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La fin des plages marseillaises ? Sous l'effet de la montée du niveau de la mer et de l'érosion côtière, les plages marseillaises sont peu à peu grignotées par les eaux. Sur tout le littoral, le risque de submersion marine se précise, nécessitant des aménagements. Désormais classée comme commune menacée, Marseille doit redessiner son bord de mer.
Du haut de son piédestal, il est le mieux placé pour observer le phénomène. Jour après jour, depuis son installation en 1949 au bout de l'avenue du Prado, le David voit les eaux monter, monter... Ces derniers temps, la mer se rapproche si vite qu'on l'imagine déjà prendre ses jambes en marbre de Carrare à son cou pour échapper à la noyade !
Les plages du Prado submergées ? La Pointe-Rouge, le Prophète, les Catalans engloutis sous les flots ? On n'y est pas encore, mais la montée des eaux est bien inéluctable. "À Marseille, elle menace d'abord les plages, et le Vieux-port", explique Philippe Rossello, coordinateur du Grec-Sud (antenne locale du Giec). Sur les côtes méditerranéennes,"la mer s'est élevée de 20 centimètres au XXe siècle, elle va monter encore de 25 centimètres d'ici 2050. On sera à plus d'un mètre en 2100, quels que soient les scénarios".
Sous l'assaut des courants marins et de la houle, ce lent grignotage fortement aggravé par le dérèglement climatique, concerne toutes les communes du littoral des Bouches-du-Rhône et du Var. Selon le Cerema* dans ces départements, 10 000 édifices sont menacés d'ici cent ans. Face à cette inexorable érosion côtière, la Ville a demandé et obtenu le classement de Marseille en commune officiellement menacée, dans un décret paru au Journal officiel en juillet dernier (Cassis, La Ciotat et Sausset-les-Pins ont fait la même démarche).
Remettre du sable ? Mauvaise idée !
"Cela va nous permettre d'obtenir de nouveaux outils réglementaires et juridiques, et peut-être des financements pour faire face à ce phénomène", explique l'adjoint municipal à la mer Hervé Menchon.
Mais que peut-on faire face à l'élévation du niveau marin ? À court terme... pas grand-chose. "Aujourd'hui, on travaille nuit et jour sur le parc balnéaire du Prado où la mer emporte même certaines parties du gazon. On comble les trous", explique l'élu. Remettre du sable ? Cela s'est beaucoup fait sous la précédente municipalité. À la Pointe-Rouge, dans les années 2010, 700 tonnes de sable avaient été rajoutées lors d'une opération à plusieurs centaines de milliers d'euros. "Mais l'été d'après, il n'y avait plus rien, tout avait été emporté par les courants." Inefficace, le réensablement serait en outre néfaste pour la biodiversité marine : "les sédiments emportés viennent se redéposer sur des herbiers de posidonie. On ne peut pas continuer à mettre du sable sur la vie." Une étude de courantologie est en cours pour mieux cerner le phénomène.
Mais aujourd'hui, c'est plutôt la technique du "repli stratégique" qui est prônée par les experts. Autrement dit : laisser la nature faire son oeuvre en réorganisant les activités humaines, quitte à "guider" l'avancée de la mer pour préserver certaines zones. Au parc balnéaire du Prado, certaines parties des plages pourraient ainsi être sacrifiées pour en sauver d'autres."Le problème, c'est qu'il existe un doute sur la nature des sols. On ne voudrait pas engloutir des zones polluées", explique Hervé Menchon. À la fin des années 70, les "plages Defferre" ont été construites sur 20 hectares pris sur la mer, à l'aide de remblais."Pour la moitié, ces remblais provenaient du chantier du métro, mais on ignore d'où venait le reste, probablement des gravats déposés par des entreprises du BTP."À une époque où l'on se souciait comme d'une guigne des normes environnementales, une mauvaise surprise n'est donc pas à exclure. Mais si le doute est levé par une étude des sols,"un projet de grande ampleur pourra être lancé", d'autant que la concession de l'État à la Ville du parc balnéaire du Prado ne sera renouvelée en 2026 que "sous condition d'un projet sérieux". Ce même problème de polluants se pose sur le littoral sud, où des scories industrielles vont être confinées sous des coques de béton. "L'un de ces faux rochers, situé au rond-point de Callelongue, pourrait un jour se retrouver immergé, et libérer les polluants sous l'eau."
Faire reculer la ville
ou durcir le trait ?
Autres zones très surveillées : les falaises qui surplombent, au nord et au sud de la ville, les plages du Fortin ou du Bain de Dames, d'où tombent des rochers tous les jours."On procède à des travaux de stabilisation, on pose des clous, on projette du béton. Ces chantiers littoraux coûtent dix fois plus cher qu'à l'intérieur des terres", souligne Hervé Menchon. Dans une ville où les constructions en bord de mer (y compris sur le domaine public maritime) ont longtemps poussé comme des champignons au gré des petits arrangements, certaines maisons sont aujourd'hui menacées. "Tôt ou tard cela va poser problème", confirme l'adjoint. Si, jusqu'à présent, le risque submersion marine ne fait l'objet que d'une "zone d'information" dans le PLU, il va immanquablement se traduire dans les années à venir par des restrictions en termes de construction."Cela passera par des interdictions de construire ou de reconstruire, une diminution des surfaces habitables, etc."
Doit-on laisser monter la mer en faisant reculer la ville, ou au contraire "durcir" le trait de côte en lui barrant le passage? "C'est la question que l'on doit se poser aujourd'hui, au cas par cas, avec dans la balance les usages et les impacts économiques de chaque zone", pose Hervé Menchon. Une certitude : la physionomie du bord de mer doit être redessinée. Pour le Grec-Sud, il y a urgence à "définir une vraie stratégie", ce qui suppose "une étroite collaboration entre les collectivités". Et ça, le David ne le voit pas vraiment venir...
* Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité, l'aménagement.
La Provence