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le scénario noir du climat 2050 en Provence
Avignon est une étuve
Il est 8 heures, ce 12 juillet 2050, quand Louis, webdesigner de 28 ans, ouvre un oeil. Son thermomètre connecté affiche déjà 31º. Place des Corps Saints, à l'heure du café, on respire (un peu) entre les remparts après l'étouffoir des nuits tropicales à plus de 26 degrés, sans pouvoir fermer l'oeil. C'est épuisant, même pour un jeune organisme ! Et ça fait plus d'un mois que ça dure. D'après la météo, la vague de chaleur est installée pour un bon mois encore.
Désormais, l'été, c'est la fournaise de mai à septembre. Les pics à plus 45 degrés ont fait fuir les touristes qui préfèrent venir au printemps ou en automne. Les panneaux d'information municipaux rappellent que la température est encore plus intense au ras du sol et qu'il faut éviter de sortir les jeunes enfants entre midi et 18 heures... Dire que quand Louis était gamin, le festival était organisé en juillet ! Il les revoit encore, ces pauvres artistes bariolés, en sueur, au bord de l'évanouissement, qui racolaient en plein cagnard des spectateurs dont l'amour pour le théâtre s'érodait d'année en année à cause des canicules à répétition. Heureusement, depuis 2035, le festival a été décalé en mars. La saison des beaux jours. Mais du coup, Avignon en juillet, c'est un peu le désert de Gobi sur le plan culturel.
Louis irait bien passer une semaine à Paris mais il appréhende les six heures de voyage en TGV. En cette période de l'année, les temps de trajets sont multipliés par deux à cause des rails qui se dilatent et s'allongent sous l'effet de la chaleur, ce qui oblige les trains à ralentir l'allure. Et pas question de faire le déplacement en voiture : la semaine dernière, Louis a eu la peur de sa vie sur la route départementale. Les enrobés avaient fondu et collaient à ses pneus ! Des travaux ont été engagés pour changer de revêtement, mais comme toujours en été, ça traîne en longueur : les ouvriers ne peuvent travailler que la nuit sur le chantier sinon c'est la mort par grillade assurée. Et s'il allait passer une semaine à Marseille chez sa cousine Emma ?
À la mi-journée, Marseille est déserte
Même si l'humidité de la mer protège un peu la ville des pics de chaleur, on suffoque. Tout autour du Vieux-Port, on a monté de nouvelles ombrières. Avec ses nouvelles constructions passées à la chaux, "Marseille la blanche" a des airs de village grec.
Devant l'entrée des urgences de la Timone, une tente de tri a été plantée. Bien que le personnel n'ait plus le droit de prendre ses congés pendant la saison chaude, il n'est pas en nombre suffisant pour accueillir tout le monde. Déjà quinze patients victimes de coups de chaleur ce matin : les plus âgés et souvent les plus précaires tombent comme des mouches. Encore trop de logements mal isolés, les moteurs de clim' en surchauffe qui lâchent. Une étude de la London School of Hygiene and Tropical Medecine avait prévenu il y a trente ans : en 2050, les décès causés par la canicule seront multipliés par 3. Dans les couloirs de l'hôpital, des enfants, en nombre, victimes de crise d'asthme : la municipalité a beau avoir interdit les véhicules les plus polluants, la pollution de l'air associée aux allergies aux pollens fait des ravages.
Emma, 35 ans, infirmière, est inquiète. Comme toutes les mères de famille, elle connaît par coeur les symptômes de la dengue : fièvre, douleurs articulaires, nausée, maux de tête... Cette fois, cela pourrait être son tour. "Le réchauffement climatique n'a pas un impact direct sur les pandémies, prévenait, en 2020, Roger Frutos, chercheur en microbiologie moléculaire au Centre de coopération internationale en recherche agronomique (Cirad). En revanche, il joue un rôle plus ou moins positif sur la mobilité des espèces. Et donc des virus dont elles sont vecteurs."
Moustiques, tiques, fourmis électriques, plus craints que les rats...
Voilà bientôt un demi-siècle que l'aedes albopictus (le moustique-tigre) a colonisé la Provence. Nous sommes passés de 50 cas autochtones de dengue en 2022 à des centaines en 2050. À Marseille, désormais, on attrape le chikungunya, la dengue ou zika sans même sortir de chez soi. La tique chasseuse qui peut faire des bonds de cent mètres et vous coller la fièvre hémorragique de Crimée-Congo crée régulièrement la panique quand ce n'est pas la fourmi électrique dont la piqûre est à hurler de douleur. Ce n'est pas faute d'avoir prévenu, rappelle souvent la presse locale, en exhumant une audition de Didier Fontenille, directeur de recherche à l'IRD, devant les députés en 2020. Il avait réclamé un "grand plan" contre les insectes vecteurs de maladie en France comme ceux qui avaient été dédiés au cancer ou à Alzheimer. Personne ne l'a écouté.
