Ces résultats, issus des travaux d’une équipe d’une quinzaine de chercheurs, ont été présentés lundi 29 juillet lors d’une conférence internationale sur le cycle du carbone organisée au Brésil. Ils avaient été publiés le 17 juillet en preprint – c’est-à-dire qu’ils n’ont pas encore été revus par leurs pairs.
Le climatologue Philippe Ciais, l’un des auteurs de l’étude, ne masque pas sa grande inquiétude. « Si cet effondrement se reproduisait dans les prochaines années, nous risquons d’observer une augmentation rapide du CO2 et du changement climatique au-delà de ce que prévoient les modèles », prévient le directeur de recherche au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement. « Cette étude s’appuie sur les modèles climatiques et les données satellitaires les plus avancés », souligne pour sa part le climatologue australien Josep Canadell, directeur exécutif du Global Carbon Project – un consortium d’une centaine de scientifiques –, qui n’y a pas participé.
2023 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée, marquée par un cortège d’événements extrêmes meurtriers frappant tous les continents. Elle a aussi connu une très forte hausse de la concentration de CO2 dans l’atmosphère, dont la progression par rapport à 2022 (+ 86 %) constitue un record depuis le début des observations en 1958. Or, les émissions de CO2 d’origine fossile, entraînées par la combustion de charbon, de pétrole et de gaz, ont peu augmenté en 2023 − entre + 0,1 % et + 1,1 %. Reste une seule explication : la chute des puits de carbone naturels, qui absorbent près de la moitié des émissions humaines − à raison d’environ 25 % pour les océans et 20 % pour les terres.
Les scientifiques ont été « fortement surpris » par le résultat de leurs travaux. Les puits terrestres ont seulement absorbé entre 1,5 milliard et 2,6 milliards de tonnes de CO2 en 2023, loin derrière les 9,5 milliards de tonnes de CO2 de 2022, ou les 7,3 milliards de tonnes de CO2 en moyenne chaque année sur la dernière décennie. C’est le plus bas niveau depuis 2003. « Ce n’est presque rien, seulement un quart à un tiers de d’habitude », précise Philippe Ciais. Ces chiffres sont donnés en valeur nette, c’est-à-dire en incluant le déstockage du carbone provoqué par les changements d’affectation des sols, comme la déforestation.
Forêt malmenée
Le puits de carbone océanique, heureusement, s’est maintenu. Il a même légèrement augmenté, pour atteindre entre 8,5 milliards et 9,5 milliards de tonnes de CO2 absorbées en 2023, avec des gains plus marqués dans les océans Pacifique et Austral. Cette amélioration est essentiellement due à la survenue du phénomène naturel El Niño en 2023, qui empêche les remontées d’eau profondes et riches en CO2 le long du Pérou, et limite donc les émissions.
A l’inverse, El Niño, en entraînant un réchauffement de la planète, provoque en général une réduction de l’absorption du carbone dans les tropiques. « Mais cela ne suffit pas à expliquer la forte perte que nous avons observée en 2023 car cet El Niño était modéré et n’a débuté qu’à la moitié de l’année », indique Philippe Ciais.
La principale cause tient alors à une forêt malmenée dans de nombreuses régions en raison de la hausse des températures et du manque d’eau. En premier lieu en Amazonie, où une sécheresse extrême, de juin à novembre 2023, a transformé le poumon de la planète en source de carbone. L’Asie du Sud-Est a également moins absorbé de CO2, du fait du manque de pluies lié à El Niño, contrairement à l’Afrique centrale et de l’Est, restée humide.
L’hémisphère Nord a également vu son puits réduit au cours de l’été du fait des gigantesques incendies au Canada, qui ont brûlé 185 000 kilomètres carrés de forêts, six fois la moyenne décennale, ainsi que des feux en Sibérie. Depuis 2015, l’absorption de CO2 au nord du 20e parallèle nord a diminué de moitié. En France, la capacité de stockage du carbone par les écosystèmes forestiers a également été divisée par deux en dix ans − tandis qu’elle a perdu 20 % en Europe −, essentiellement en raison d’une baisse de la croissance des arbres et d’une hausse de leur mortalité liées aux sécheresses, aux incendies et aux ravageurs.
Affaissement sur le long terme
Le verdissement de la Terre, observé par les satellites depuis 1982 et utilisé comme argument par les climatosceptiques, n’implique pas une hausse globale des puits de carbone. Les surfaces vertes augmentent avec le temps, dans la mesure où le printemps survient plus tôt et parce que les régions les plus froides du globe se couvrent de végétation du fait du réchauffement climatique. Les surfaces cultivées ont aussi augmenté en Chine et en Inde.
Surtout, la hausse des taux de CO2 dans l’atmosphère stimule la croissance des plantes, dont elles se nourrissent. « Tant que le CO2 s’accumule, les plantes en absorbent davantage, jusqu’à un point de saturation. Mais dans le même temps, dans un monde plus chaud, les plantes absorbent moins efficacement le carbone de l’atmosphère. L’équilibre global n’est pas bon », explique Josep Canadell.
« Les gains modestes liés au verdissement sont contrebalancés par les pertes énormes de CO2 entraînées par le brunissement des forêts perturbées », ajoute Philippe Ciais. Dans les régions boréales, les terres ravagées par les incendies pourront se couvrir d’herbes ou de buissons en une ou deux années, mais il faudra plus de cent ans à la végétation pour voir sa capacité de stockage du carbone restaurée.
Ces résultats sont « alarmants » alors que les températures continuent de battre des records en 2024, indique l’étude. Le taux de croissance du CO2 reste par ailleurs très élevé et les incendies se multiplient de nouveau au Canada et en Russie.
S’il est « trop tôt pour conclure à un effondrement durable des puits terrestres », Philippe Ciais n’est guère optimiste pour la suite. Certaines des prochaines années pourraient être meilleures, juge-t-il, mais les puits terrestres devraient continuer à s’affaisser à long terme sous l’effet du réchauffement, qui accroît la fréquence et l’intensité des canicules, sécheresses et incendies, des impacts aggravés par la déforestation.
« Les modèles climatiques ne parviennent pas à capturer ces dynamiques extrêmes et les réactions des puits de carbone terrestres, confirme Josep Canadell. Il est donc possible que nous assistions à une augmentation des émissions au-delà des prévisions, ce qui entraînerait des températures plus élevées à l’avenir. »
Un scénario dramatique alors que les émissions actuelles mènent d’ores et déjà la planète vers un monde réchauffé de 2,5 °C à 2,9 °C à la fin du siècle.
Le Monde