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Pour l’ONU , la crise climatique est en train d’atteindre une « portée destructrice inouïe »
Alors que les événements extrêmes ne cessent d’empirer, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, appelle à mettre un terme « à la course effrénée aux combustibles fossiles ».
Canicules en Europe et en Chine, inondations dévastatrices au Pakistan, sécheresses prolongées dans la Corne de l’Afrique, incendies historiques aux Etats-Unis… Les événements extrêmes ne cessent d’empirer, battant des records à une fréquence toujours plus alarmante. Sans mesures radicales, la crise climatique sera de plus en plus dévastatrice, touchant en premier lieu les populations les plus vulnérables, prévient l’Organisation des Nations unies (ONU) dans son rapport United in Science, publié mardi 13 septembre. Elaboré par plusieurs institutions internationales, sous la coordination de l’Organisation météorologique mondiale, il rassemble les conclusions d’une dizaine de publications récentes autour du climat.
« Ce rapport montre que le changement climatique est en train d’atteindre une portée destructrice inouïe, s’inquiète le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, dans un message vidéo. Pourtant, alors même que les symptômes s’aggravent rapidement, nous nous enfonçons chaque année un peu plus dans notre addiction aux combustibles fossiles. »
Emissions de CO2 en hausse
Les émissions de gaz à effet de serre, essentiellement provoquées par la combustion des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz), sont en effet reparties à la hausse. En 2021, elles avaient déjà retrouvé leurs niveaux d’avant la pandémie de Covid-19 – qui a entraîné une chute des rejets en 2020. C’est désormais pire : les émissions mondiales de CO2 enregistrées entre janvier et mai 2022 sont supérieures de 1,2 % à celles de la même période en 2019, qui était pourtant une année record, selon des données préliminaires du Global Carbon Project, un consortium de scientifiques.
Elles sont tirées par la production d’électricité et l’industrie, avec des hausses marquées en Inde (+ 7,5 %), aux Etats-Unis (+ 5,7 %) et dans la plupart des pays européens (+ 10 % en Espagne par exemple). Les émissions sont en augmentation de 2,2 % à l’échelle de l’Union européenne et de 3 % en France. D’autres Etats restent à des niveaux inférieurs à ceux de 2021, comme le Brésil, la Russie (du fait de la guerre en Ukraine) et la Chine, en raison de politiques de confinement prolongées.
« L’action climatique piétine sur des fronts essentiels, et les pays et les populations les plus pauvres sont les plus durement touchés » – Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU
Les deux maux étant liés, les concentrations de gaz à effet de serre ont encore battu des records en 2021 et continuent d’augmenter depuis. En mai 2022, la concentration de CO2 a atteint 421 parties par million (ppm), un niveau inégalé depuis au moins deux millions d’années.
Sans un renforcement des efforts pour réduire les émissions, le respect des objectifs de l’accord de Paris sur le climat « sera définitivement compromis », prévient l’ONU. Ce traité international, scellé en 2015, prévoit de limiter le réchauffement bien en dessous de 2 °C voire à 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Les nouveaux engagements nationaux pour 2030 « laissent entrevoir une réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais ils restent insuffisants », rappelle le rapport. Ils devraient être sept fois plus ambitieux pour nous remettre sur la voie d’une limitation du réchauffement à 1,5 °C, et quatre fois plus pour 2 °C. A l’inverse, les politiques actuelles mènent la planète vers un réchauffement de 2,8 °C à la fin du siècle. Le réchauffement pourrait être rabaissé à 1,9 °C si toutes les promesses de neutralité carbone étaient appliquées, ce qui semble improbable.
Un sevrage radical
« L’action climatique piétine sur des fronts essentiels, et les pays et les populations les plus pauvres sont les plus durement touchés », déplore M. Guterres. Le secrétaire général de l’ONU appelle, une fois de plus, à mettre un terme « à la course effrénée aux combustibles fossiles », « recette d’un chaos climatique permanent et de la souffrance », en commençant par les pays du G20, responsables de 80 % des émissions mondiales. Il réitère la recette d’un sevrage radical : ne plus construire de nouvelle centrale à charbon, éliminer progressivement cette énergie la plus sale, accélérer le déploiement des renouvelables.
Les pays développés doivent aussi tenir leurs engagements en matière de financements pour le climat à destination de ceux en développement – dont 50 % pour l’adaptation au changement climatique. Cette question épineuse sera au cœur de la 27e conférence mondiale sur le climat (COP27), prévue à Charm El-Cheikh (Egypte) en novembre. « Pour ceux qui subissent déjà l’urgence climatique, notamment dans le sud de la planète, la conférence doit convenir de nouveaux financements afin de les aider à reconstruire leur vie », appelle Tasneem Essop, directrice exécutive de la plate-forme Climate Action Network, qui rassemble 1 500 ONG.
A l’heure où entre 3,3 milliards et 3,6 milliards de personnes sont extrêmement vulnérables au changement climatique, Antonio Guterres souhaite également que, d’ici à cinq ans, tous les habitants de la planète soient protégés par des systèmes d’alerte précoce contre les dangers climatiques. Moins de la moitié des pays du monde en disposent actuellement, et la couverture est particulièrement faible en Afrique ou dans les petites îles.
Toujours plus chaud
Le rapport rappelle l’urgence à s’adapter aux effets d’une crise climatique qui ne va cesser de s’aggraver. Les sept dernières années (2015-2021) ont été les plus chaudes jamais enregistrées. Selon les prévisions, il est extrêmement probable que la période 2022-2026 soit encore plus chaude et qu’au moins une année détrône le record de 2016. Il y a désormais une chance sur deux que la température moyenne annuelle dépasse le seuil de 1,5 °C pendant au moins une des cinq prochaines années. « Lorsque nous parlons de la nécessité d’éviter un réchauffement planétaire dangereux de 1,5 °C, nous parlons de la tendance à long terme, et non des valeurs pour des années individuelles », précise le climatologue Michael Mann, directeur du Earth System Science Center de l’université d’Etat de Pennsylvanie. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), ce seuil sera atteint ou dépassé, en valeur tendancielle, avant 2040.
Les extrêmes climatiques, dont le lien est clairement établi avec le changement climatique d’origine anthropique, sont amenés à devenir plus fréquents, intenses et longs. A l’échelle mondiale, d’ici aux années 2050, plus de 1,6 milliard d’urbains seront régulièrement exposés à des températures moyennes trimestrielles d’au moins 35 °C. Les villes et agglomérations côtières de faible altitude, telles que Bangkok (Thaïlande), Houston (Etats-Unis) et Venise (Italie), risquent d’être confrontées à une multiplication des inondations en raison de l’élévation du niveau de la mer. Le dérèglement climatique va aussi aggraver l’insécurité alimentaire et les effets pour la santé.
Dans son rapport, l’ONU n’exclut en outre plus un « franchissement de points de bascule dans le système climatique », des seuils de rupture entraînant un emballement de manière souvent soudaine et irréversible. Dans une étude publiée le 8 septembre dans la revue Science, des chercheurs montraient que cinq d’entre eux pourraient être franchis même aux niveaux actuels de réchauffement – comme l’extinction des coraux ou la disparition de la calotte glaciaire de l’Antarctique de l’Ouest. En outre, « des points de bascule physiologiques pourraient être atteints, au-delà desquels la population ne pourrait plus travailler en plein air sans assistance technique », ajoute le rapport onusien. Et M. Guterres de plaider : « Nous devons nous unir derrière la science et transformer les promesses en action. »
Le Monde