Emma passe, aussi, tous les soirs sa peau claire au crible. Avec ses températures intenables, c'est short et t-shirt six mois de l'année. Conséquence : les cancers de la peau ont augmenté de 70%.
Profiter de l'été à Marseille c'est encore possible pourtant. Mais seulement quelques heures par jour et en évitant le bitume et les îlots de chaleur. Sur la plage des Catalans, c'est à 5 heures du matin que les baigneurs viennent poser leurs serviettes. Question de température - il fait déjà 28º - et de place : la mer a grignoté 7 mètres de plage. Poser sa fouta est devenu un combat. C'est à cette heure que vont se coucher les ouvriers qui ont travaillé toute la nuit pour surélever les quais du Vieux-Port et protéger les commerces du bas de la Canebière de la submersion.
La Camargue prend l'eau
On peut encore se baigner aux Saintes-Maries de la mer. Les terres (infestées de moustiques) sont peu à peu englouties et les digues semblent dérisoires pour ralentir le phénomène. En 2023, les scientifiques prévenaient déjà : quoi qu'on fasse, la mer sera montée de 25 cm en 2050 en raison de la fonte des pôles.
Le milieu marin se réchauffe et s'acidifie, mettant en péril la biodiversité et changeant toute la chaîne alimentaire. Les gorgones se meurent en Méditerranée, des espèces invasives s'implantent sur nos côtes, comme le tétraodon et le poisson-pierre, potentiellement toxiques, ou le poisson lapin qui ratiboise les herbiers de posidonies, ravageant les habitats et les nurseries d'autres espèces.
La montagne, comme neige au soleil...
Dans les années 2020, à chaque rapport du Giec, son grand-père rigolait des scénarios catastrophe sur les hausses de température : "Tu iras t'installer au chalet, à Saint-Véran". Emma avait dix ans à l'époque et pas la tête à ce genre de lecture qui prévenait pourtant qu'en haute altitude, les températures grimpaient encore plus vite qu'au bord du littoral : entre 0,3 et 0,4º par décennie. Depuis trente ans, le manteau neigeux de moins en moins épais ne permet plus de réfléchir l'énergie solaire. En 2050, dans le parc du Queyras, relever 35º en été n'a rien d'exceptionnel.
Emma et Louis espèrent encore aller au ski cet hiver. Dans les Alpes-du-Sud, toutes les remontées mécaniques en dessous de 2 000 mètres d'altitude ont été rallongées pour amener directement les skieurs aux sommets les plus hauts. Les pistes ont singulièrement raccourci : c'est en bus que l'on redescend aux stations. Les annonces de location ne vantent plus ces "appartements au pied des pistes". Les canons à neige qui ont pallié pendant des années le manque d'or blanc ont été démontés. Il fait trop chaud, ils ne servent plus à rien.
À Aix, on trinque au Boulaouane
Heureusement, pour égayer les soirées d'été d'Emma et de Louis, il reste le rosé... À consommer avec modération car avec un taux d'alcool de plus de 15 degrés, il fait vite tourner la tête. Gorgés en sucre du fait de l'ensoleillement accru, les raisins produisent un vin plus fort. "À ce rythme, dans 100 ans, ce sera du rhum !" plaisante le père de Louis, qui se souvient avec nostalgie de la légèreté fruitée des rosés de Provence d'antan. La saveur et la robe des vins aussi ont changé. Pour adapter les vignobles à la sécheresse, les producteurs ont introduit des cépages plus résistants en provenance du Maghreb. Désormais c'est Boulaouane à l'apéro !
Dans le Vaucluse et les coteaux d'Aix, les vendanges de plus en plus précoces commencent début juillet. Et pour la vigne comme pour les autres cultures, l'eau vient à manquer : -10 à 20 % de ressources en eau en moins en 2050. Malgré les alertes des spécialistes, les réseaux d'irrigation ont tardé à être rénovés. Comme en 2023, on déplore encore 30% de pertes pour cause de fuites. Un crève-coeur. D'autant que chaque été, dans le Haut-Var et les Bouches-du- Rhône, de plus en plus de petites communes doivent être alimentées en eau par camions-citernes. L'exemple du village de Seillans, en mai 2022, où 2 700 habitants avaient dû être ravitaillés en urgence n'a pas servi de leçon...
Sous la menace d'un mégafeu
Dans les zones qui souffrent le plus de la sécheresse, le manque d'eau fait fuir de nombreux habitants. Les stars ont quitté leur mas du Luberon pour aller s'installer en Bretagne ! Partout en Provence, les incendies de forêts se multiplient sur une végétation toujours plus sèche... Les pins sylvestres, les chênesblancs, à l'agonie, laissent peu à peu la place à des arbres plus petits, aux broussailles et servent de combustibles aux flammes. Le pin d'Alep, plus résistant, gagne du terrain. Dans des espaces verts qui deviennent de plus en plus inaccessibles, les mégafeux, incontrôlables, menacent. Il est loin le temps où il fallait réguler le flux de touristes prêts à tout pour un selfie au paradis des Calanques. Le paysage est lunaire et carbonisé.
La Région Paca a bien tenu ses promesses de planter cinq millions d'arbres - un par habitant. Mais en quelques heures, tous ces efforts peuvent partir en fumée. Et où en est-on du recrutement de 50 000 sapeurs-pompiers volontaires supplémentaires que réclamait dès 2022 Grégory Allione, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers ? Aujourd'hui, les soldats du feu parviennent tout juste à protéger les habitations. À Gonfaron, les grands-parents de Louis ne peuvent plus faire assurer leur maison en bordure de forêt. Et ce ne sont pas les dispositifs de séquestration du carbone lancés par les grands industriels qui vont régler le problème.
En attendant la tornade...
À l'ombre de son grand sombrero, contemplant le massif de l'Étoile au nord de Marseille, ravagé il y a deux ans par un énième incendie, Emma croise les doigts pour qu'arrivent enfin des nuages porteurs d'une bonne pluie. En espérant que ce ne soit pas un épisode cévenol, de plus en plus fréquent avec leurs cortèges d'inondations et de drames dans des villes bétonnées. "Les événements exceptionnels vont augmenter de 20 % en intensité", prévenait, il y a 20 ans, Philippe Rossello du Grec-Sud, rappelant qu'en un demi-siècle le nombre de pluies supérieures à 200 litres/m² avait doublé. Le pire serait la formation d'un "bow echo", cet orage en forme d'arc d'une brutalité inouïe qui avait tué six personnes en Corse le 18 août 2022. Autrefois exceptionnelles, ces tornades soudaines sont désormais redoutées. Pas plus qu'il y a trente ans, ni les modèles climatiques, ni ceux de Météo France ne parviennent à les prévoir.
COP 27, novembre 2022. António Guterres, secrétaire général de l'ONU, donne le ton devant une centaine de chefs d'État, à Charm el-Cheikh (Égypte). "L'humanité a un choix : coopérer ou périr. C'est soit un Pacte de solidarité climatique, soit un Pacte de suicide collectif, avait-il lancé. (...) Nous sommes sur l'autoroute vers l'enfer climatique avec le pied toujours sur l'accélérateur."
Le monde fonce-t-il droit dans le mur ? Dans leur dernière synthèse publiée lundi, les experts du Giec estiment que "la fenêtre d'action se rétrécit, mais elle existe encore" : une "action majeure" permettrait encore d'atteindre les objectifs pour contenir le réchauffement à 1,5ºC par rapport à l'ère pré-industrielle. Mais les actions ne viennent pas ou pas suffisamment, et des symboles en disent long : la prochaine COP se tiendra à la fin de l'année à Dubaï sous la présidence de son ministre de l'Énergie, chantre des investissements gaziers. Les scénarios du pire sont donc encore parfaitement envisageables. En France, nous sommes déjà largement au-dessus de 1,7º et c'est en Provence que le réchauffement climatique se fait le plus sentir. "Dans notre région, depuis le début du XXe siècle, la température moyenne a augmenté de 2,1º, soit 20 % de plus que la moyenne nationale. Et jusqu'à 2,4º dans les Alpes", souligne Philippe Rossello, coordinateur du Grec-Sud, l'antenne régionale du Giec. Le scénario du pire ? "On y va tout droit", prévient l'ingénieur géoprospectiviste. Même si les promesses actuelles des États sont tenues, "on sera à 3 degrés de plus en moyenne mondiale à la fin du siècle". Dès 2050, l'impact du réchauffement climatique sur notre quotidien sera considérable. Pour s'en faire une idée, il faut lire les 10 000 pages de travaux de modélisation que le Giec a publiés depuis huit ans sur l'état de la science. Avec l'aide du Grec-Sud et du livre France 2050 de Marc Lomazzi, nous avons imaginé ce que sera dans 30 ans la vie des Provençaux. Il était une fois, Emma et Louis, le 12 juillet 2050...
La Provence